10/01/14

Ménage à Trois autour d'un Pulsar

Une équipe d’astronomes vient de trouver un système d’étoiles qui n’avait encore jamais été observé : un système triple incluant un pulsar. Au-delà de la curiosité suscitée par la rareté d’un tel trio, une étoile à neutron liée gravitationnellement à deux étoiles naines blanches, ce système stellaire a le potentiel extraordinaire d’être un excellent laboratoire pour tester la théorie de la relativité générale.



Environ 80% des 300 pulsars millisecondes (ceux qui tournent le plus vite) recensés possède une étoile partenaire. Mais la présence d’un seul partenaire ne permettait pas d’expliquer les variations désordonnées de la fréquence de l’émission radio observée sur PSR J0337+1715, qui fut découvert en 2007 par l’américain Scott Ransom et ses collègues du National Radio Astronomy Observatory à Charlottesville en Virginie. Ils décidèrent donc de suivre sur une longue période ce pulsar étrange à l’aide d’autres radiotélescopes, et c’est finalement une étudiante Québécoise de l’Université McGill à Montréal, Anne Archibald, qui comprit ce qui se passait, qu’il y avait une troisième étoile… On estime l’occurrence d’un tel système à moins de 100 dans notre galaxie, qui rappelons-le contient environ 100 milliards d’étoiles.

Vue d'artiste du système triple de PSR J0337+1715
(Bill Saxton; NRAO/AUI/NSF)
Le pulsar (PSR J0337+1715) a une masse de 1,4 fois celle du soleil et tourne sur lui-même 366 fois par seconde. Il est en orbite liée avec une toute petite naine blanche qui ne fait que 20% de la masse solaire, avec une révolution en 1,6 jours. Et une seconde naine blanche (40% de la masse du soleil), tourne autour du couple à une plus grande distance et en plus longtemps (327 jours).

Ce trio est parfait pour tester un concept important qui est sous-jacent à la théorie de la gravitation d’Einstein. Il s’agit du principe d’équivalence, qui met en relation deux conceptions de la masse : la masse inertielle, qui quantifie comment un objet résiste à une accélération, et la masse gravitationnelle, qui détermine comment un champ gravitationnel agit sur cet objet.
La version la plus simple du principe d’équivalence dit que masse inertielle et masse gravitationnelle sont égales. Le principe d’équivalence fort, lui, va plus loin : selon la célèbre équation d’Einstein, l’énergie est égale à la masse (E=mc²), donc l’énergie contenue dans le propre champ gravitationnel d’un objet peut contribuer à sa masse. Le principe d’équivalence fort stipule que même en incluant la masse générée par cet effet d’ « auto-gravitation », les masses inertielles et gravitationnelles doivent toujours être égales.
Ce principe d’équivalence fort apparaît dans la théorie de la relativité générale, mais pas dans d’autres théories alternatives de la gravitation. Pouvoir le tester devient alors extrêmement intéressant.
Albert Einstein en 1921

Des physiciens s’y sont déjà essayés en regardant comment la Lune et la Terre se meuvent dans le champ gravitationnel du Soleil, ou encore comment une binaire pulsar/naine blanche se comporte dans le champ gravitationnel de la galaxie. Mais dans les deux cas, la précision obtenue était trop mauvaise pour pouvoir conclure quelque chose, l’effet d’"autogravitation" de la Terre est très faible et le champ gravitationnel de la galaxie également.

En revanche, le nouveau trio découvert a tout pour une mesure très précise : le pulsar produit un effet autogravitationnel conséquent, et la naine blanche externe produit un puissant champ gravitationnel. En observant comment les deux composantes internes du trio sont attirées par la troisième composante, les astrophysiciens ont estimé pouvoir obtenir une précision 100 fois supérieure à ce qui était obtenu auparavant. Scott Ransom précise que son équipe devrait être en mesure de pouvoir tester le principe fort d’équivalence en moins d’un an.

Il va sans dire que si les résultats mettent en défaut ce principe d’équivalence Einsteinien, la physique en sera toute bouleversée…


Sources :

A millisecond pulsar in a stellar triple system
S. M. Ransom, et al.
Nature published online 05 January 2014

Rare Celestial Trio to Put Einstein's Theory to the Test
Adrian Cho
Science 10 Vol. 343 no. 6167 pp. 126-127 (January 2014)



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