Si vous me suivez régulièrement, vous le savez : le mystère de la matière noire est pour moi quelque chose de très important, probablement parmi les points les plus cruciaux que selon moi nous devons comprendre au plus vite, tout juste avant les deux autres entités noires de l'Univers, les trous et l'énergie...
Il n'est qu'à voir le nombre de billets que j'ai consacré à divers aspects de la matière noire, et notamment à sa détection de manière directe, telle qu'elle se développe depuis de trop longues années à travers le monde.
Ce qui participe grandement à cet engouement, il faut le dire, c'est probablement le fait que des signes potentiels d'interactions de particules de matière noire (des WIMPs) ont été observés ces quatre dernières années, et ce par différentes équipes de chercheurs dans différentes expériences. On se souvient également l'important résultat négatif de l'année dernière obtenu par l'expérience LUX.
Le détecteur de CoGENT (Pacific Northwest National Laboratory) |
Parmi les expériences qui pensent avoir peut-être détecté des interactions de WIMPs, il y a une expérience américaine qui s'appelle CoGeNT. Les autres, rappelons-le, sont DAMA (Italie), CRESST (Allemagne), et CDMS (Etats-Unis).
Si je parle de CoGeNT aujourd'hui, c'est parce que l'équipe de Juan Collar vient de publier de nouveaux résultats sur le site de préprints Arxiv. Et ces nouveaux résultats sont étonnants! Je le dis tout de suite, ils vont à l'encontre des résultats négatifs de LUX et tout à fait dans le sens de DAMA, CRESST et CDMS...
Les physiciens de CoGeNT avaient fait parler d'eux en 2011 lorsqu'ils annoncèrent avoir observé une modulation annuelle dans leur signal, exactement du même type que celui clamé par DAMA depuis le début des années 2000. La statistique qui était alors la leur n'était pas excellente, par manque de signal. Mais aujourd'hui, dans leur nouvelle publication, Collar et ses collaborateurs montrent à nouveau une très intéressante modulation annuelle avec plus de données accumulées. Le niveau de confiance statistique est de l'ordre de 2,2 sigmas (ce qui signifie qu'il y a 2% de chance pour que ce qu'ils voient soit purement fortuit).
Pour bien comprendre, il faut rappeler pourquoi on attend un signal modulé sur une année, montrant un maximum en été et un minimum en hiver. L'hypothèse retenue par tout le monde (ou presque) est que la matière noire forme un halo sphérique dans lequel baigne notre galaxie. Le soleil tourne dans la galaxie, à près de 250 km/s. Ce mouvement produirait ainsi comme une sorte de vent de particules venant de la direction vers laquelle se meut le Soleil. Mais la Terre tourne, elle, autour du soleil en une année (je ne vous apprends rien), ce qui fait que nous allons pendant 6 mois dans le même sens que celui du soleil dans la Galaxie, et durant les six autres mois, dans le sens contraire.
Cela se traduit au niveau des WIMPs, par un "vent" qui a une vitesse qui varie au cours de l'année, et qui passe donc par un maximum et un minimum.
Juan Collar (University of Chicago) |
Au niveau des interactions de ces particules, comme leur probabilité d'interagir dépend de leur vitesse par rapport au détecteur (à la Terre), le nombre que l'on détecte dépend lui aussi de la période de l'année.
Que trouve CoGeNT dans son laboratoire souterrain de la mine de Soudan dans le Minnesota avec son détecteur germanium de 100 g ?
Ils ont trié tous les événements apparaissant dans le détecteur semiconducteur, et il y en a beaucoup, surtout des signaux parasite venant de toutes sortes de bruit de fond (radioactivité naturelle, muons cosmiqes,..). La théorie prédit que des WIMPs devraient plutôt interagir statistiquement au centre du détecteur plutôt qu'en surface, et en laissant une énergie très faible, inférieure à 2 keV. C'est donc sur tous les événement ayant ses caractéristiques qu'ils ont regardé l'évolution dans le temps du taux de comptage... et découvert à nouveau cette modulation qu'ils avaient déjà entrevue il y a presque 3 ans.
Et il y a un nouvel élément décrit par Collar et al qui est plus que fascinant (je m'emporte ?) : à partir du taux d'interaction qu'on mesure dans un détecteur, on déduit deux paramètres : la masse de la WIMP et sa probabilité d'interaction (sa section efficace). Jusqu'à présent, les résultats qu'avaient obtenus DAMA et CRESST en termes de masse et de section efficace avec leurs WIMPs étaient incompatibles entre eux et incompatibles avec CoGeNT. "Jusqu'à présent", ai-je dit... Juan Collar fait une nouvelle hypothèse assez simple : si les WIMPs n'étaient pas réparties uniformément dans un halo sphérique, mais au contraire subissaient une sorte de flux dans une direction donnée ? On appelle ça un halo non-maxwellien... Que ce passerait-il au niveau des données analysées par les différentes expériences ?
Vous vous doutez de la réponse ? Les trois expériences se chevauchent presque parfaitement !
Que faire des résultats négatifs de LUX obtenus avec des détecteurs très différents au xénon ? Certains physiciens n'hésitent pas maintenant à remettre en cause la sensibilité annoncée des chambres à projection temporelle au xénon comme celle de LUX. Il pourrait exister un problème de calibrage à basse énergie. Des faibles dépôts d'énergie produiraient moins d'électrons que ce qu'estiment les utilisateurs de détecteurs au xénon (LUX et XENON100 notamment).
Que faire des résultats négatifs de LUX obtenus avec des détecteurs très différents au xénon ? Certains physiciens n'hésitent pas maintenant à remettre en cause la sensibilité annoncée des chambres à projection temporelle au xénon comme celle de LUX. Il pourrait exister un problème de calibrage à basse énergie. Des faibles dépôts d'énergie produiraient moins d'électrons que ce qu'estiment les utilisateurs de détecteurs au xénon (LUX et XENON100 notamment).
Plot comparatif des différentes expériences : section efficace en fonction de la masse de WIMP, avec l'hypothèse d'un halo non-maxwellien (J. Collar et al.) |
Comment réconcilier tout ce beau monde ? Juan Collar, toujours lui, a décidé, au vu de ses résultats très intéressants sur le germanium, de reproduire à une plus petite échelle un détecteur comme celui de LUX, pour regarder ce que ça donne avec des très faibles dépôts d'énergie dans le xénon et pour en avoir le cœur net (il utilise des neutrons d'une source radioactive pour mimer les WIMPs).
Le résultat de ce calibrage sera crucial et devrait être publié dans quelques mois...
Concernant cette hypothèse audacieuse de halo non maxwellien qui paraît si puissante à réconcilier toutes les expériences qui semblent voir quelque chose, Juan Collar prédit qu'elle pourrait être testée grâce aux mesures très précises de vitesses d'étoiles proches que va entreprendre très prochainement le satellite Gaïa...
Quelque chose me dit qu'on n'a pas fini d'en reparler (ici ou ailleurs...).
Référence :
Search for An Annual Modulation in Three Years of CoGeNT Dark Matter Detector Data
C.E. Aalseth et al.
Arxiv 1401.3295 (14 janvier 2014) http://arxiv.org/pdf/1401.3295v1.pdf
Source :
CoGeNT gives further backing to annual dark-matter variation
Edwin Cartlidge
Physics World (20 janvier 2014)
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