La connaissance la plus précise des réactions thermonucléaires qui ont lieu au cœur des étoiles est une étape très importante en astrophysique nucléaire : elle permet non seulement d'appréhender au mieux la production d'énergie dans les étoiles, mais aussi leur production de neutrinos et la création des éléments chimiques.
Pour connaître précisément ces réactions nucléaires, notamment leur section efficace (leur probabilité d’occurrence), rien de tel que de les reproduire sur Terre, et même sous terre...
L'expérience LUNA (Laboratory for Underground Nuclear Astrophysics) est une manip dédiée à de telles mesures de précision en astrophysique nucléaire. Elle est installée au laboratoire souterrain du Gran Sasso (LNGS) en Italie. Elle utilise des accélérateurs de particules pour créer des réactions nucléaires et mesurer leur section efficace. Ces petits accélérateurs sont enfouis dans le souterrain du LNGS pour bénéficier du très bas bruit de fond provenant des rayons cosmiques. En effet, les mesures qu'effectue LUNA doivent être si précises, et le signal étant tellement faible et rare, qu'à la manière de la recherche de particules de matière noire, l'expérience doit être installée dans le fameux tunnel de l'A24 situé auprès de L'Aquila.
L'un des objectifs les plus ambitieux de l’astrophysique nucléaire est d'expliquer l'origine et l'abondance de tous les éléments chimiques que nous connaissons, et qui prennent naissance dans le cœur des étoiles, dans de multiples réactions thermonucléaires et sous de multiples scénarios possibles, ainsi que dans l'Univers primordial et sa nucléosynthèse du même nom...
Dans les étoiles, tout commence avec l'hydrogène, c'est à dire avec des protons. Le premier processus de fusion nucléaire consomme 4 protons pour finalement produire un noyau d'hélium, en libérant une énergie de 27 MeV. La combustion nucléaire de l'hydrogène correspond à la phase la plus longue de la vie d'une étoile et est responsable de sa luminosité. Il y a deux voies possibles pour produire un noyau d'hélium à partir de 4 protons, soit par le processus appelé p-p, soit par celui, plus efficace, dit du cycle CNO. D'autres types de processus existent ensuite dans les étoiles de deuxième génération, comme les cycles NeNa ou MgAl.
Vue du hall principal du laboratoire souterrain du Gran Sasso (INFN) |
LUNA a utilisé un "petit" accélérateur de 50 kV entre 1992 et 2001 et utilise aujourd'hui une machine un peu plus grosse de 400 kV. Ces accélérateurs permettent de produire des réactions nucléaires entre protons et deutérium par exemple, ou encore entre deux noyaux d'hélium-3, deux réactions fondamentales qui entre en jeu dans le processus p-p. Mais les résultats les plus importants ont sans doute été obtenus par l'étude de la réaction d'un proton sur un noyau d'azote-14, une réaction qui produit un noyau d'oxygène-15 et l'émission d'un photon gamma. Cette réaction a notamment des conséquences sur la production de neutrinos du cycle CNO, ainsi qu'indirectement sur l'âge des amas globulaires.
On peut également citer une autre réaction nucléaire d'importance étudiée par LUNA, la réaction dans laquelle on bombarde de l'hélium-4 sur de l'hélium-3 et qui produit du béryllium-7 et un photon gamma, cruciale pour comprendre la production de lithium lors de la nucléosynthèse primordiale d'une part et la production de neutrinos solaires par le béryllium-7 et le bore-8 d'autre part.
Le point commun de ces expériences, outre qu'elles accélèrent des ions sur des cibles, est qu'elles nécessitent de détecter des rayons gamma de relativement haute énergie, ce qui permet d'en déduire combien il y a effectivement eu de réactions, par rapport au nombre d'ions envoyés, et donc de déterminer la probabilité de la réaction en question (sa section efficace).
Comme je l'ai déjà dit, ces probabilités peuvent être très petites, il y a donc alors peu de rayons gamma produits. Or, des rayons gamma, il y en a partout autour de vous... Ils proviennent de la radioactivité naturelle. Pour s'en débarrasser lorsqu'on est au niveau de la mer, cela peut vite devenir complexe. On utilise des blindages autour des détecteurs de rayonnement, le plus souvent des détecteurs à semi-conducteur au germanium refroidi ou des scintillateurs en germanate de bismuth. Ces blindages vont fortement atténuer ou carrément absorber les photons gamma. Les meilleurs blindages de ce type sont ceux utilisant des matériaux de numéro atomique élevé, le plomb le plus souvent.
Spectre gamma du bruit de fond mesuré à LUNA (sans blindage plomb en bleu, avec blindage en rouge) (LUNA collab.) |
Mais le plomb au niveau de la mer, comme les autres éléments lourds, possède un défaut majeur : lorsqu'il est utilisé sous forme de gros volume (comme ce qui est nécessaire dans les mesures de LUNA), des muons du rayonnement cosmique vont y produire des réactions de spallation, créant des petites gerbes de neutrons. Et ces neutrons à leur tour vont pouvoir produire des réactions de diffusions inélastiques et de capture sur les noyaux d'atome rencontrés, en produisant devinez quoi ? Des rayons gamma... On peut ainsi générer des photons gamma à proximité immédiate d'un détecteur en voulant éliminer les photons gamma venant de plus loin...
La seule solution pour remédier à cette quadrature du cercle est d'éliminer le flux de muons cosmiques responsable des interactions parasites dans le plomb, et donc d'aller s'enfouir en profondeur sous 1400 mètres de roches, là où le flux de muons est réduit d'un facteur 1 million.
Dans le laboratoire souterrain du Gran Sasso, les détecteurs germanium entourant l'accélérateur de LUNA peuvent être surblindés en plomb sans risque, et ainsi éliminer la quasi totalité de la radioactivité ambiante pour ne détecter que les photons gamma des précieuses petites réactions nucléaires des étoiles qui sont reproduites dans un silence abyssal...
Une évolution de LUNA est d'ores et déjà prévue pour entrer en service en 2018 et déjà les américains et les chinois montrent des velléités de suivre les pas européens innovants de l'astrophysique nucléaire souterraine.
Source :
Nuclear astrophysics and underground accelerators
Alessandra Guglielmetti, for the LUNA collaboration
Physics of the Dark Universe, Volume 4, September 2014
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