L’existence de trous noirs supermassifs de plus de 1
milliard de masses solaires dans un Univers à peine âgé de 1 milliard d’années
pose de grandes questions aux astrophysiciens.
Comment de tels objets ont-ils pu grossir de la sorte en si peu de temps ? Ces trous noirs supermassifs sont les sources d’énergie qui sont à l’origine des quasars, objets extrêmement lumineux et lointains, connus depuis une cinquantaine d’année.
Comment de tels objets ont-ils pu grossir de la sorte en si peu de temps ? Ces trous noirs supermassifs sont les sources d’énergie qui sont à l’origine des quasars, objets extrêmement lumineux et lointains, connus depuis une cinquantaine d’année.
Vue d'artiste d'un trou noir entouré par un disque d'accrétion. (NASA/CXC/SAO) |
Les quasars les plus lointains
que nous connaissons se situent dans une zone de l’espace-temps où l’Univers
n’avait que 6% de son âge, soit un peu moins d’un milliard d’années. Les
premières étoiles, elles, sont apparues quand l’Univers était âgé environ d’une
centaine de millions d’année et les premières galaxies aux alentours de 500
millions d’années.
Ce que l’on pense aujourd’hui,
c’est que les trous noirs supermassifs grossissent par fusion successives de
trous noirs de masses intermédiaires, de plusieurs centaines de milliers de
masse solaire. Mais un trou noir « normal » se forme par
l’effondrement d’une étoile qui peut avoir environ une masse de 10 masses
solaires, seulement. Les premiers trous noirs sont apparus après l’effondrement
d’étoiles de la toute première génération, celles qui sont nées quelques
centaines de millions d’années après la singularité initiale, et qui ont dû
avoir une durée de vie très courte, probablement moins de 100 millions
d’années.
On pense donc raisonnablement
qu’il existait de nombreux trous noirs stellaires (de l’ordre de 10 masses
solaires) dans l’Univers âgé de 300 à 400 millions d’années.
Mais comment peut-on passer de
trous noirs de 10 masses solaires à des énormités de plus de 100000 masses
solaires en l’espace de seulement 600 millions d’années ? Cette question
est l’une des grandes énigmes actuelles en astrophysique. La question se pose
car le grossissement en masse des trous noirs par accrétion de matière est un
processus limité : le taux d’accrétion d’un trou noir (la quantité de
masse attrapée par seconde) ne peut pas dépasser une certaine limite physique,
le taux d’Eddington, qui est lié à la pression de radiation produite par le
rayonnement du disque d’accrétion, qui vient s’opposer à la force de
gravitation faisant tomber le gaz dans le disque d’accrétion.
Schéma du principe d'accrétion exponentielle par diffusion au sein d'un amas dense. Le trou noir a un mouvement erratique et collecte de la matière dans son mouvement. (Alexander et al., Science) |
Deux astrophysiciens, un
israélien et un américain, viennent de proposer une solution possible à cette
énigme. Dans un court article paru dans le numéro de Science de vendredi dernier, ils proposent un mécanisme dynamique
permettant à un trou noir stellaire d’outrepasser la limite d’Eddington et de
grossir très rapidement et très fortement pour atteindre la taille d’une graine
de trou noir supermassif, soit 10000 masses solaires en moins de 10 millions
d’années.
Leur proposition est la
suivante : à l’origine, un trou noir stellaire de 10 masses solaires se
trouve emprisonné à l’intérieur d’un amas très dense d’étoiles. De plus, cet
amas est traversé par un flux de gaz froid et dense également. Ce type d’amas
d’étoiles pourrait être les toutes premières proto-galaxies.
Ce qui se passe est que le disque
d’accrétion entourant le trou noir est fortement perturbé par les multiples
interactions gravitationnelles entre le trou noir et les étoiles environnantes,
très nombreuses. De fait, le trou noir se retrouve comme balloté dans un
mouvement erratique parmi les milliers d’étoiles de l’amas. De plus, le flot de
gaz froid circulant au milieu de tout ce monde a pour effet de rendre opaque le
milieu à proximité immédiate du disque d’accrétion du trou noir. La conséquence
de ces effets simultanés est une sorte de disparition de la limite d’Eddington :
dans ces conditions particulières, le trou noir se retrouve pouvoir accréter et
absorber tout le gaz (et les étoiles sont du gaz) se trouvant sur son chemin
avec un taux (la quantité de masse par seconde) sans aucune limite. Ce
grossissement est qualifié par les auteurs de supra-exponentiel, c’est dire…
Tal Alexander et Priyamvada
Natarajan montrent que dans ces conditions particulières, un trou noir de
taille stellaire atteint 10000 masses solaires en moins de 10 millions
d’années. Ils indiquent également qu’avec de telles graines de trous noirs de 10000 masses solaires, le seul effet d’une
accrétion revenue dans un régime normal (avec limite d’Eddington) suffirait à
obtenir des trous noirs de 1 milliard de masse solaire quelques centaines de
millions d’années plus tard, même sans avoir recours à des fusions de graines…
Ils concluent leur article en
précisant qu’il n’est même pas nécessaire qu’un tel mécanisme ait lieu
systématiquement. Si cela a eu lieu dans seulement 1 à 5% des amas denses
d’étoiles de l’Univers très jeune, ce serait suffisant pour expliquer le nombre
de quasars que nous voyons aujourd’hui.
Serait-ce le début de la fin
d’une énigme ?
Rapid growth of seed black holes in the early universe by supra-exponential accretion
Tal Alexander and Priyamvada Natarajan
Science, vol 345 issue 6202 (12 september 2014)
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