L’origine des rayons cosmiques
ultra-énergétiques est aujourd’hui toujours mystérieuse. Et pour cause, on a du
mal a en détecter suffisamment pour déterminer leur direction de provenance
dans le ciel, ce qui pourrait aider à comprendre leur origine.
Ces protons (pour la plupart) qui
peuvent avoir une énergie de 1020 eV sont effectivement assez rares.
On parvient à en détecter avec un taux d’une particule par kilomètre carré par
siècle. Il faudrait donc agrandir considérablement nos détecteurs si on ne peut
compresser le temps…
Le plus grand détecteur dédié à
une telle recherche de particules cosmiques ultra-énergétiques est l’Observatoire
Pierre Auger, du nom du grand physicien français qui fut un pionnier de la
physique subatomique. L’Observatoire Pierre Auger est un vaste réseau de
détecteurs disposés dans la pampa argentine sur environ 3000 km². Le concept à
la base de ce type de détecteurs est d’être sensible non pas à la particule
primaire ultra-énergétique, mais aux nombreuses particules secondaires et
tertiaires qui se forment par interactions dans la haute atmosphère. En
détectant et mesurant l’énergie et la direction de milliers de particules
secondaires formant de grandes gerbes, on parvient à reconstruire les
caractéristiques de la particule leur ayant donné naissance.
Mais l’Observatoire Pierre Auger
n’est pas encore assez grand pour capturer suffisamment d’ultraparticules… Il n’en
analyse environ que 30 par an avec une bonne donnée directionnelle, ce qui est vraiment
trop peu pour avoir des résultats statistiquement propres…
Comment faire ? Des
physiciens anglais, russes, hollandais et australiens viennent de proposer une
idée étonnante, et pour le moins innovante. Ils proposent d’utiliser la Lune
comme détecteur de particules! La moitié du détecteur en fait, car l’autre moitié
reste sur Terre. Leur idée est la suivante : de même que les particules
cosmiques produisent des interactions dans la haute atmosphère, elles le font
également avec toute la matière qu’elles rencontrent sur leur trajet. Et la
Lune peut bien sûr se retrouver sur le trajet. Comme lorsqu’elles parviennent
dans l’atmosphère terrestre, les particules ultra-énergétiques vont produire d’intenses
gerbes de particules secondaires dans la croûte de la Lune. L’effet que l’équipe de physiciens souhaite utiliser est un phénomène physique qui est appelé l’effet Askaryan, du nom du physicien
soviétique qui l’avait mis en évidence dans les années 1960.
Rayonnement Askaryan produit par une particule énergétique dans le régollithe lunaire (J. Bray et al.) |
Ici, ce ne sont
pas directement les gerbes de particules secondaires que l’on va chercher à
détecter, et non, parce que ces particules sont réabsorbées très vite par la
croûte lunaire. L’effet Askaryan a lieu exactement au moment où la particule
primaire interagit avec un noyau d’atome et produire une gerbe de particules
secondaires. Toutes ces particules (la primaire comme les secondaires) sont des
particules électriquement chargées. Et dès la production de la gerbe, de
nombreuses particules produites subissent une très forte décélération. Et qui
dit décélération de charge électrique dit rayonnement électromagnétique. L’effet
Askaryan est une émission d’ondes électromagnétiques (dans le domaine des ondes
radio) lors de la production des gerbes de particules. Cette émission est très
intense, mais surtout très très courte, environ une nanoseconde.
La solution envisagée est tout de
même un peu subtile, car en effet, la Lune offre potentiellement une surface de
détection considérable, mais les ondes radio sont elles aussi absorbées par la
croûte lunaire. Il en résulte que la surface utile est en fait constituée seulement par
les bords de la Lune, là où le rayonnement n’a qu’une mince épaisseur à
traverser. D’autre part, l’émission radio est produite en lobes, ce qu'il faut prendre en compte.
L’équipe mené par Justin Bray a
calculé qu’une telle émission en provenance des bords de la Lune serait assez facilement
détectable avec le futur grand réseau de radiotélescopes actuellement en
construction en Australie et en Afrique du Sud , le SKA
(Square Kilometer Array). Ils estiment que la Lune associée au SKA serait
équivalente à un observatoire dix fois plus vaste que l’Observatoire Pierre
Auger, et permettrait donc de capturer (indirectement) 10 fois plus de rayons
cosmiques ultra-énergétiques dans la même durée…
Ce qui est vraiment très intéressant avec ce principe de détection, c'est qu'il s'applique également aux neutrinos énergétiques, qui sont eux-aussi mystérieux et possèdent a priori une autre origine. L'intérêt est donc multiple, et quand l'imagination est au pouvoir, on ne peut pas l'arrêter...
Référence :
Lunar Detection Of
Ultra-High-Energy Cosmic Rays And Neutrinos
J.Bray et al.
arxiv.org/abs/1408.6069
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