mardi 4 novembre 2014

A quoi ressemble un couple de Trous Noirs ? Pas à ce à ce que vous croyez...

Les trous noirs sont très bien décrits par les équations de la relativité générale d'Albert Einstein. Mais ces équations sont si complexes du fait de leur non-linéarité, que personne jusqu'à présent n'avait réussi à déterminer la forme de l'espace-temps autour d'un couple de trous noirs proches de fusionner. Et bien ce que vous voyez là est le résultat de cette quête enfin réussie. Cet objet très étrange, comme fait de petit bouts tout noirs est exactement ce qu'un observateur passant à proximité d'un couple de trous noirs verrait en les regardant...



Simulation de deux trous noirs en rotation proche de leur fusion (Andy Bohn et al.)
Comment une telle déformation est-elle possible ? Les trous noirs sont-ils déchirés pour former des petites protubérances ? Non, les deux trous noirs sont encore deux objets tout à fait distincts, mais ils produisent un très fort effet de lentille gravitationnelle, en déformant l'espace-temps autour d'eux. Et chaque trou noir du couple faisant de même, il se produit des effets optiques très étranges. 
Les effets de lentille gravitationnelle produits par un seul trou noir ont été étudiés et sont assez facilement calculables depuis les années 1970. Rappelons que ce phénomène vient du fait que l'espace-temps se déforme par la présence d'une forte densité de matière : les rayons de lumière parcourent une ligne droite, mais sur un canevas d'espace-temps qui se trouve incurvé, semblant ainsi parcourir des trajectoires curvilignes à proximité de la masse responsable.
Principe du ray-casting avec un seul trou noir (Bohn et al.)

Et la présence de deux trous noirs côte à côte, qui plus est en rotation très rapide l'un autour de l'autre, rend les équations affreuses (pour ne pas dire impossibles) à résoudre. 
Mais les progrès de l'informatique étant ce qu'ils sont, la résolution de telles équations sont devenues possibles et ont pu être mises en application sur des cas concrets pour calculer toutes les distorsions des trajets des photons lumineux venant de l'arrière plan d'un couple de trous noirs.
Cette étude animée par l'astrophysicien Andy Bohn du Center for Radiophysics and Space Research de Cornell University, est l'objet d'un article paru il y a quelques jours sur le site de préprints ArXiv. C'est la première fois que nous pouvons "voir" à quoi doit ressembler un couple de trous noirs très rapprochés.
La technique employée par Bohn et ses collègues est une technique appelée le ray-casting : ils produisent une image géométrique en calculant le trajet des rayons lumineux de la "caméra" jusqu'à l'infini en interposant au milieu l'objet modifiant ledit trajet, c'est à dire les solutions des équations du couple de trous noirs, ainsi que les trous noirs eux même, par lesquels aucun rayon ne peut passer bien sûr, zones noires.
Image géométrique construite à partir de deux trous noirs de masse égale.
(Bohn et al.)

Bohn et son équipe ont commencé doucement par simuler un seul trou noir, qui montre déjà des effets intéressants comme par exemple une asymétrie due au sens de rotation du trou, qui permet à un photon d'approcher plus près si il se déplace dans la même direction que la rotation de l'espace-temps emporté par le trou noir. Puis ils ont ajouté un second trou noir en interaction avec le premier, et c'est là que c'est devenu fascinant.

Les chercheurs ont vu apparaître ces formes tout à fait surprenantes où des morceaux de trous noir en forme de gros sourcils apparaissent à côté de chacun des deux trous noirs initiaux, eux-mêmes très déformés, très loin d'une forme sphérique. Et quand on y regarde de près, on peut en outre apercevoir à côté des ces gros sourcils, de plus petites formes noires oblongues, des ombres comme une suite fractale de zones de trou noir, d'où ne parviennent aucun photon.
C'est grâce à ce type d'image géométrique construite à partir d'une projection à l'infini de rayons en y appliquant les bonnes équations que Bohn et al. ont pu produire cette belle image que je vous montre en début de billet avec la voie lactée en image de fond d'un hypothétique couple de trous noirs.


On peut se demander si il serait possible de voir "en vrai" de tels effets depuis la Terre. La réponse est aujourd'hui non. Pour commencer à voir de tels effets, il faudrait avoir sous la main un tel couple de trous noirs, situé à une distance vraiment très proche, ou encore avoir des télescopes permettant une résolution d'image extrêmement haute que nous sommes encore loin de concevoir. Il semble également qu'un tel couple de trous noirs qui serait entouré de matière, d'un disque d'accrétion, ressemblerait vu d'un peu loin à un trou noir unique... 
Mais un jour futur viendra où un homme verra réellement cette grande illusion cosmique et ne sera pas surpris outre mesure, car il saura désormais à quoi s'attendre. En attendant cette future observation, Andy Bohn et son équipe s'attaquent maintenant à simuler les effets de lentille gravitationnelle d'objets en couple peut-être un peu plus accessibles comme des couples d'étoiles à neutron ou des couples mixtes étoiles à neutron - trou noir. De belles images à venir!

What would a binary black hole merger look like?
Andy Bohn et al.
http://arxiv.org/abs/1410.7775 (28 octobre 2014)

6 commentaires :

Unknown a dit…

Joli, mais il n'y a pas (encore) de disque d'accrétion ni de jets ...

Apparemment il y a une visualisation relativiste du disque d'accrétion dans le film "Interstellar" que je vais aller voir ASAP. Pour les jets, je n'ai encore jamais vu de visualisation de leur formation... J'imagine que tenir compte de phénomènes électromagnétiques en plus de la relativité ne doit pas être de la tarte.

Mon souhait serait qu'on arrive à simuler 2 trous noirs en interaction avec leurs disques et jets pour 2019.

Pourquoi 2019 ? Parce que c'est la date du prochain feu d'artifice vers OJ 287 http://www.drgoulu.com/2008/04/18/ca-cest-du-trou-noir-du-vrai/

Anonyme a dit…

Outre les effets optiques décrits ici connait-on d'autres effets physiques théoriques d'un fusion de trous noirs?
Un tel phénomène serait-il détectable par exemple dans le cas d'une collision entre galaxies, qui comme nous le savons contiennent presque toujours en leur centre un trou noir supermassif

Dr Eric Simon a dit…

Oui, l'effet le plus important lors d'une fusion de deux trous noirs et la production intense d'ondes gravitationnelles, dont l'émission en quelque sorte est l'origine du rapprochement des deux trous. La perte d'énergie gravitationnelle du système binaire de trous noirs est transportée au loin par les ondes gravitationnelles, qui sont la dernière prédiction de la relativité générale à n'avoir encore jamais été détectée directement. Ces ondes devraient être détectables et sont actuellement activement recherchées, grâce par exemple aux détecteurs interférométriques VIRGO et LIGO.

Dr Eric Simon a dit…

Merci Philippe pour ce lien, c'est vrai que cet OJ 287 est un beau bébé ;-)
Petite précision, dans ton billet tu dis que Sgr A* fait 2,7 millions de masses solaires. On sait aujourd'hui que c'est plutôt 4,2 millions. Mais bon, à côté des 18 milliards de celui de OJ 287, on peut dire que c'est pareil...
Moi aussi je vais devoir aller voir ce film, dès demain sûrement.

Anonyme a dit…

"Cet objet très étrange [...] est exactement ce qu'un observateur passant à proximité d'un couple de trous noirs verrait en les regardant..."

Je ne veux pas être rabat-joie mais il ne manquerai pas le disque d'accrétion sur cette image?

Will

Dr Eric Simon a dit…

@Will Bien sûr qu'il ne figure pas de disque d'accrétion dans cette simulation. Chaque chose en son temps... Ajouter de la magnétohydrodynamique radiative à des équations dynamiques de géodésiques n'est sans doute pas très aisé...