Les physiciens japonais ont pour projet de construire un détecteur de neutrinos gigantesque, de plus d’un million de tonnes… Ce futur détecteur s’appelle HyperKamiokande, et prendrait la suite de l’actuel SuperKamiokande.
Illustration d'une vue d'ensemble du détecteur Hyper Kamiokande (Hyper-K collaboration) |
HyperKamiokande, qu’on appelle déjà Hyper-K, permettrait de détecter 20 fois plus de neutrinos que SuperKamiokande dans la même durée, ou le même nombre, mais 20 fois plus vite, si vous préférez ; faire en 5 ans ce que Super-K aurait pu faire en un siècle.
Hyper-K serait constitué de deux énormes réservoirs d’eau ultra-pure, de 250 m de long. Il permettrait non seulement de détecter les neutrinos en provenance du ciel (neutrinos solaires ou neutrinos astrophysiques des supernovas ou d’ailleurs, ainsi que des neutrinos atmosphériques produits dans la haute atmosphère), mais aussi des neutrinos produits par l’Homme envoyés dans ce méga détecteur par un faisceau d’un accélérateur de particules. L’un des challenges à accomplir pour disposer d’un tel instrument unique en son genre sera de réunir la bagatelle de 800 millions de dollars. C’est notamment dans cet objectif que des physiciens de 13 pays se sont réunis le weekend dernier pour lancer ce qui ressemble à une protocollaboration, à même de s’adresser d’un seul nom aux diverses agences de financement de la recherche. L’affaire est loin d’être gagnée car il y aura de la concurrence, d’un côté certains physiciens japonais souhaite installer au Japon le plus grand collisionneur de particules (électrons-positrons), l'International Linear Collider, et de l’autre, les américains ont un autre projet de détecteur géant de neutrinos.
L’aventure japonaise des neutrinos a commencé il y a 30 ans avec l’expérience Kamiokande (Kamioka Nucleon Decay Experiment), qui démontra qu’il était possible de déterminer l’énergie et la direction de trois types de neutrinos différents : les neutrinos du soleil, ceux provenant d’une supernova et ceux produits dans l’atmosphère par interaction de rayons cosmiques. Ces recherches valurent d’ailleurs à son responsable scientifique Masatoshi Koshiba le prix Nobel de Physique en 2002. On se souvient notamment de la détection le 23 février 1987 par Kamiokande d’une poignée de neutrinos provenant de la fameuse supernova du grand nuage de Magellan SN1987A.
Vue de l'intérieur du détecteur SuperKamiokande (Kamioka observatory) |
Puis dans les années 1990, Kamiokande et devenu SuperKamiokande (Super-K), et a permit de démontrer que les neutrinos avaient bien une masse… L’objectif de l’évolution de Super-K en Hyper-K serait d’aller explorer encore davantage les propriétés des neutrinos. Le procédé physique utilisé resterait le même : les neutrinos interagissent dans l’eau en créant indirectement de la lumière par effet Cerenkov. L’analyse de cette lumière permet ensuite de déterminer de nombreux paramètres, comme le type de neutrino parmi les trois familles connues, l’énergie, et leur direction d’incidence. Ces énormes réservoirs instrumentés de milliers de photomultiplicateurs sont enfouis par 1000 m de profondeur dans une ancienne mine, de manière à réduire les bruits de fond parasites.
Kamiokande contenait 3000 tonnes d’eau et 1000 capteurs de lumière, puis Super-K à partir de 1996 monta à 50000 tonnes d’eau et 13000 capteurs, et Hyper-K est prévu pour être formé de deux réservoirs contenant chacun 1 million de tonnes d’eau et 100 000 capteurs…
Le nombre de personnels impliqués dans les projets grossit quasi proportionnellement; alors qu’ils étaient une vingtaine, tous japonais, sur Kamiokande, Super-K est composé de 120 scientifiques pour moitié non-japonais, et Hyper-K implique déjà près de 250 chercheurs et ingénieurs de plus de 60 laboratoires répartis dans le monde, alors qu'on est qu’au stade du papier.
L’une des particularités de Super-K est qu’il permet d’étudier des neutrinos produits par un accélérateur de proton, le J-PARC (Japan Proton Accelerator Research Complex), qui est situé à Tokai, à 295 km de là et qui tire des neutrinos en direction de Super-K. Ce type de mesure permet d’étudier comment les neutrinos oscillent d’une saveur à une autre (un neutrino électronique se transforme en neutrino muonique ou tauique, et/ou vice-versa). Hyper-K fera bien sûr le même type de mesures, mais les physiciens de J-PARC proposent en plus de multiplier par trois l’intensité du faisceau de neutrinos à cette occasion.
Mais c’est peut-être l’observation des neutrinos astrophysiques qui est la plus exaltante : les chercheurs ont estimé que si une supernova explosait (enfin !, on l’attend depuis 400 ans) dans notre galaxie, Hyper-K pourrait détecter 250000 neutrinos en l’espace de 10 secondes, permettant des données fabuleuses pour comprendre ces explosions d’étoile.
Il existe une dernière cerise sur le gâteau : Hyper-K est tellement massif avec ces millions de tonnes d’eau et possède tellement de photodétecteurs, qu’il pourrait être sensible pour détecter la désintégration d’un seul proton. La désintégration du proton a été postulée mais n’a encore jamais été observée. Si elle l’était, notre vision de l’Univers (futur) en serait bouleversée…
En attendant, la proto-collaboration devrait rendre ses études de design à la fin de l’année, avec l’espoir de débuter une construction en 2018, pour une mise en service dès 2025. C’est demain.
Source :
Japanese neutrino physicists think really big
Dennis Normile
Science Vol. 347 no. 6222 p. 598 (6 February 2015)
Aucun commentaire :
Enregistrer un commentaire