Le rayonnement cosmique dégrade fortement et durablement les cellules nerveuses du cerveau. C’est la conclusion que tire une étude récente effectuée sur deux espèces de rongeurs; elle pose de sérieuses questions sur les missions habitées de longue durée, vers Mars ou ailleurs.
Charles Limoli (Université de Californie) et ses collaborateurs ont simulé l’irradiation que subiraient des astronautes au-delà de la magnétosphère terrestre, où les champs magnétiques ne dévient plus ces particules très énergétiques qui forment le rayonnement cosmique galactique. Ils ont utilisé des faisceaux d’ions lourds d’oxygène et de titane produits par l’accélérateur du Space Radiation Laboratory de la NASA à Brookhaven (New York) pour simuler les rayons cosmiques galactiques qui sont eux aussi des noyaux atomiques fortement accélérés. Les chercheurs n’ont bien sûr pas exposé des hommes ou des femmes mais des souris et des rats, deux espèces différentes sur lesquelles ils observent les mêmes effets.
L’étude qu’ils ont publiée dans Scientific Reports en octobre dernier indique que cette irradiation type produit des dommages significatifs durables sur le cerveau. Ces lésions conduisent à des troubles cognitifs sévères sur la mémoire voire des démences, jusqu’à six mois après l’exposition au rayonnement. Une première étude du même genre avait été publiée en mai 2016 par la même équipe et avait conclu à l’apparition d’effets à courts termes des rayons cosmiques galactiques. Cette étude se trouve donc confirmée et même amplifiée.
Charles Limoli, professeur en médecine spécialiste des traitements du cancer par rayonnements précise : «Ce n’est pas une bonne nouvelle pour les astronautes qui devront effectuer un voyage de 2 à 3 ans pour aller, séjourner puis revenir de Mars ! » Parmi les effets envisagés qui seraient induits par les types de lésions observés sont évoqués des pertes de mémoire, de l’anxiété, des états dépressifs ou encore des prises de décision erronées. En un mot, tout ce qu’il ne faut pas quand on est un astronaute qui se balade à la surface de la planète rouge… Et tous ces maux seraient durables une fois rentrés.
Six mois après l’exposition aux rayonnements, les chercheurs trouvent encore dans le cerveau des rongeurs étudiés une inflammation significative du cerveau avec des dommages aux neurones. Une imagerie du cerveau des souris et des rats utilisés montre que le réseau neuronal est fortement dégradé par la réduction du nombre de dendrites et d’axones, ce qui a pour effet de couper la transmission des signaux entre neurones. Les animaux montrant ces déficiences ont été testés en parallèle sur leurs performances d’apprentissage et de mémoire et ont montré des résultats très médiocres comparés aux rongeurs témoins non irradiés.
Les chercheurs américains ont également mis en évidence un comportement étonnant sur les animaux irradiés : la disparition du processus d’extinction de la crainte, le processus par lequel le cerveau supprime les références à des expériences traumatisantes, désagréables ou stressantes, comme lorsque que quelqu’un qui a failli se noyer apprend à aimer entrer dans l’eau à nouveau. La disparition de ce processus d’extinction de la crainte conduit naturellement à développer une anxiété.
Ces mêmes types de dysfonctionnements cognitifs sont fréquemment rencontrés chez les patients atteints par un cancer du cerveau et qui ont reçus de fortes doses durant leur traitement en radiothérapie (irradiation par photons gamma ou X).
Même si les déficits cognitifs de type démence mettraient plusieurs mois pour ce manifester chez les astronautes selon les chercheurs, la durée nécessaire pour une mission vers Mars est largement suffisante pour que cela arrive durant le voyage.
Il n’existe pas aujourd’hui de solution efficace pour protéger un vaisseau spatial des rayons cosmiques galactiques, que ce soit par l’ajout de blindages massifs, qui devraient être ultra-massifs ou la production de puissants champs magnétiques, qui devraient être ultra-puissants. Une fois à la surface de Mars, il reste toujours la solution de s’enterrer en profondeur, mais on imagine que cela deviendrait vite pénible de ne pas pouvoir explorer la surface martienne.
Le groupe de recherche de Charles Limoli travaille donc sur une solution alternative basée sur une stratégie pharmaceutique, des médicaments capables de réduire l’effet des radicaux libres produits par les rayonnements ionisants et de protéger les neurones. Les recherches sont pour le moment très préliminaires…
Il reste aussi une autre solution qui serait (et qui est déjà) très efficace pour explorer Mars : y envoyer des robots à la place des hommes, qui ont le gros avantage d’être munis de réseaux de neurones en silicium.
Référence
Cosmic radiation exposure and persistent cognitive dysfunction
Vipan K. Parihar et al.
Scientific Reports 6, Article number: 34774 (2016)
Illustrations
1) Selfie d'astronaute à bord de l'ISS (NASA)
2) vue d'artiste d'un concept de véhicule de transport vers Mars (NASA)
3 commentaires :
Bonsoir
Ces ions lourds devraient mettre un peu de plomb dans la tête de ces écervelés et attardés du Progrès qui, plutôt qu'éviter de transformer notre Terre en poubelle, rêvent de coloniser d'autres planètes pour y recommencer les mêmes idioties...
Article très pessimiste et défaitiste. La Société Planète Mars, la Planetary Society, Elon Musk et Robert Zubrin vont trouver une solution à ce problème médical ridicule. Ils vont proposer une fusée de 100 000 tonnes, mue par 25 réacteurs à fusion nucléaire pour aller sur Mars, puis creuser à 1000 mètres de profondeur une ville souterraine, et enfin, créer une atmosphère pour protéger Mars. Voilà.
Inutile de préciser qu'on aura reconnu l'ironie acerbe et fulgurante de Serge Brunier ;-)
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