22/11/17

Nos nuits noires disparaissent de plus en plus


Cinq ans de suivi satellitaire de notre planète montrent qu'il y a de plus en plus d'éclairages artificiels durant la nuit et que ces lumières sont de plus en plus intenses. La surface éclairée et l'éclat produit augmentent au rythme d'environ 2% par an, rendant nos nuits de moins en moins noires, avec des effets néfastes non seulement pour la faune, la flore et nous, mais aussi sur la pratique ancestrale de l'observation du ciel...



Christopher Kyba (GeoForschungsZentrum, Potsdam) et ses collaborateurs publient aujourd'hui dans Science Advances les résultats qu'ils ont collectés sur la période 2012-2016 grâce au satellite d'observation américain Suomi. Ils ont mesuré année après année la surface qui est éclairée par des éclairages artificiels durant la nuit et la luminosité associée. Ils observent une très nette augmentation qui peut être attribuée à la révolution des lampes à LED, qui sont sensées, grâce à leur efficacité plus grande, réduire la consommation d'énergie  globale. Mais l'équipe de Kyba montre que la très forte augmentation du nombre de LED produit au final une surface d'éclairement et une luminance qui augmentent de manière continue, de l'ordre de 2% tous les ans. Elle remet en cause les bénéfices supposés de l'utilisation des LED. Le pire c'est que les chercheurs montrent que l'accroissement de la pollution lumineuse se voit quasi partout, avec de très fortes augmentations dans des pays qui en étaient auparavant relativement épargnés.
En gros, ce que montrent les chercheurs en comparant l'évolution du PIB et de l'éclairage nocturne pays par pays, c'est que les économies réalisées grâce à l'utilisation des lampes à basse consommation à base de LED ont été réinvesties dans de nouvelles LED, et au final, on ne réduit pas notre consommation d'énergie pour l'éclairage et on accroît toujours plus la surface éclairée et l'éclat de la nuit.


En outre, les mesures de l'instrument VIIRS  (Visible Infrared Imaging Radiometer Suite Day-Night Bandembarqué sur Suomi sont sans doute sous-estimées car le radiomètre est peu sensible aux longueurs d'ondes inférieures à 500 nm, dans le bleu. Or les LED blanches émettent beaucoup dans les longueurs d'ondes du bleu. Et malheureusement, la lumière bleue est aussi celle qui est la plus efficacement diffusée dans l'atmosphère (d'où la couleur du ciel diurne...), ce qui induit que la luminosité des villes est peut-être encore plus sous-estimée. Le remplacement des anciennes lampes par des LED dans les villes pourrait ainsi apparaître aux yeux de Suomi comme des régions s'assombrissant, alors qu'il n'en serait rien...
Les méfaits de l'éclairage artificiel sont connus depuis plusieurs décennies. Ils touchent la faune, les plantes, les micro-organismes, et notre santé et notre bien-être, et pas seulement la qualité de notre sommeil. On estime que l'éclairage artificiel a un impact négatif sur 30% des animaux vertébrés et sur 60% des invertébrés nocturnes. Et la pollution lumineuse affecte bien sûr le potentiel d'observation du ciel. Pour pouvoir distinguer des étoiles et des objets du ciel profond de faible luminosité (de magnitude élevée), le minimum de lumière parasite est requis. Le ciel ne peut s'observer que quand la nuit est noire...

Christopher Kyba et ses collaborateurs estiment qu'à moyen terme, les émissions de lumière artificielle dans l'environnement vont continuer à s’accroître, grignotant toujours plus les dernières régions qui connaissent encore un cycle jour-nuit naturel. Les chercheurs ne peuvent conclure leur étude qu'en espérant que la tendance s'inverse à plus long terme, et que la demande de nuit noire redevienne une préoccupation majeure des citoyens. Encore faut-il que ces citoyens sachent tout ce que peut leur apporter une nuit sans lumière artificielle.


Source

Artificially lit surface of Earth at night increasing in radiance and extent
Christopher C. M. Kyba, Theres Kuester, Alejandro Sánchez de Miguel, Kimberly Baugh, Andreas Jechow, Franz Hölker, Jonathan Bennie, Christopher D. Elvidge, Kevin J. Gaston and Luis Guanter
Science Advances Vol. 3, no. 11 ( 22 Nov 2017)


Illustrations

1) La France de nuit imagée par Suomi en 2012 (NASA/NOAA)

2) Evolution annuelle sur 5 ans de la surface éclairée et de la luminosité, par pays (facteur multiplicatif) (Kyba et al., Science Advances)


Association Nationale pour la Protection du Ciel et de l'Environnement Nocturnes 

International Dark-Sky Association


1 commentaire :

pclaurent a dit…

Une question me taraude: j'utilise des filtres interférentiels pour observer le ciel depuis mon lieu très pollué par la lumière. Ces filtres sont très efficaces pour réduire la lumière émise par les lampes à incandescence, mais en ce qui concerne les lampes LED ? Les astronomes amateurs doivent-ils à terme renoncer à toute réduction du "bruit" lumineux du ciel nocturne ?