Cela pouvait paraître évident, mais encore fallait-il l'observer. C'est désormais chose faite : Il y a bien une relation de proportionnalité entre la puissance du jet de particules émis par un trou noir et la quantité de matière qu'il vient d'accréter.
C'est le 11 novembre 2014 qu'a eu lieu un phénomène violent à 300 millions d'années lumière : ASASSN-14li, la destruction d'une étoile par effet de marée à proximité d'un trou noir supermassif. Des astrophysiciens du MIT et de l'Université Johns Hopkins se sont intéressés à cet événement sous l'angle des ondes radio. Dheeraj R. Pasham et Sjoert van Velzen ont analysé en détail les données X et radio qui ont été mesurées durant près de 200 jours après l’événement. Ils montrent que la structure temporelle du signal radio est à 90% la même que celle des rayons X, avec un délai de 13 jours. Cela révèle la présence d'un énorme jet de particules correspondant à la matière de l'étoile tombant vers le trou noir.
Pour les astrophysiciens, la similarité des deux signaux en terme de structure temporelle, indique que la puissance du jet est directement contrôlée par le taux d'accrétion de la matière de l'étoile.
Les spécialistes se doutaient qu'il devait exister un lien direct entre la puissance des jets de trous noirs et leur taux d'accrétion, mais ça n'avait jamais encore pu être observé. La relation a pu être mise en évidence grâce à l'observation des rayons X produits lors de l'accrétion de matière puis des ondes radios produites par le jet de particules deux semaines plus tard... Cette relation n'a pu être observée qu'à la faveur d'un événement unique transitoire, une étoile qui passe trop près de l'horizon du trou noir et qui se fait détruire après avoir été trop fortement déformée par la forte courbure de l'espace-temps.
Le processus de destruction d'étoile par effet de marée produit une bouffée colossale de rayonnement dans toutes les longueurs d'ondes, parmi les phénomènes les plus brillants qui existent, bien plus qu'une simple supernova.
Les ondes radio sont émises par des électrons accélérés dans un fort champ magnétique. Les astrophysiciens sont d'accord sur ce point mais mois d'accords quant à l'origine des électrons en cause. Certains ont proposé que peu de temps après l'explosion de l'étoile, une onde de choc se propage vers l'extérieur et apporte de l'énergie aux particules du plasma du milieu environnant, ce qui produit parallèlement des ondes radio. Si ce scénario était le bon, il n'apparaîtrait aucune structure similaire entre les rayons X produit par les débris stellaires tombant vers le trou noir et les ondes radio.
Le résultat de Pasham et van Velzen qui est publié dans the Astrophysical Journal remet complètement en cause ce scénario. Le fait de voir les mêmes fluctuations dans les rayons X et dans les ondes radio à 13 jours d'intervalle imposent nécessairement une production d'électrons différente.
Et les astrophysiciens calculent quelle est la taille des régions à l'origine d'une part des rayons X et d'autre part des ondes radio : ils trouvent une dimension de 25 fois la taille du Soleil pour les rayons X, contre 400000 fois la taille du soleil pour les ondes radio. Pasham et van Velzen proposent le scénario suivant : les ondes radio sont produites par un jet de particules énergétiques qui a commencé à sortir par le pôle du trou noir peu de temps après que le trou noir a commencé à absorber les résidus de l'étoile, mais la région de formation des ondes radio était si dense en électrons qu'une grande partie a été immédiatement réabsorbée par d'autres électrons.
Ce n'est qu'après que les électrons eussent parcouru une certaine distance dans le jet, conséquente, correspondant à un trajet de 13 jours, que les ondes radio purent s'échapper et finalement être détectées par nos radiotélescopes 300 millions d'années après.
Ces résultats vont aider à mieux caractériser la physique qui gère le comportement des jets des trous noirs, un élément clé dans l'évolution des galaxies. En effet, les jets de particules des trous noirs échauffent le gaz interstellaire de la galaxie et peuvent y stopper la formation d'étoiles (qui requiert du gaz froid). Les auteurs estiment que leur résultat devrait simplifier les modèles d'évolution galactique, ce qui est toujours une bonne nouvelle.
Source
Discovery of a Time Lag between the Soft X-Ray and Radio Emission of the Tidal Disruption Flare ASASSN-14li: Evidence for Linear Disk–Jet Coupling
Dheeraj R. Pasham and Sjoert van Velzen
The Astrophysical Journal, Volume 856, Number 1 (19 march 2018)
Illustrations
1) Vue d'artiste d'un trou noir produisant un jet de particules après avoir absorbé de la matière d'une étoile détruite (ESO/L. Calçada)
2) Evolution comparée du signal de rayons X et du signal radio émanant de ASASSN-14li (Dheeraj R. Pasham and Sjoert van Velzen)
2 commentaires :
Question niaiseuse. Où va la matière lorsqu’elle est absorbé par le TN ? Elle va s’écraser et s’empiler à la surface de l’astre ? Peut-on le savoir ou le « théoriser » vu qu’aucune information ne peut s’échapper d’un TN ?
Un trou noir n'a pas de surface "solide", l'horizon des événements a une surface virtuelle, c'est une frontière. Une fois que la matière à franchi cet horizon, elle ne peut que se diriger vers la singularité centrale, dont la théorie dit qu'elle est ponctuelle et e densité infinie (dans un TN de Schwarzchild) ou torique (dans un TN de Kerr). On ne peut rien dire de plus aujourd'hui mais comme les physiciens ont horreur de l'infini, on se doute bien que l'on atteint les limites de la Relativité Générale.
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