09/03/19

Neutrinos stériles : MINOS+ contredit MiniBooNE


L'expérience américaine MINOS+, dédiée à l'étude de l'oscillation des neutrinos, vient de fournir ses derniers résultats. Les nouvelles données paraissent exclure l'existence d'un quatrième type de neutrino qui serait stérile et massif, contredisant les récents résultats de l'expérience concurrente MiniBooNE. La particule candidate alternative pour la matière noire est donc un peu mal en point...




MINOS+ (Main Injector Neutrino Oscillation Search) est installée dans un laboratoire souterrain situé dans une ancienne mine à 800 m de profondeur, à Soudan dans le Minnesota. Le détecteur de 30 m de longueur est composé de plus de 400 plaques d'acier octogonales de 2,5 cm d'épaisseur chacune et de 8 m de hauteur, séparées par des plaques d'émulsion permettant d'enregistrer les traces de particules secondaires produites quand les neutrinos interagissent dans les plaques d'acier. Il est situé à 735 km du laboratoire national américain Fermilab, où est produit le faisceau de neutrinos muoniques à partir d'un faisceau de protons. L'expérience étudie comment oscillent les neutrinos en mesurant le flux de neutrinos muoniques qui arrivent dans le détecteur distant : la différence de flux mesurée entre les neutrinos produits et ceux détectés signe l'oscillation d'une saveur vers une autre.
L'excitation autour de l'existence d'une possible quatrième saveur de neutrinos encore inconnue s'est déclenchée en 1996, lorsque l'expérience américaine LSND (Liquid Scintillator Neutrino Detector) qui était installée au Laboratoire National de Los Alamos (Nouveau Mexique)  avait conclut à l'existence d'un excès d'antineutrinos électroniques émergeant d'un faisceau d'antineutrinos muoniques. Ce résultat ne pouvait s'expliquer que si les antineutrinos muoniques oscillaient vers des antineutrinos électroniques mais en passant par une autre saveur durant leur trajet entre leur lieu de production et le détecteur, des (anti)neutrinos qui aurait la particularité de n'avoir aucune interaction avec la matière ordinaire et d'être très massifs (ce qu'on appelle des neutrinos stériles). Puis à partir de 2007, une autre expérience américaine, nommée MiniBooNE (Mini Booster Neutrino Experiment), placée à 541 m de l'accélérateur de FermiLab commença à voir un effet similaire. En 2011, une anomalie récurrente qui était observée depuis une vingtaine d'années sur la mesure des flux d'antineutrinos électroniques provenant des plusieurs réacteurs nucléaires de puissance, et que l'on a appelé l'"anomalie des antineutrinos de réacteurs", a pu être expliquée théoriquement elle aussi par l'existence d'une quatrième saveur de neutrino, stérile.
Et en novembre dernier (voir ici) la collaboration MiniBooNE annonçait de nouveaux résultats, non plus concernant les antineutrinos mais les neutrinos, avec à nouveau un excès de neutrinos électroniques détectés à partir d'un faisceau de neutrinos muoniques, par rapport à ce qui était attendu, avec une signifiance statistique très élevée (4,5σ).
Aujourd'hui, MINOS+ ne confirme pas du tout les résultats de MiniBooNE, de LSND et des réacteurs nucléaires. Les résultats de la grande collaboration, qui sont publiés dans Physical Review Letters, sont en revanche en accord avec une analyse de neutrinos atmosphériques détectés par le détecteur antarctique géant IceCube datant de 2016, qui concluait à l'absence d'oscillation vers une quatrième saveur. Et il y a quelques semaines, l'expérience japonaise T2K excluait elle aussi le neutrino stérile dans une autre grande zone de l'espace des paramètres.
Là où MiniBooNE et LSND cherchaient à observer une oscillation de saveurs du second ordre (dans laquelle un neutrino muonique se transforme en neutrino stérile qui se transforme à son tour en neutrino électronique), MINOS+ et IceCube sont, elles, sensibles à une oscillation du premier ordre (où un neutrino muonique se transforme en neutrino stérile qui disparaît alors des "radars" du détecteur). Ces expériences de mesure de disparition sont donc plus directes et plus sensibles à l'existence ou non des neutrinos stériles...  Les chercheurs de l'expérience MINOS+ peuvent ainsi affirmer que si le signal vu par MiniBooNE était effectivement dû à l'existence d'un neutrino stérile, ce signal n'aurait pas pu être manqué par le détecteur de MINOS+.

Pour être exact, ce sont les modèles théoriques de neutrinos stériles les plus simples qui apparaissent incompatibles avec les données de MINOS+ et de IceCube. Certains modèles théoriques plus complexes parviennent encore à concilier les différents résultats expérimentaux, mais au prix d'hypothèses alambiquées, comme l'existence d'une nouvelle interaction inconnue avec un nouveau boson médiateur qui viendrait s'ajouter au neutrino stérile... Mais une explication bien plus terre-à-terre serait que le neutrino stérile n'existe pas et que l'excès d'événements attribués à des neutrinos électroniques dans MiniBooNE vienne d'une précision insuffisante dans la modélisation des diverses interactions qui ont lieu dans le détecteur. Le même type d'erreur aurait pu avoir été fait dans LSND, quant à l'anomalie des antineutrinos de réacteurs, elle pourrait simplement être induite par une connaissance imparfaite de la production des produits de fission de l'uranium et de leurs chaînes de décroissance radioactive...

L'expérience MINOS+ a cessé d'acquérir des données à l'été 2016 mais celles-ci, très riches, sont toujours analysées aujourd'hui. Les chercheurs de la collaboration MINOS+ vont tenter maintenant d'apporter une comparaison directe avec les résultats de MiniBooNE en analysant le signal d'apparition de neutrinos électroniques qu'ils ont obtenu dans leur détecteur (observation d'une oscillation de saveurs du second ordre). Il faut noter également que d'autres expériences (MicroBooNE, ICARUS et SBND), sont actuellement en cours à différentes distances du faisceau de neutrinos de Fermilab (le Booster Neutrino Beam). Elles pourraient bientôt apporter une clarification supplémentaire, en attendant l'arrivée dans quelques années des monstres de détection que seront HyperKamiokande et DUNE qui trancheront probablement définitivement la question.
L'idée de neutrino stérile n'est pas encore complètement morte mais elle n'est plus aussi vaillante qu'elle a pu l'être il y a encore quelques mois...


Source

Search for Sterile Neutrinos in MINOS and MINOS+ Using a Two-Detector Fit
P. Adamson et al. (MINOS+ Collaboration)
Phys. Rev. Lett. 122, 091803 (6 March 2019)


Illustration

Le détecteur MINOS+ dans le laboratoire souterrain de Soudan (University College London)

2 commentaires :

Nicolas a dit…

Est-ce qu'on parle ici d'une 4ieme famille de neutrinos gauche, steriles, de quelques Mev/GeV? Ou des neutrinos droits (donc 3 familles) de masse proche de la masse de planck (via see-saw)?

Dr Eric Simon a dit…

On parle bien sûr des neutrinos stériles de masse intermédiaire.