Une équipe internationale d'astrophysiciens vient de publier dans les Monthly Notices of the Royal Astronomical Society des preuves convaincantes que la structure de la matière entourant les trous noirs supermassifs a changé au cours du temps cosmique, ce qui remet en cause un paradigme sur les quasars datant des années 1960.
Les quasars, identifiés pour la première fois au milieu des années 1960, sont les objets les plus brillants de l'univers. Ils sont alimentés par des trous noirs supermassifs : la matière, attirée par une gravité intense, s'enroule en spirale vers l'intérieur, formant une structure en forme de disque en rotation qui finit par plonger dans le trou noir en s'échauffant de manière extrême et émettant alors un flux électromagnétique considérable dans de nombreuses longueurs d'ondes, notamment des ultra-violets et des rayons X.
Ce disque est extrêmement chaud en raison de la friction entre les particules de matière qui gravitent autour du trou noir. Il produit 100 à 1 000 fois plus de lumière qu'une galaxie entière contenant 100 milliards d'étoiles, générant une lueur qui surpasse celle de sa galaxie hôte et de tout ce qu'elle contient.
On pense également que la lumière ultraviolette du disque est l'un des carburants de la lumière X beaucoup plus énergétique produite par les quasars : les rayons UV, en traversant l'espace proche du trou noir, sont impactés par des nuages de particules très énergétiques, une structure également connue sous le nom de couronne.
En diffusant sur ces particules énergétiques, les rayons ultraviolets voient leur énergie augmenter et devenir une lumière X intense. On parle de diffusion Compton inverse. Du fait de leur histoire commune, les émissions de rayons X et UV des quasars sont étroitement liées : une lumière ultraviolette plus intense correspond généralement à une intensité de rayons X plus forte. Cette corrélation, découverte il y a près de 50 ans, apporte des éclairages fondamentaux sur la géométrie et les conditions physiques de la matière à proximité des trous noirs supermassifs et fait l’objet de recherches intensives depuis des décennies.
Mais ce que viennent de découvrir Maria Chira (Observatoire d'Athènes) et ses collaborateurs remet en question l'universalité de cette corrélation. Ils montrent que lorsque l'univers était plus jeune – environ la moitié de son âge actuel – la corrélation entre les rayons X et la lumière ultraviolette des quasars était significativement différente de celle observée dans l'univers proche. Cette découverte suggère que les processus physiques reliant le disque d'accrétion et la couronne autour des trous noirs supermassifs ont pu évoluer au cours des 6,5 derniers milliards d'années de l'histoire cosmique. Ca remet donc en question notre compréhension de la façon dont les trous noirs supermassifs croissent et rayonnent via leur disque d'accrétion.
Chira et ses collaborateurs, ont exploité de nouvelles observations en rayons X du télescope spatial eROSITA et des données d'archives du télescope spatial XMM-Newton afin d'explorer la relation entre l'intensité des rayons X et ultraviolets d'un échantillon de quasars d'une ampleur sans précédent. Ils ont utilisé un vaste échantillon couvrant la quasi-totalité du ciel, en combinant le catalogue de quasars du Sloan Digital Sky Survey (16e édition) avec les données des deux télescopes X, ce qui donne 136 745 quasars à différents décalages vers le rouge. La couverture étendue et uniforme en rayons X du nouveau télescope eROSITA s'est avérée déterminante, permettant à l'équipe d'étudier des populations de quasars à une échelle jamais atteinte auparavant.
Les chercheurs observent une corrélation entre les flux UV (2500 Å) et X (2 keV), mais avec une normalisation à la limite inférieure des estimations précédentes. Contrairement à la plupart des résultats publiés, ils détectent une évolution douce mais systématique avec le décalage vers le rouge : la relation s'aplatit et sa dispersion intrinsèque diminue aux décalages vers le rouge plus élevés. L'évolution en fonction du décalage vers le rouge dépend de la luminosité : tandis que les quasars les plus lumineux présentent une évolution minimale, ceux dont la luminosité optique/UV est plus faible affichent des luminosités X systématiquement plus élevées avec l'augmentation du décalage vers le rouge. De plus, la dispersion intrinsèque de la corrélation diminue avec le décalage vers le rouge, conformément aux résultats antérieurs publiés.
L'évolution observée de la corrélation, si elle est d'ordre physique, suggère une modification des processus d'accrétion et de l'interaction entre les composantes fondamentales du flux d'accrétion au cours du temps cosmique. Chira et al. interprètent ce résultat dans le cadre du modèle de Dovčiak et al. (2022) et Kammoun et al. (2025). Dans ce contexte, le sens de l'évolution est compatible avec un disque de plus en plus dominé par la diffusion et une fraction plus importante de l'énergie dissipée qui est transférée à la couronne de rayons X. Cela pourrait indiquer une évolution en fonction du décalage vers le rouge de la correction bolométrique des rayons X.
Chira et ses collaborateurs montrent que l'évolution déduite est systématique et reste robuste pour tous les modèles complémentaires utilisés dans leur étude, et les observations privilégient le modèle de leur analyse où la pente et la normalisation de la corrélation dépendent du décalage vers le rouge. Des observations plus profondes en rayons X et UV seront néanmoins nécessaires pour confirmer ces tendances en étendant l'analyse à des quasars plus faibles.
Enfin, la taille de l'échantillon a permis aux chercheurs d'étudier les dépendances potentielles de la corrélation vis-à-vis des propriétés physiques des quasars. Ils n'ont trouvé aucune preuve d'une dépendance à la masse du trou noir. Ils ont mené une analyse détaillée de la dépendance de la corrélation à la puissance d'accrétion, qui est paramétrée par le rapport d'Eddington, telle que prédite par plusieurs modèles d'accrétion récents. Leurs résultats indiquent que cette dépendance est faible. Inversement, Chira et ses collaborateurs proposent que des modèles physiques robustes, associés à de grands échantillons comme celui présenté ici, soient utilisés pour évaluer les incertitudes systématiques sur les paramètres physiques des trous noirs, telles que les estimations de la masse virielle des trous noirs.
L'ensemble des relevés du ciel entier effectués par eROSITA permettra bientôt aux astronomes d'explorer des quasars encore plus faibles et plus distants. Les analyses futures, exploitant ces données ainsi que les relevés de rayons X et multi-longueurs d'onde de nouvelle génération, permettront de déterminer si l'évolution observée reflète un véritable changement physique ou simplement des effets de sélection. Ces études permettront de mieux comprendre comment les trous noirs supermassifs alimentent les objets les plus lumineux de l'univers, et comment leur comportement a évolué au cours du temps cosmique.
L'universalité de la relation entre les rayonnements ultraviolets et les rayons X sous-tend certaines méthodes qui utilisent les quasars comme « chandelles standard » pour mesurer la géométrie de l'univers et, à terme, sonder la nature de la matière noire et de l'énergie sombre. Ce nouveau résultat souligne la nécessité de la prudence, démontrant que l'hypothèse d'une structure immuable des trous noirs au cours du temps cosmique doit être rigoureusement réexaminée.
Source
Revisiting the X-ray-to-UV relation of quasars in the era of all-sky surveys
Maria Chira et al.
Monthly Notices of the Royal Astronomical Society, Volume 545, Issue 1 (11 December 2025)
https://doi.org/10.1093/mnras/staf1905
Illustrations
1. Corrélation entre la luminosité UV et la la luminosité X pour différentes valeurs de redshift z. (Chira et al.)
2. Maria Chira



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