15/04/19

Le méthane de Mars en question


La semaine dernière a vu paraître deux études martiennes contradictoires : lundi, les résultats de la sonde Mars Express, publiés dans Nature Geoscience, concluent à la détection de traces de méthane, en coïncidence spatiale et temporelle avec la détection du robot Curiosity à l'été 2013 dans le cratère Gale. Mais jeudi, une autre étude, publiée dans Nature et fondée sur les analyses de l'orbiteur ExoMars Trace Gas Orbiteur (TGO), beaucoup plus sensible, conclut, elle, sur l'absence de méthane dans l'atmosphère martienne...




La présence de méthane dans l'atmosphère d'une planète est un paramètre très important car on sait que sur Terre, 95% du méthane présent est d'origine biologique. Le résultat de l'équipe de Marco Giuranna (Institut National d'astrophysique italien) qui exploite la sonde Mars Express en orbite de Mars depuis décembre 2003, est clair : une présence de méthane est fermement identifiée avec une fraction en volume de 15,5 ± 2,5 ppb (parties par milliards), datée du 16 juin 2013 au dessus du cratère Gale, juste un jour après que le robot Curiosity qui arpente lui aussi le cratère Gale a également détecté une bouffée de méthane (passant d'une valeur moyenne de 1 ppb, à la limite de détection de ses instruments, à une valeur 10 fois plus élevée). Mais les autres passages de Mars Express n'ont pas retrouvé trace de méthane. Giuranna et ses collaborateurs tentent une explication géologique à l'apparition de ce méthane. Il pourrait être produit par une zone à l'Est du cratère Gale, où les falaises de Aeolis Mensae pourraient s'enfoncer dans la glace de subsurface de la formation des Medusae Fossae (du permafrost) et pourraient relâcher épisodiquement du méthane qui serait en temps normal bloqué en dessous ou à l'intérieur de la glace.
Y'a-t-il réellement eu une émission de méthane au niveau du cratère Gale le 15 juin 2013 ? Si oui, comment le méthane a pu disparaître si vite ?  Car voilà que trois jours après, jeudi dernier, la revue Nature publie les résultats des analyses atmosphériques de l'autre orbiteur européen qu'est ExoMars Trace Gas Orbiteur (TGO). La conclusion en est une absence totale de méthane dans l'atmosphère martienne... 


Comme son nom l'indique, TGO est spécialisée dans la détection des traces de gaz dans l'atmosphère de Mars. Il est entré en opérations il y a un an après sa mise orbite un an auparavant en mars 2017. Oleg Korablev (Space Research Institute, Russie), responsable scientifique de la mission russo-européenne le dit sobrement : "Nos résultats sont difficilement réconciliables avec ceux de Mars Express et de Curiosity". Les données de TGO ont été enregistrées entre avril et août 2018, donc cinq ans après la détection de Mars Express et de Curiosity. Mais la physico-chimie du méthane dans l'atmosphère de Mars telle qu'on la comprend actuellement nous dit que la durée de vie des molécules de méthane est de quelques siècles. Elles sont lentement détruites sous l'action du rayonnement solaire et des interactions avec d'autres molécules, surtout des oxydes. Donc si une émission de méthane avait eu lieu en 2013, ce méthane aurait encore dû être détectable en 2018. 
Or les spectromètres ultra-performants ACS (Atmospheric Chemistry Suite) et NOMAD (Nadir and Occultation for MArs Discovery), les pièces maîtresses de TGO qui analysent l'absorption de la lumière du Soleil à travers l'atmosphère pour en révéler les molécules présentes, ne détectent qu'au plus une concentration de méthane de 0,05 parties par milliard en volume, et ce à quasi toutes les latitudes de l'atmosphère martienne.
Korablev et ses collaborateurs concluent que l'absence de méthane détecté par TGO ne voudrait pas forcément dire que les détections antérieures soient dues à des erreurs, mais qu'il pourrait exister sur Mars un processus encore inconnu capable de rapidement faire disparaître ou séquestrer le méthane dans les basses couches atmosphériques avant qu'il puisse être dispersé dans toute l'atmosphère...

Il existe donc bel et bien encore un mystère du méthane sur Mars. La mission de TGO est encore loin d'être terminée, ni celle de Curiosity. Quant à Mars Express, elle a été prolongée jusqu'à la fin 2020. Peut-être de nouvelles bouffées de CH4 apparaîtront d'ici là, dévoilant une part du mystère, ne serait-ce qu'une part par milliard...


Sources

Independent confirmation of a methane spike on Mars and a source region east of Gale Crater
Marco Giuranna, et al.
Nature Geoscience (7 april 2019)

No detection of methane on Mars from early ExoMars Trace Gas Orbiter observations
Oleg Korablev, et al.
Nature (10 april 2019) 



Illustrations

1) Vue d'artiste de l'orbiteur TGO (ESA/Roscosmos)

2) Vue d'artiste de l'orbiteur Mars Express (NASA/JPL/Corby Waste)

Aucun commentaire :