La chasse aux ondes gravitationnelles vient de reprendre ce lundi 1er avril avec les deux interféromètres américains LIGO et l'européen Virgo, tous les trois remis à niveau pour atteindre des performances encore décuplées, grâce à une technique quantique très particulière. Les détecteurs interférométriques pourraient maintenant observer une fusion de trous noirs ou d'étoiles à neutrons toutes les semaines...
L'arrêt aura duré 19 mois, une éternité depuis les dernières détections d'ondes gravitationnelles. Les chercheurs sont aujourd'hui très optimistes suite à la mise à niveau qu'ils viennent d'effectuer sur les trois systèmes, avec l'espoir de pouvoir détecter pourquoi pas le signal d'une supernova ou bien la fusion hybride d'une étoile à neutrons avec un trou noir. Cette nouvelle campagne d'observation, qu'on appelle le run O3, va durer près d'un an, jusqu'en mars 2020. Lors des deux premiers runs, LIGO et Virgo ont détecté 11 événements gravitationnels : 10 fusions de trous noirs de quelques dizaines de masses solaires et une fusion de deux étoiles à neutrons.
Le réseau de détecteurs, avec sa toute nouvelle sensibilité, devrait pouvoir montrer une détection par semaine en moyenne, alors qu'elle était d'environ une par mois dans la version antérieure. Cette amélioration matérielle va en effet permettre de beaucoup mieux séparer le bruit de fond du véritable signal produit par les ondes gravitationnelles. Se faisant, les physiciens auront accès à des informations plus riches sur le processus de fusion à partir de la forme détaillée des ondes gravitationnelles (en temps, fréquence et amplitude). Parmi ces informations additionnelles pourraient se glisser la vitesse de rotation des trous noirs et leur direction relative de rotation l'un par rapport à l'autre, c'est à dire tester leur potentiel alignement. Par exemple, si les axes de rotation des deux trous noirs en coalescence sont parallèles, cela indiquera qu'ils avaient une origine commune et qu'ils avaient débuté leur vie comme deux étoiles d'un même système binaire. Inversement, si les axes sont aléatoires, on pourra en conclure que les deux trous noirs se sont formés indépendamment l'un de l'autre et qu'ils se sont rencontrés sur le tard...
L'interféromètre le plus sensible des trois était celui de LIGO situé à Livingston en Louisiane. Pour ce run O3, les physiciens sont encore parvenus a booster sa sensibilité de 40%. Quant à Virgo, les physiciens européens sont parvenus à doubler la distance à laquelle il peut détecter des événements cataclysmiques par leurs ondes gravitationnelles.
Ce saut de sensibilité a été en grande partie obtenu grâce à deux modifications dans les lasers qui sont au cœur des interféromètres : d'une part une augmentation de la puissance des lasers, et d'autre part l'application d'une technique de physique quantique qu'on appelle la "compression de lumière" qui exploite une astuce de la mécanique quantique. L'idée de cette méthode qui a été développée dès le début des années 1990 dans les laboratoires d'optique quantique, est de réduire les fluctuations du vide qui produisent une arrivée aléatoire des photons dans le temps sur le miroir au cours de l'impulsion laser. La compression de lumière permet en quelque sorte de manipuler les fluctuations du vide en décalant certaines d'entre elles vers les basses fréquences et ainsi d'améliorer la détection des plus hautes fréquences.
La méthode avait montré toute sa puissance dès 2010 sur un interféromètre optique utilisé comme détecteur-test de LIGO, le détecteur GEO600 situé près d'Hanovre en Allemagne. L'amélioration de la détection des plus hautes fréquences va booster la détection des objets compacts coalescents de plus faible masse : étoiles à neutrons et trous noirs de quelques masses solaires. La détection des hautes fréquences va surtout permettre de suivre ces relativement petits objets jusqu'au terme de leur processus de fusion, là où ils tournent le plus vite l'un autour de l'autre. L'enjeu est réellement crucial.
Mais il y a aussi une autre grande nouveauté avec ce troisième run de détection de LIGO et Virgo : les physiciens ont décidé de partager en temps réel les alertes lorsqu'une onde gravitationnelle est détectée, pour permettre à n'importe qui (surtout des professionnels) à observer la zone du ciel incriminée, à la recherche d'une contrepartie électromagnétique (des infra-rouges au rayons gamma). Les chercheurs gravitationnels ont même conçu une application mobile spécifique pour envoyer les alertes très largement. Les astrophysiciens vont ainsi pouvoir se régaler en mode "multimessagers". Il faut se rappeler que dans les deux runs précédents, il n'en avait pas du tout été ainsi : pour pouvoir exploiter les données gravitationnelles, les astrophysiciens des photons ou des neutrinos devaient signer un accord de confidentialité avec LIGO-Virgo pour recevoir les alertes et devaient respecter strictement une période d'embargo avant de pouvoir parler. Cette époque est maintenant révolue. Plus aucune restriction de publications ne sera appliquée. L'astronomie à multimessagers risque de vraiment prendre son envol.
En parallèle à ses fortes améliorations de LIGO et Virgo, des physiciens japonais sont en train de finaliser leur propre détecteur d'ondes gravitationnelles nommé KAGRA. Ils font aujourd'hui tout leur possible pour que KAGRA puisse être opérationnel avant la fin du run O3, visant le début de l'année 2020. Ce quatrième interféromètre, fonctionnant en coïncidence avec les trois autres, devrait permettre de localiser toujours mieux les sources d'ondes gravitationnelles dans le ciel...
Source
Gravitational-wave hunt restarts — with a quantum boost
Davide Castelvecchi
Nature 568, 16-17 (2019)
Illustrations
1) Localisation des 11 événements gravitationnels détectés lors des deux premiers runs par LIGO et LIGO+Virgo (Collaborations LIGO/Virgo)
2) Représentation des fusions de trous noirs et étoiles à neutrons détectés à ce jour en fonction de leur masse (LIGO/Virgo Frank Elavski/ Northwestern University)
3) Systèmes optiques de test pour appliquer la méthode la compression de lumière (Virgo)
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