07/04/19

Le noyau actif de Cygnus A révèle un épais tore de matière


Cygnus A est l'une des galaxies à noyau actif les plus brillantes en ondes radio dans notre Univers observable. Une étude détaillée de cette émission radio vient de montrer pour la première fois sans équivoque la présence d'un tore de matière à forte absorption entourant le trou noir supermassif central, de quoi valider le modèle commun des galaxies à noyau actif qui explique le lien entre quasars, blazars et galaxies de Seyfert (radiogalaxies) : une différence purement géométrique liée à l'angle de vue auquel on les regarde...




Cygnus A est non seulement la radiogalaxie la plus brillante que l'on connaisse mais c'est aussi la plus proche de nous, ce qui explique aussi cela. Avec sa distance de 760 millions d'années-lumière, elle est environ 10 fois plus près que n'importe quelle autre radiogalaxie ayant une luminosité intrinsèque comparable. Son nom vient du fait que c'est la source radio la plus intense située dan la constellation du Cygne. Cette source a été découverte en 1946 par le physicien britannique James Hey, et ce sont les astronomes Walter Baade et Rudolf Minkowski en 1951 qui ont fait le lien entre la source radio et une galaxie géante qui se trouvait justement au même endroit. 
On sait aujourd'hui pas mal de choses sur la galaxie abritant la source Cyg A. On sait notamment qu'elle abrite dans son centre un trou noir supermassif de 2,5 milliards de masses solaires (500 fois plus massif que notre petit Sgr A* (dont nous verrons la silhouette dans quelques jours...). Ce trou noir propulse des jets de particules ultra-relativistes qui induisent l'apparition de spectaculaires lobes d'émission radio.
C'est grâce à la relative proximité de Cyg A que Chris Carilli (National Radio Astronomy Observatory) et ses collaborateurs sont parvenus à cartographier avec une bonne résolution (seulement 45 microsecondes d'arc!) la proximité immédiate du trou noir central avec le réseau de radiotélescopes Karl Jansky VLA (Very Large Array) dans la plage de fréquences  18–48 GHz.
Leurs observations révèlent la présence de gaz dense formant un disque épais troué (en forme de tore, ou donut). Ce tore a un diamètre de 1720 années-lumière pour une hauteur de 930 années-lumière. Cette structure de gaz et de poussière est bien plus vaste que le petit disque d'accretion qui entoure la proximité immédiate du trou noir. Et un tel tore très opaque valide très bien les modèles théoriques des astrophysiciens qui ont été construits depuis pas mal d'années pour expliquer des phénomènes différents associés aux noyaux actifs de galaxies comme les sources de type quasar, celles de type blazar ou encore les intenses émissions radio (type Seyfert). 

Le modèle inclut bien sûr un trou noir central, un disque de gaz accrété autour de lui en train d'y tomber, des jets émanant des pôles du disque d'accrétion, et donc, un gros tore de matière opaque. Lorsqu'un tel système est vu dans l'axe des jets, la source extrêmement lumineuse et très variable dans le temps est appelée un blazar; lorsque le système est vu avec un angle compris entre quelques degrés et environ 70° (correspondant au trou du donut, 62° dans le cas de Cyg A, que les auteurs ont pu mesurer précisément), la source qui est vue est toujours très intense, notamment dans le domaine des rayons X, c'est surtout le rayonnement du disque d'accrétion qui est observé, on parle de quasar. Enfin, lorsque le noyau actif de la galaxie est vu par sa tranche, entre 70° et 110°, c'est tout le rayonnement de la partie centrale, mais filtrée par le tore épais, qui est observé et il ne reste que des rayonnements à plus grande longueur d'ondes (infra-rouge et surtout radio).

C'est la première fois qu'un tore de gaz et de poussière est identifié aussi près du noyau actif  d'une galaxie aussi lumineuse que Cyg A. Les chercheurs parviennent même à déterminer que le tore doit être multiphasique : composé d'une multitude de grumeaux denses de poussière, noyés dans un mélange de gaz atomique et ionisé, ce qui est une petite nouveauté apportée au modèle de tore des noyaux actifs de galaxies.  Cris Carilli et ses collaborateurs publient leur étude cette semaine dans the Astrophysical Journal Letters.


Source

Imaging the Active Galactic Nucleus Torus in Cygnus A
C.L. Carilli et al.
The Astrophysical Journl Letters 874, L32  (5 april 2019) 


Illustrations

1) Image en ondes radios de la zone centrale de Cyg A par le VLA (Carilli et al.)

2) Vue d'artiste du tore devant entourer le trou noir supermassif expliquant la "triple nature" des noyaux actifs de galaxies (Blazars, Quasars et Radiogalaxies) (Bill Saxton / NRAO / AUI / NSF)

3 commentaires :

Anonyme a dit…

Bonsoir, pouvez-vous me donner une petite explication de ce que vous voulez dire lorsque vous utilisez l’expression « ultra relativiste » ? Parle t-on de vitesse apparente ?
Désolé pour cette question d’amateur mais que voulez-vous, vous êtes tellement intéressant à lire que vous attirez aussi un auditoire peu connaissant dans le domaine hihi.
J’en profite pour vous remercier de continuer d’alimenter notre passion pour ce qui se passe là-haut !

Dr Eric Simon a dit…

Merci. Ce que l'on qualifie de vitesses "relativistes", ce sont des vitesses auxquelles les effets relativistes commencent à se faire sentir, typiquement à partir de 10% de la vitesse de la lumière.
Le qualificatif "ultrarelativiste", est associé à des vitesses très proches de la vitesse de la lumière, à partir de 90% de c. Il s'agit de vitesses réelles et non apparentes.

Nicolas a dit…

Merci. Pourriez-vous donner un exemple de ce qu’est un effet relativiste ?