09/06/19

Découverte d'un pont magnétique entre deux amas de galaxies en voie de fusion


Quand deux amas de galaxies contenant chacun quelques centaines ou milliers de galaxies se rencontrent, il se passe des choses... mais juste avant qu'ils ne se touchent, il se passe aussi des choses étonnantes, c'est ce que vient de montrer une étude qui indique l'existence d'une gigantesque connexion de champs magnétiques entre deux amas de galaxies en voie de fusionner, une étude parue dans Science cette semaine... 




Entre les amas de galaxies se trouvent généralement ce qu'on nomme des filaments cosmiques, des structures fines de galaxies, de gaz et de matière noire qui forment les parois internes de l'éponge cosmique et aux intersections desquels s'agglomèrent les amas ou les superamas de galaxies. En grossissant par agglomérations successives, les amas de galaxies peuvent produire des champs magnétiques intenses et donc des particules relativistes au sein du gaz, qui est plutôt du plasma, échauffé à des températures de l'ordre de 10 millions de degrés. Les amas en voie de fusion que l'équipe de Federica Govoni ont observés sont dénommés Abell 0399 et Abell 0401. Les astrophysiciens les ont observés en ondes radio avec le radiotélescope LOFAR (Low-Frequency Array) et ce qu'ils observent à leur grande surprise, c'est une sorte de jonction de champs magnétique entre les deux amas, le long du filament cosmique qui les relie. Ils observent en effet une émission radio à basse fréquence (140 MHz, soit une longueur d'onde de 2,14 m) dans tout l'espace séparant les deux amas. Cette émission radio, qui n'est autre qu'un rayonnement synchrotron, signe la présence d'un champ magnétique intense et d'électrons très énergétiques qui spiralent autour des lignes de champs en émettant du rayonnement.

Mais une telle structure de dimension aussi vaste (10 millions d'années-lumière séparent les deux amas) n'a jamais été vue auparavant. 
Selon les chercheurs, l'accrétion de matière le long du filament joignant Abell 0399 et Abell 0401 injecte probablement des ondes de choc et des mouvements chaotiques sur des échelles spatiales très larges. Mais le mécanisme d'accélération ou réaccélération par choc diffusif (le processus dit de Fermi) qui peut être à l'origine de l'émission radio d'électrons peut difficilement être invoqué ici, avant la collision proprement dite entre les amas. Federica Govoni et ses collègues ont tout de même exploré cette piste en faisant des simulations magnéto-hydrodynamiques. Ils ont ainsi fait évolué une paire d'amas de galaxies de masse et proximité similaires au cas du couple Abell 0399 - 0401 avec une résolution de 4 kpc. Mais voilà, le résultat que les chercheurs trouvent avec ce mécanisme, c'est une émission radio 1000 fois plus faible que ce qu'ils observent dans la réalité... et en plus, l'émission issue des simulations est beaucoup plus localisée que celle observée entre les deux amas.
Selon les astrophysiciens, un autre mécanisme doit donc être à l'oeuvre pour réaccélérer les électrons dans le milieu intergalactique entre les deux amas. Ils arrivent à montrer que les observations peuvent être reproduites avec une série de réaccélérations successives seulement si une population d'électrons déjà ultra-relativistes se sont accumulés entre les deux amas et y remplissent la quasi totalité du volume. Se faisant, cela limite l'âge de ces électrons (du fait de leurs pertes radiatives dans le milieu) à une valeur inférieure à 1 milliard d'années.
Mais voilà, la prise en compte cette forte contrainte temporelle dans un tel plasma dilué requiert probablement des mécanismes de réaccélération encore non identifiés. De plus, quand on regarde de près, l'émission diffuse non-thermique observée dans le système Abell 0399-0401 s'étend bien plus loin que les limites des deux halos radio et couvre une région périphérique qui est en cours d'évolution. Federica Govoni et ses collaborateurs interprètent cette observation comme une preuve évidente de la connexion magnétique entre les deux amas de galaxies et de l'existence de mécanismes de réaccélération des électrons, encore inconnus, mais qui seraient distribués spatialement tout le long de ce pont de plasma magnétisé. 



Source

A radio ridge connecting two galaxy clusters in a filament of the cosmic web
F. Govoni, E. Orrù, A. Bonafede, M. Iacobelli, R. Paladino, F. Vazza, M. Murgia, V. Vacca, G. Giovannini, L. Feretti, F. Loi, G.
Science 364 (6444), 981-984


Illustrations

1) Image composite du couple d'amas de galaxies Abell 399 et Abell 401 : rayons X en rouge, microondes en jaune, et ondes radio (LOFAR) en bleu (M. Murgia/ INAF)

2) Image à 140 MHz du couple d'amas obtenue avec le radiotélescope LOFAR, la surface imagée représente un carré de 1,4° de côté (Govoni et al.)

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