Un couple de trous noirs supermassifs tapis au cœur d'une galaxie issue de la fusion de deux galaxies vient d'être mis en évidence par des astrophysiciens américains. Ces deux monstres auraient chacun une masse de plus de 400 millions de masses solaires et seraient séparés par moins de 1500 années-lumière. Cette découverte est publiée cette semaine dans The Astrophysical Journal Letters.
Cette galaxie est appelée SDSS J1010+1413, elle est située à un redshift z=0,2, ce qui correspond à une distance (de trajet lumière) de 2,5 milliards d'années-lumière. Il faudrait plutôt dire qu'il s'agit d'un quasar, étant donnée son émission, caractéristique des noyaux actifs de galaxie alimentés par un trou noir supermassif. Mais ce que Andy Goulding (Princeton University) et ses collaborateurs ont pu observer grâce au télescope spatial Hubble, c'est non pas un noyau actif, mais deux, avec une séparation angulaire très petite, de l'ordre de 0,13 secondes d'arc, ce qui fait une distance de 430 parsecs, soit 1400 années-lumière. Chacun des deux noyaux est une puissante source dans la longueur d'onde UV de l'OIII (oxygène ionisé). Leur luminosité est celle d'un quasar typique, de l'ordre de 5 1046 erg/s. C'est cette valeur de luminosité qui permet aux chercheurs de déterminer la masse des deux trous noirs supermassifs : plus de 400 millions de masses solaires chacun.
Les trous noirs supermassifs dont la masse est comprise entre 100 millions et 1 milliard de masses solaires doivent théoriquement être les sources dominantes de ce que les astrophysiciens appellent le "fond diffus d'ondes gravitationnelles". Ce fond, est à l'image des fonds de rayonnement micro-ondes (le CMB), de rayonnement optique diffus (l'EBL) ou encore du fond primordial de neutrinos (le CNB) : un rayonnement qui baigne tout le ciel. Ce rayonnement d'ondes gravitationnelles dans lequel nous sommes immergés se trouve à très basses fréquences, dans la plage des nanoHertz. Et ce fond diffus d'ondes gravitationnelles qui est nourri par tous les couples de trous noirs supermassifs en cours de coalescence de l'Univers, devrait bientôt être observable, dans quelques années, grâce à une technique très innovante exploitant des réseaux de pulsars en mesurant les infimes variations relatives de leurs signaux pulsés qui seraient produites par ces ondes gravitationnelles de trous noirs supermassifs. Mais on a encore peu de données sur l'amplitude attendue de ce fond diffus d'ondes gravitationnelles, par manque d'observations de couples de trous noirs supermassifs dans la bonne plage de masse.
Le couple de trous noirs de SDSS J1010+1413 fait partie de ceux-là et va donc permettre d'affiner les performances attendues de la méthode des réseaux de pulsars. La distance qui sépare aujourd'hui les deux monstres de SDSS J1010+1413 fait dire à Andy Goulding et ses collaborateurs que l'échelle temporelle d'une coalescence de tels trous noirs est de l'ordre de 2,5 milliards d'années. Ces deux-là ne sont pas encore en train de produire des ondes gravitationnelles, puisqu'elles sont avant tout produites à la toute fin du processus de coalescence, lorsque les deux trous noirs supermassifs ne sont plus distants que de quelques années-lumière.
Si jamais malgré les efforts des astrophysiciens, le fond diffus d'ondes gravitationnelles n'était jamais détecté, cela indiquerait que les trous noirs supermassifs fusionnent en fait sur des échelles de temps beaucoup plus longues que ce que l'on pense, peut-être plusieurs fois l'âge de l'Univers...
L'objectif des astrophysiciens va maintenant être de trouver de plus en plus de couples de trous noirs supermassifs, si possible très rapprochés. La combinaison de grands relevés très sensibles, optimisés soit pour la détection des quasars ou soit pour l'analyse des morphologies de galaxies, devrait offrir aux spécialistes de belles découvertes comme celle de J1010+1413 dans les années qui viennent...
Source
Discovery of a Close-separation Binary Quasar at the Heart of a z ~ 0.2 Merging Galaxy and Its Implications for Low-frequency Gravitational Waves
Andy D. Goulding et al.
The Astrophysical Journal Letters, Volume 879, Number 2 (10 july 2019)
Illustration
Image du double noyau actif de la galaxie J1010+1413 obtenue avec Hubble (Andy D. Goulding et al.)
4 commentaires :
Vous faites un travail remarquable, merci de nous faire partager ces podcasts ;-)
Deux galaxies qui entrent en collision finissent par n'en faire plus qu'une, après les multiples influences gravitationnelles. Vous nous avez déjà montré des simulations impressionnantes.
Mais les trous noirs supermassifs, si ils n'engendrent pas d'ondes gravitationnelles à grande distance, qu'est-ce qui fait qu'ils se retrouvent ensemble à la fin du processus???
Je les imagine plutôt traverser le nuage d'étoiles en coalescence
comme une balle de fusil, et poursuivre la trajectoire hyperbolique qu'ils avaient avant la collision. Au loin de la nouvelle galaxie.
Merci pour votre site et vos podcasts. C'est très intéressant.
Les trous noirs supermassifs sont simplement attirés par le puits gravitationnel que forme la ou les galaxies. Une fois fusionnées, les deux galaxies hôtes n'en font plus qu'une et les deux trous noirs ont tendance à se rapprocher du centre du puits gravitationnel parce qu'ils perdent de l'énergie gravitationnelle en interagissant constamment avec leur environnement proche (un peu l'équivalent d'une friction au sein d'un gaz). Il arrive ensuite ce qui doit arriver : les deux trous noirs deviennent suffisamment proches l'un de l'autre pour se capturer et ils finissent comme on le sait...
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