03/10/19

Vers une absence de matière noire dans les galaxies naines satellites


Il y a quelques jours, je vous parlais d’une galaxie-méduse en train de perdre son gaz moléculaire par pression dynamique avec du gaz chaud. Le phénomène peut exister aussi à plus petite échelle, affectant les galaxies naines en orbite autour de notre Voie Lactée, qui agirait sur elles en « soufflant » leur gaz moléculaire. Se faisant, la dynamique interne des galaxies naines en serait chamboulée, à tel point que la dispersion de vitesse de leurs étoiles pourrait dans ce cadre être totalement expliquée par les effets de marée gravitationnelle induits par la Voie Lactée, sans avoir recours à la moindre matière noire… Cette étude d’astrophysiciens français vient de paraître dans The Astrophysical Journal et jette un beau pavé dans la mare.




L’équipe de François Hammer (Observatoire de Paris, Université PSL) n’en est pas à son coup d’essai. En juin 2018 (voir ici), ils publiaient une étude retentissante sur les galaxies naines satellites de la Voie Lactée, concluant que celles-ci n’étaient pas en orbite depuis longtemps et étaient en train de se déliter par des effets de marée de la Voie Lactée. Leur grand axe semblait en outre systématiquement orienté perpendiculairement au disque de notre Galaxie, ainsi que les gradients de vitesse stellaire, ce qui faisait conclure aux astrophysiciens que c’était l’effet gravitationnel de notre Galaxie qui était responsable de la dispersion de vitesse des étoiles dans ces galaxies naines, et que l’on ne pouvait alors plus relier directement la quantité de matière noire dans les galaxies naines à la vitesse de dispersion de leurs étoiles. En somme, le critère de dispersion de vitesse des étoiles dans les galaxies naines qui était jusque-là utilisé pour inférer la présence de matière noire devenait caduque.

Dans leur nouvelle étude venant de paraître, et qui fait suite à celle de l’année dernière, François Hammer et ses collaborateurs enfoncent le clou. Ils y démontrent par quels mécanismes exacts les dispersions de vitesse des étoiles dans les galaxies naines sont telles qu’elles sont. Et que l’on n’a pas besoin de masse invisible pour expliquer ces observations.

Il faut rappeler que le paradigme actuel de la cosmologie indique que c’est dans les galaxies naines que la matière noire doit être la plus abondante en densité, formant des petits halos de matière noire entourant le plus grand halo galactique. Depuis plusieurs décennies, on considère que les grandes vitesses d’étoiles observées dans ces galaxies naines ne peuvent être expliquées que par la présence d’une grande quantité de matière noire, seule à même de maintenir une cohésion dans ces petites structures. Et le modèle standard stipule également que les galaxies naines satellites sont en orbite autour des grosses galaxies depuis très longtemps, plusieurs milliards d’années.

Les astrophysiciens ont exploité de nombreuses données astrométriques, spectrométriques et photométriques, notamment celles du télescope spatial Gaia et des télescopes terrestres Canada-France-Hawaï et Magellan, pour en extraire les vitesses, les dimensions, les distances et les masses stellaires de 21 galaxies naines sphéroïdales satellites. Ils montrent dans leur étude qu’au lieu d’être en orbite depuis plusieurs milliards d’années, les galaxies naines satellites auraient été en fait capturées par la Voie Lactée assez récemment. Leur mouvement d’approche de la Voie Lactée les aurait dépouillées de leur gaz moléculaire par pression dynamique sur le gaz de la Voie Lactée. Le scénario que les chercheurs reconstruisent indique qu’une fois dépouillées, les galaxies naines perdent une grande part de leur potentiel gravitationnel et mettent alors leurs étoiles à la merci des effets de marée gravitationnelle induit par la grosse galaxie qu’est la Voie Lactée.

Il apparaît ce que les spécialistes nomment des « chocs de marée » : les étoiles sont comme secouées et se retrouvent regroupées par des effets de résonance le long d’une direction privilégiée pointant vers le centre de la Voie Lactée. C’est ce qu’observent les astronomes dont la ligne de visée correspond environ à la direction de regroupement des étoiles. La dispersion des vitesses dans la ligne de visée, d’après Hammer et ses collaborateurs, est alors complètement expliquée (aux erreurs de mesure près) par les lois de la gravitation classique, sans devoir faire appel à une matière noire correspondant à une grande masse invisible. En outre, le scénario des chocs de marée permet de très bien expliquer les relations d’échelle qui existent entre des paramètres clé des galaxies naines : rayon, distance, vitesse et masse stellaire, ce que le scénario de la matière noire peine à faire apparemment. En revanche, tout le scénario élaboré par Hammer et ses collègues repose sur une hypothèse, celle de la nature des galaxies progénitrices des galaxies naines observées aujourd’hui : elles devaient être des galaxies largement dominées par du gaz moléculaire, et « tombant » vers la Voie Lactée.

Evidemment, les conséquences d’une telle découverte, si elle se confirme, sont très importantes. Si les petits halos denses de matière noire dans lesquels devraient baigner les galaxies naines n’existent pas, cela signifierait soit que les galaxies naines entourant la Voie Lactée ont un caractère exceptionnel et qu’elles ne sont pas une bonne cible pour une recherche indirecte de matière noire, ou bien que ce sont plusieurs modèles cosmologiques qui doivent être revus en profondeur :  le modèle de la formation des galaxies dans le Groupe Local, et le modèle de la matière noire. De nouvelles observations et de nouvelles modélisations plus précises vont devoir être menées de front pour confirmer ou infirmer ces résultats…


Source

On the absence of dark matter in Milky Way dwarf galaxies
F. Hammer et al.
The Astrophysical Journal, Volume 883, Number 2


Illustration

Illustration des galaxies naines satellites autour de la Voie Lactée (H. Jerjen & ESO)

3 commentaires :

Alain Moreau a dit…

"François Hammer et ses collaborateurs enfoncent le clou"
Excellent ! :D
(le reste aussi d'ailleurs ;)

Jean-Paul a dit…

C'est peut-être un nouveau et futur clou dans le cercueil du modèle ACDM. Et si l'accélération des galaxies naines qui chutent était supérieure au a0 de MOND, ici encore l'EFE (external field effect)de MOND ferait son petit effet !

Dr Eric Simon a dit…

Le problème avec MOND, c'est que c'est déjà "ruled out" ... Dans mon prochain billet (qui paraitra mercredi 23/10), vous verrez que certaines galaxies spirales excluent complètement MOND, définitivement...