Notre galaxie a connu un événement de formation intense d'étoiles il y a environ 1 milliard d'années conduisant à la production de 5% de ses étoiles en moins de 100 millions d'années, c'est ce que montre une collaboration internationale d'astrophysiciens en étudiant les étoiles du centre galactique. Cet épisode d'intense activité pourrait être liée à l'interaction de la Voie Lactée avec une autre galaxie. Une étude publiée dans Nature Astronomy.
Le "disque nucléaire" est une structure du centre galactique de 150 parsecs (environ 500 années-lumière) autour du trou noir supermassif Sgr A*. La grand majorité des étoiles qui le forme s'est formée il y a au moins 8 milliards d'années. On sait que des étoiles ont continué à s'y former dans les dernières dizaines de millions d'années mais la chronologie exacte était encore mal cernée.
Francisco Nogueras Lara (Instituto de Astrofísica de Andalucía, Glorieta de la Astronomía, Granada, Spain) et ses collaborateurs de nombreux pays ont travaillé dans le domaine des infra-rouges, avec le relevé GALACTICNUCLEUS qui a été conçu pour étudier une région de 300 minutes d'arc carré autour du centre galactique à haute résolution (0,2 secondes d'arc). Ils ont analysé la distribution de luminosité infra-rouge de 700 000 étoiles géantes du disque nucléaire pour déterminer leur âge.
La zone centrale de notre galaxie est en effet la région la plus obscurcie par la poussière et le meilleur moyen pour percer cet épais brouillard est de travailler dans le domaine infra-rouge.
La forme de la fonction de luminosité d'une population d'étoiles dépend des propriétés de la population elle-même comme sa composition chimique et son âge. Par exemple, les étoiles jeunes et riches en métaux qui sont en train de brûler de l'hélium possèdent un pic caractéristique dans leur distribution qui est plus petit que celui montré par des étoiles exactement de même type mais plus vieilles. Mais l'extinction due à la poussière peut être très différente d'une zone à l'autre, avec des nuages de poussière localisés qui peuvent induire en erreur en rendant des étoiles faussement peu lumineuses. Francisco Nogueras Lara et ses collaborateurs ont alors apporté une correction à cette extinction différentielle en utilisant des étoiles de référence, des chandelles standard, en l’occurrence des géantes de type K fusionnant de l'hélium.
En comparant la fonction de luminosité obtenue avec une combinaison de modèles théoriques décrivant la population stellaire du centre galactique comme la somme de sous-populations d'âge défini, les chercheurs arrivent à la conclusion qu'une grande proportion d'étoiles est plus jeune que les autres, a contrario du paradigme des études précédentes qui disait que le disque nucléaire avait formé ses étoiles de manière continue pendant 10 milliards d'années. L'équipe de Nogueras-Lara explique que d'après leurs observations, le disque nucléaire a formé 90% de ses étoiles il y a plus de 8 milliards d'années puis s'est arrêté d'en produire pendant plusieurs milliards d'années. S'en serait suivi un événement très énergétique il y a environ 1 milliard d'années, source d'une nouvelle bouffée de formation d'étoiles.
Selon les chercheurs, étant donné que cet événement n'aurait duré que 100 millions d'années et qu'il aurait été limité à un très petit volume, cette bouffée de formation d'étoiles aurait été extrêmement intense et aurait produit plus de 100 000 supernovas ! De plus, une activité résiduelle se verrait encore aujourd'hui avec une production d'étoiles supérieure à la normale dans la zone. Selon eux, les 500 derniers millions d'années auraient produit quelques pourcents de la masse stellaire de notre galaxie, avec un taux assez soutenu jusqu'à il y a environ 30 millions d'années. Nogueras-Lara et ses collaborateurs estiment même qu'il devrait exister un grand nombre d'amas d'étoiles encore non découverts du fait de la très forte absorption ou de leur dissolution par les effets gravitationnels de leur environnement stellaire très dense.
La longue phase très calme de notre galaxie semble étonnamment coïncidente avec son histoire d'interactions avec d'autres galaxies telle que les spécialistes ont pu la reconstruire. Le dernier épisode de fusion massif remonterait en effet à 10 milliards d'années, avec la galaxie naine appelée Gaia-Encelade, et le passage le plus récent à proximité du centre galactique de la galaxie naine Sagittarius , cannibalisée elle aussi par la Voie Lactée, est daté d'environ 1 milliard d'années. Le lien entre l'histoire dynamique de notre Galaxie et son activité de formation d'étoiles reste encore à établir de manière plus ferme, mais la coïncidence est plus que troublante.
Cette étude possède aussi une autre implication importante, elle concerne notre trou noir supermassif Sgr A*. Les trous noirs supermassifs grossissent principalement en accretant du gaz. Mais c'est ce même gaz qui est la matière première pour la formation des étoiles. Si le disque nucléaire a cessé temporairement son activité de formation d'étoiles il y a 8 milliards d'années, cela pourrait dire que Sgr A* aurait pu lui aussi avoir fini la plus grande part de sa croissance à cette époque là et serait tombé en "hibernation" depuis. Puis la nouvelle activité stellaire d'y il y a environ 1 milliard d'année aurait pu être associée à un sursaut d'activité du trou noir, que pourrait expliquer les traces d'expulsion de matière qui sont visibles de part et d'autre du disque galactique encore aujourd'hui sous la forme de bulles d'émission gamma, X et radio (les Bulles de Fermi).
Dans quelques années, avec les télescopes spatiaux infra-rouges comme WFIRST et Webb, des résolutions 20 fois meilleures et une sensibilité 10 000 fois plus grande seront accessibles, ce qui permettra d'explorer encore plus en profondeur les étoiles du centre galactique et d'estimer toujours plus précisément leur âge, de quoi confirmer le lien probable entre formation d'étoiles, activité du trou noir et interactions entre galaxies.
Source
Early formation and recent starburst activity in the nuclear disk of the Milky Way
Francisco Nogueras-Lara et al.
Nature Astronomy (16 december 2019)
Illustration
La zone centrale de notre galaxie, extrait du relevé GALACTICNUCLEUS (Nogueras-Lara et al.)
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