dimanche 22 décembre 2019

Des exoplanètes en "zone habitable" fortement irradiées


Les exoplanètes connues qui se trouvent dans la "zone habitable" de leur étoile sont très loin de montrer des conditions propices au développement de la vie telle qu'on la connait. Une nouvelle étude s'est penchée sur les doses de rayonnement qui atteignent la surface des exoplanètes lors des éruptions stellaires que subissent leur étoile. Sans une épaisse atmosphère et un champ magnétique important, les conditions radiatives sont extrêmement sévères, pour ne pas dire horribles. Une étude parue dans Monthly Notices of the Royal Astronomical Society.



La "zone habitable" autour d'une étoile est définie très simplement par la zone où la température est telle que l'eau peut être liquide. Pour abriter une forme de vie, cette condition est sans doute nécessaire mais elle n'est pas du tout suffisante. De nombreuses exoplanètes de type terrestre qui ont été découvertes dans des "zones habitables" se trouvent en orbite d'étoiles naines rouge de type M. Ces exoplanètes se situent à une distance très proche de leur étoile. Mais plus une planète est proche de son étoile, plus elle est sensible à ses éruptions et son rayonnement ionisant associé.  Et les étoiles de type M sont très éruptives...

Dimitra Atri (Université de New York à Abu Dhabi) s'est intéressé aux exoplanètes trouvées récemment en "zone habitable" sous l'angle des doses de radiations à leur surface en fonction des caractéristiques de leur atmosphère potentielle et de leur champ magnétique éventuel. Il a effectué des simulations Monte Carlo avec le code GEANT4 du CERN développé pour simuler les interactions des particules avec la matière. Il l'a appliqué avec les particules qui sont produites lors des éruptions des étoiles naines de type M, principalement des protons, en faisant varier à la fois les valeurs de flux et la distribution spectrale en énergie des particules, en se basant sur un historique de 70 événements d'éruptions réelles enregistrées sur le Soleil entre 1956 et 2012. Sachant que les étoiles naines de type M qui ont une rotation rapide, connaissent des éruptions 100 fois plus fréquemment que les étoiles de type G comme le Soleil. Du côté planètes, Atri a fait varier l'épaisseur d'atmosphère de la planète et son champ magnétique pour voir comment évoluait la dose de rayonnement au niveau de la surface planétaire.

Il existe aujourd'hui une grosse douzaine d'exoplanètes rocheuses situées en "zone habitable", les plus connues étant Proxima Centauri b et les trois planètes du système de TRAPPIST-1 : TRAPPIST-1 e, f et g. Les protons énergétiques issus des éruptions stellaires sont appelés des SPE (événements de protons stellaires), ils sont ionisants, pouvant détruire ou altérer des molécules d'ADN, mais ils génèrent aussi directement des dommages dans les atmosphères en produisant une érosion et des réactions chimiques.
Les simulations de Atri montrent que le spectre en énergie considéré pour les protons a un impact très important sur la dose de rayonnement reçue au niveau du sol de la planète, mais aussi l'épaisseur de l'atmosphère. Le champ magnétique a un peu moins d'impact.
Sur la planète TRAPPIST-1 e par exemple, qui se trouve à 0,028 AU de son étoile, avec un champ magnétique comparable à celui de la Terre et une atmosphère 10 fois moins épaisse, une éruption produisant un flux de 1011 protons/cm² (typique d'une éruption solaire ayant eu lieu le 24 août 1998) induit une dose en surface de 5,07 Gy (grays). Avec une épaisseur d'atmosphère similaire à la nôtre, la dose de rayonnement est divisée par 1000, descendant à 3,9 mGy. En absence totale de champ magnétique de la planète, les valeurs de dose sont multipliées par un facteur 3. 
Pour ce qui est de la planète Proxima Centauri b avec les mêmes paramètres, la dose est de 1,7 Gy (avec champ magnétique terrestre) et 5 Gy sans champ magnétique.


Outre les trois planètes rocheuses intéressantes de TRAPPIST-1 et Proxima b, Atri a également étudié six autres exoplanètes : GJ 667 C f, GJ 667 C e, Kepler-1229 b, Kepler-442 b, Kepler-186 f et Kepler-62 f. La dose qu'il trouve sur ces planètes est toujours supérieure à 5 mGy pour une seule éruption de 1011 protons/cm² en considérant une atmosphère 10 fois moins épaisse que l'atmosphère terrestre.
Et les éruptions des étoiles naines autour desquelles orbitent ces planètes peuvent être encore 10 ou 100 fois plus intenses que le cas d'école utilisé par le physicien pour ses calculs.
Pour donner une comparaison, la dose de rayonnement à 1 km de l'hypocentre de l'explosion atomique de Hiroshima le 6 août 1945 a été estimée à 7 Gy. La dose mortelle pour un être humain est comprise entre 3 et 5 Gy. 

La conclusion de cette étude est que si jamais une forme de vie existait à la surface de l'une de ces planètes, le rayonnement ionisant produit par les éruptions très fréquentes de son étoile a dû être le facteur crucial qui a déterminé sa forme. Qui plus est, en absence de champ magnétique et avec une faible épaisseur d'atmosphère, l'impact des rayons cosmiques galactiques (protons et noyaux légers très énergétiques) s'ajoute aux protons des SEP... Les seuls organismes qui pourraient se développer dans de tels environnements devraient nécessairement être extrêmement radio-résistants. 
De tels organismes devraient posséder un mécanisme d'auto-réparation très efficace étant donné qu'un tel processus requiert une grande quantité d'énergie en en laissant très peu pour les activités métaboliques de base, la croissance et la reproduction. C'est ce qui est observé sur Terre chez la bactérie extrêmophile Deinococcus radiodurans (la bactérie la plus radio-résistante connue) qui s'arrête totalement de croître durant des phases d'expositions aux radiations, puis s'y remet ensuite.

Dimitra Atri note tout de même en conclusion que des habitats en subsurface pourraient cependant exister et rester protégés des rayonnements intenses des éruptions stellaires, que ce soit par une épaisseur de roche ou d'eau. On peut aussi penser que les rayonnements ionisants aient pu jouer un rôle dans l'apparition de systèmes vivants en favorisant des réactions chimiques sur des composés organiques et notamment des molécules pré-biotiques...
En résumé, les planètes "en zone habitable" ne sont absolument pas habitables au sens où on pourrait l'entendre classiquement, et en tous cas, pas par n'importe quel organisme vivant, loin s'en faut.


Source

Stellar proton event-induced surface radiation dose as a constraint on the habitability of terrestrial exoplanets
Dimitra Atri
Monthly Notices of the Royal Astronomical Society 492, L28–L33 (january 2020) 


Illustration

1) Vue d'artiste d'une exoplanète en orbite autour d'une étoile naine rouge (type M) montrant de fortes éruptions (NASA/JPL-Caltech)

2) Vue d'artiste du système de TRAPPIST-1 (Associated Press)

1 commentaire :

Pascal a dit…

Bonjour,

Concernant l’habitabilité des planètes de naines M, un point important à considérer est leur rotation synchrone probable, avec des effets potentiellement favorables ou défavorables ; par exemple, dans l'anneau tempéré où l'étoile est à l'horizon ou juste en dessous, les effets directs de l'irradiation sur le vivant sont très atténués ; en revanche les conséquences de l'association rotation synchrone + irradiation sur l'évolution de l'atmosphère, la présence d'eau liquide, le champ magnétique, ne paraissent pas évidentes, les modélisateurs ont de quoi s'amuser !

Comme indiqué, les habitats en sub-surface sont protégés, en particulier les océans, s'ils existent, et n'oublions pas que la vie terrestre a été purement aquatique pendant 90% de son évolution. Et surtout il y a le cas des océans subglaciaires type Europe ou Encelade, qui peuvent eux se situer très à l’extérieur de la "zone habitable" et où la vie serait donc doublement protégée des erruptions de l'étoile.