samedi 30 juillet 2022

Découverte de l'étoile à neutrons la plus massive : 2,35 masses solaires


Le pulsar PSR J0952-0607 (J0952) a été découvert par Bassa et al. en 2017 avec une période de rotation de 1,41 ms, ce qui en fait l'une des étoiles à neutrons à la rotation la plus rapide du disque de la Voie Lactée. Il s'agit d'un pulsar de type " veuve noire " dont l'étoile compagne de faible masse est dépouillée par le pulsar, irradiée et évaporée par sa luminosité. Aujourd'hui, une équipe d'astrophysiciens est parvenue à observer la très faible lumière de la petite étoile compagne, ce qui permet de déduire la masse de l'étoile à neutrons, et c'est le record absolu de masse, très proche de la valeur maximale théorique : 2,35 masses solaires! L'étude est publiée dans The Astrophysical Journal Letters.

En 2019, Nieder et al. avaient détecté J0952 comme un pulsar gamma, et avaient mesuré une synchronisation radio et une photométrie optique supplémentaires qui avaient permis des ajustements sur les propriétés du système. Ils avaient notamment mesuré une très faible dérivée de période de 4,6 10-21 s.s-1, ce qui donnait une limite supérieure sur le champ magnétique de surface de 8,2 × 107 G, le plaçant  parmi les 15 champs magnétiques de pulsar les plus bas connus. Et si on prend en compte le mouvement propre du pulsar qui a aussi pu être mesuré, on arrive à des valeurs encore plus faibles de 2,0 × 10-21 s.s-1 et B ≈ 6,1 × 107 G, le mettant à la onzième place pour la valeur du champ magnétique.
Mais dans leur article de 2019, Nieder et ses collaborateurs écrivaient : "Malheureusement, la contrepartie optique de PSR J0952-0607 est trop faible pour que les mesures spectroscopiques de vitesse radiale soient réalisables, même avec des télescopes de classe 10 m.". Cette phrase n'a pas découragé Roger Romani (Stanford University) et son équipe, trop intrigués qu'ils étaient par ces valeurs très basses de décélération et de champ magnétique. Ils se sont donc lancés dans une campagne d'imagerie et de spectroscopie sur J0952 avec le télescope Keck de 10 m pour essayer de voir la lumière produite par l'échauffement induit par l'irradiation du pulsar sur la surface de l'étoile compagne. Il leur suffisait d'arriver ensuite à enregistrer quelques spectres de la petite étoile compagne pour en déduire la variation de sa vitesse radiale (rapprochement/éloignement), et donc, pour en déduire sa vitesse de rotation dans le système binaire, ce qui mène à la masse de l'étoile à neutrons.
Et c'est ce qu'ils sont parvenus à faire grâce à des observations répétées durant quatre ans ! Les chercheurs peuvent ainsi dire que le plan orbital du couple est vu sous un angle d'inclinaison de 59,8° ± 1,9° pour ce couple dont la période orbitale est de 6,4 heures, et que la masse du pulsar vaut 2,35 ± 0,17 M. C'est la plus grande masse (bien mesurée) trouvée à ce jour pour une étoile à neutrons. Les incertitudes de modélisation sont faibles, car le chauffage n'est pas extrême, selon les auteurs. L'étoile compagne se trouve bien à l'intérieur de son lobe de Roche. Si l'étoile à neutrons a commencé sa vie à une masse typique de naissance de pulsar, cela signifie qu'il a déjà absorbé près de 1 M de sa pauvre compagne qui ne fait plus que 20 fois la masse de Jupiter... Une telle accrétion massive peut être liée au champ magnétique dipolaire intrinsèque qui est particulièrement faible pour cette étoile à neutrons, selon Romani et ses collaborateurs.

En combinant cette masse avec celles provenant d'une nouvelle modélisation d'autres binaires de type araignées (veuves noires, dos rouges, etc), Romani et son équipe montrent que ces objets mettent une forte limite inférieure à la masse maximale des étoiles à neutrons, sensiblement au-dessus des valeurs qui peuvent être déduites des mesures du retard Shapiro radio. En somme, les pulsars qui dévorent leur étoile compagne jusqu'à ce qu'elles deviennent des objets de la taille d'une planète, voire plus rien, sont bien les étoiles à neutrons les plus massives que l'on connaît. Mais l'accrétion de matière apporte aussi du moment cinétique, accélérant la rotation du pulsar. Les pulsars veuves noires peuvent ainsi très bien expliquer l'existence de pulsars millisecondes isolés : ils auraient tout simplement fini de dévorer leur compagne, qui n'existerait plus, leur ayant finalement transféré toute leur masse et leur énergie de rotation... 

Selon Romani et ses collaborateurs, PSR J0952-0607, avec sa très grande masse (2,35 masses solaires) et sa très grande vitesse de rotation (709 tours sur elle même en 1 seconde !) devrait avoir de profondes implications pour l'équation d'état de la matière dense dans les étoiles à neutrons. La mesure de masses élevées d'étoiles à neutrons dans certaines binaires naine blanche-pulsar milliseconde, via le retard de Shapiro mesuré par radio, a été très influente dans la réflexion sur l'équation d'état de la matière dense. On connaît ainsi deux systèmes qui ont une masse estimée supérieure à 2 M : J0348+0432 à 2,01 ± 0,04 M (caractérisé en 2013) et PSR J0740+6620 à 2,08 ± 0,07 M (mesuré récemment par Fonseca et al. en 2021). Mais la masse maximale qu'une étoile à neutrons peut atteindre doit clairement dépendre de son histoire évolutive binaire. Par exemple, l'inspection des seules binaires doubles EN-EN permettrait de conclure que la masse typique des étoiles à neutrons est de ∼1,35 M, avec un maximum de ∼1,45 M ; les pulsars millisecondes de ces systèmes ne sont que légèrement recyclés, avec des périodes de rotation de quelques dizaines de millisecondes et des champs magnétiques modérés. Il faut donc examiner d'autres classes de binaires à pulsars pour trouver les étoiles à neutrons les plus massives. D'autre part, il a longtemps été soutenu que l'accrétion binaire pouvait réduire les champs magnétiques des jeunes pulsars (de l'ordre du TeraGauss) à des valeurs de pulsars milliseconde, bien que le mécanisme ne soit pas clair, allant du simple enfouissement à la décroissance ohmique induite par le chauffage. Il semble en tous cas probable que la quantité d'accrétion de masse ou sa durée jouent un rôle dans la réduction du champ magnétique. 
Puisque l'évolution de l'étoile compagne est conduite par la perte de moment cinétique et le gonflement par irradiation et chauffage, plutôt que par l'évolution nucléaire, de longues périodes d'accrétion à un taux inférieur à celui d'Eddington (le taux maximal) sont attendues pour les progéniteurs des binaires "araignée" (veuves noires ou dos rouges), avant le début de la phase d'évaporation conduite par le pulsar. Ces binaires à courte période peuvent donc a priori abriter des étoiles à neutrons très massives. 

J0952 est un candidat particulièrement attrayant pour une étude plus approfondie de ces systèmes particuliers qui produisent les plus grosses étoiles à neutrons. La valeur centrale de masse trouvée de 2,35 masses solaires fournit la contrainte la plus sévère aujourd'hui sur l'équation d'état de la matière dense, et cela reste vrai même quand on considère la borne inférieure de l'incertitude sur cette masse, qui mène à 2,18 masses solaires. Les chercheurs précisent que cette limite inférieure sur la masse peut être adoptée avec une haute confiance étant donné le modèle simple de chauffage qui a été utilisé.  En conclusion, ils annoncent qu'ils vont chercher à réduire d'avantage cette incertitude avec de nouvelles observations, mais une amélioration des mesures de vitesse radiale devra sans doute attendre l'arrivée des télescopes de la classe des 30 m... 

Source

PSR J0952−0607: The Fastest and Heaviest Known Galactic Neutron Star
Roger W. Romani et al.
The Astrophysical Journal Letters, Volume 934, Number 2 (2022 July 26)


Illustrations

1. Vue d'artiste d'un pulsar milliseconde "veuve noire" (NASA's Goddard Space Flight Center/Cruz deWilde)
2. Mesures de la vitesse radiale de l'étoile compagne de PSR J0952-0607 sur une période de 4 ans (Romani et al.)

3 commentaires :

Claire a dit…

Merci pour cet article très intéressant ! Ces chiffres me donnent toujours un peu le tournis! Je me suis posée une question en lisant cela : est ce que la vie (telle qu'on la connaît ou telle qu'on l'imagine) serait possible sur une planète qui aurait une rotation sur elle-même aussi élevée?

Pascal a dit…

Bonjour Claire,
Un excellent roman de hard sf a ete publie par le physicien american specialiste de la gravite R Forward : dragons'egg (l oeuf du dragon en vf). Il met en scene une vie developpee a la surface d,une etoile a neutrons. Les contraintes principales sont liees a la gravite et au champ magnetique. A lire absolument si le sujet t'interesse !

Pascal a dit…

Bonjour Eric,
Sauf erreur, les auteurs ne precisent pas quels modeles sont falsifies par leurs limites de masse : presence de quarks s / hyperions, fluide de mesons, plasma de quarks/gluons?