mardi 16 août 2022

Les étoiles à neutrons accélérées par une "fusée à neutrinos"


Les pulsars sont très souvent animés d'une vitesse qui peut être très élevée et que leur étoile progénitrice n'avait pas avant d'exploser en supernova. Ce phénomène a été observé très tôt après la découverte des premiers pulsars à la fin des années soixante et a souvent été associé à l'asymétrie possible de l'explosion. Mais aujourd'hui, une équipe chinoise vient de mettre le doigt sur un processus qui expliquerait cette accélération de l'étoile à neutrons et en même temps pourquoi la direction du mouvement semble parallèle à son axe de rotation. Il implique les neutrinos et les antineutrinos... Les chercheurs chinois publient leur étude dans The Astrophysical Journal.

La vitesse de mouvement moyenne des pulsars est de 450 km/s, et cinq pulsars ont été observés avec une vitesse supérieure à 1000 km/s comme PSR J0002+6216 avec ses 1127 km/s.  Il a été largement accepté que la vitesse élevée des pulsars devait être acquise au cours d'un processus d'impulsion  sur une échelle de temps de 100 ms à 10 s dans l'explosion de la supernova, que les spécialistes appellent un "kick", dans lequel un mécanisme dynamique asymétrique jouerait un rôle clé. Mais cette image n'est pas entièrement satisfaisante, notamment du fait que plusieurs pulsars ont été observés avec un mouvement qui se trouvait coïncident avec l'axe de rotation de l'étoile à neutrons, et avec une accélération qui paraissait continuer longtemps après la supernova, sans que l'on parvienne à comprendre comment c'était possible.
Zheng Li (académie des sciences chinoise) et ses collaborateurs proposent un modèle qui fait intervenir l'émission de paires de neutrinos/antineutrinos par les neutrons de l'étoile à neutrons. Ils montrent en effet que les neutrons en mouvement giratoire peuvent émettre une paire de neutrinos et d'antineutrinos. Et il a été démontré que les paires de neutrons de Cooper qui se forment dans le liquide superfluide de l'étoile à neutrons, formées par liaison des neutrons deux à deux, subissent également un mouvement giratoire en formant des vortex, et que dans ce cas, les neutrons peuvent émettre des paires de neutrinos et antineutrinos par le mécanisme du rayonnement cyclotronique. 
Mais contrairement à des leptons plus classiques comme le couple électron-positron, les neutrinos ont une hélicité gauche et les antineutrinos une hélicité droite, et l'interaction faible ne conserve pas la parité. Il s'en suit alors une asymétrie spatiale dans l'émission de la paire neutrinos-antineutrinos : au lieu d'être émis dos-à-dos comme c'est le cas avec un couple électron-positron, le neutrino et l'antineutrino sont émis dans la même direction et dans le même sens. 
Zheng Li et ses collaborateurs montrent alors que l'accélération continue des pulsars peut être naturellement expliquée par ce modèle de "fusée à neutrinos", qui donne une vitesse maximale à l'étoile à neutrons dépassant 1000 km s-1. L'alignement entre l'axe de rotation et la direction du mouvement qui est observé pour le pulsar du Crabe (PSR 0531) et le pulsar de Vela (PSR 0833) peut également être bien expliqué par ce mécanisme, l'émission de neutrinos étant corrélée avec les vortex superfluides, eux-mêmes étroitement liés à la rotation de l'étoile à neutrons. Il en résulte une émission de neutrinos et antineutrinos dans la direction de l'axe de rotation de l'étoile à neutrons, et donc, par conservation de l'impulsion, un mouvement de l'ensemble de l'étoile à neutrons dans la même direction mais dans le sens opposé à celui de l'émission des neutrinos.
Et en raison de l'émission continue de courants de neutrinos à l'intérieur de l'étoile à neutrons, celle-ci accélère donc continuellement, ce qui entraîne finalement une vitesse très élevée le long de l'axe de rotation, comme ce qui est observé sur les pulsars du Crabe et de Vela. Et comme dans les étoiles à neutrons, l'énergie de rayonnement des neutrinos est fournie par l'énergie de rotation, les étoiles à neutrons sont caractérisées par un ralentissement de leur rotation (un spin down). Et il se trouve que la corrélation qui est observée entre le taux de ralentissement de la  vitesse de rotation et la période des pulsars à longue période (avec P ≳ 0,5 s) peut également être expliquée de manière satisfaisante par ce modèle de Li et ses collaborateurs. 
Lorsqu'on regarde la distribution des pulsars en fonction de leur période de rotation et de leur vitesse, on constate d'ailleurs que plus les pulsars ont une période longue, plus ils ont une vitesse de mouvement élevée. Le pourcentage des pulsars qui ont une vitesse supérieure à 300 km/s est de seulement 7,9% chez les pulsars de période inférieure à 0,1s, 33,3% chez les pulsars de période comprise entre 0,3 et 0,5 s et de 42,9% chez les pulsars de période supérieure à 1 s...

Le mystère des grandes vitesses accélérées et de la coïncidence très étrange entre l'axe de rotation et la direction du mouvement des pulsars vient peut-être d'être résolu, grâce à l'existence de vortex superfluides quantiques dans le coeur des étoiles à neutrons et des particularités des neutrinos...


Source

Neutrino Rocket Jet Model: An Explanation of High-velocity Pulsars and Their Spin-down Evolution
Zheng Li et al.
The Astrophysical Journal, Volume 931, Number 2 (2 june 2022)


Illustration

Image du pulsar PSR J0002+6216 qui s'éloigne du centre du résidu de supernova qui lui a donné naissance, à la vitesse de 1127 km/s (Jayanne English, University of Manitoba / NRAO / F. Schinzel et al / DRAO / Canadian Galactic Plane Survey / NASA / IRAS)


3 commentaires :

Anonyme a dit…

Merci pour ce post (et tous les autres !) . Je n’ai pas compris pourquoi l’émission de la paire se faisait dans un sens privilégié de l’axe de rotation, sinon il y en aurait autant dans un sens que dans l’autre qui se compenseraient.

Dr Eric Simon a dit…

la direction d'émission est liée à la rotation des neutrons dans les vortex et ces vortex tournent avec le même axe que celui de l'étoile à neutrons elle-même. Le fait qu'il ne sont pas émis à 180° l'un de l'autre, c'est un effet quantique de violation de la parité dans l'interaction faible : neutrinos et antineutrinos ne sont pas identiques par la transformation P (parité) : le spin des neutrinos est antiparallèle à leur mouvement alors que celui des antineutrinos est parallèle à leur mouvement, et comme la paire neutrino/antineutrino doit avoir des spins dans des sens opposés, leur mouvement se retrouve dans le même sens. Le rayonnement cyclotron de neutrinos par des vortex de neutrons superfluides avait été théorisé en 1982 par des chercheurs chinois déjà (Qiu-He Peng et al. A&A 107 (1982))

Anonyme a dit…

C’est parfaitement clair,Merci.