21/03/25

Découverte d'une galaxie à disque géante, 2 milliards d'années après le Big Bang


Des observations approfondies du télescope spatial Webb ont révélé une galaxie qui est exceptionnellement grande dans l'univers jeune, 2 milliards d'années après le Big Bang. Est a été nommée la galaxie de la Grande Roue. La découverte est publiée dans Nature Astronomy .

Des études observationnelles ont montré depuis quelques années que des disques de galaxies étaient déjà en place dès les premiers milliards d'années de l'Univers. Les premiers disques détectés jusqu'à présent, avec un rayon de demi-lumière typique de 3 kpc et des masses stellaires d'environ 100 milliards M⊙ pour un décalage vers le rouge z  ≈ 3, sont tous significativement plus petits que les disques galactiques actuels de masses similaires, ce qui concorde avec les prévisions des modèles galactiques actuels. Mais cette nouvelle venue, que Weichen Wang (université de Milan) et ses collaborateurs ont surnommée la "Grande Roue" change la donne. Située à z  = 3,25, alors que l'Univers n'avait que deux milliards d'années, elle a un rayon de demi-lumière de 9,6 kpc et une masse stellaire de 370 milliards de M⊙. 

En fait, cette galaxie géante a été découverte par hasard dans un champ de quasars brillants grâce à l'imagerie du télescope spatial Webb à des longueurs d'onde de 1,5 μm et 3,2 μm. Les observations du télescope spatial Hubble à 0,8 μm ne révèlent que des amas isolés à la périphérie de la galaxie, traçant peut-être de jeunes étoiles et/ou un faible obscurcissement par la poussière. La Grande Roue présente un centre rouge, visible uniquement dans les filtres proche infrarouge du JWST, et un disque stellaire s'étendant sur au moins 30 kpc de diamètre. Des caractéristiques de bras spiraux sont visibles, apparaissant groupées, rappelant certaines galaxies spirales de l'univers local. 

Cette galaxie est donc plus grande que tous les autres disques cinématiquement confirmés à des époques similaires et est étonnamment similaire aux plus grands disques actuels en termes de taille et de masse. L'imagerie et la spectroscopie du télescope spatial James Webb révèlent sa morphologie spirale et une vitesse de rotation compatible avec une relation locale de Tully-Fisher. Les observations multi-longueurs d'onde montrent qu'elle se trouve dans un environnement exceptionnellement dense, où la densité numérique des galaxies est plus de dix fois supérieure à la moyenne cosmique et où les fusions sont fréquentes. La découverte d'un tel disque géant suggère la présence de conditions physiques favorables à la formation de grands disques dans les environnements denses de l'Univers primordial, qui pourraient inclure une accrétion efficace de gaz porteur de moment angulaire cohérent et des fusions non destructives entre des galaxies progénitrices exceptionnellement riches en gaz.

Il s'agit d'une galaxie à disque géante. On pensait auparavant que les disques galactiques se formaient progressivement sur une longue période : soit par l’intermédiaire de gaz s’écoulant en douceur dans les galaxies depuis l’espace environnant, soit par fusion avec des galaxies plus petites. Habituellement, les fusions rapides entre galaxies perturbent les délicates structures spirales, les transformant en formes plus chaotiques. Mais la Grande Roue a réussi à atteindre rapidement une taille étonnamment grande sans perdre sa forme spirale caractéristique. Et ça remet en question les idées reçues sur la croissance des galaxies géantes.

Les observations détaillées des astrophysiciens avec le JWST montrent que la Grande Roue est comparable, en taille et en vitesse de rotation, aux plus grandes galaxies dites « superspirales » de l'univers actuel. Elle est trois fois plus grande que les galaxies comparables de cette époque, et elle est l'une des galaxies les plus massives observées 2 milliards d'années après la singularité.

En fait, sa vitesse de rotation est telle qu'elle se place parmi les galaxies à l'extrémité supérieure de ce qu'on appelle la relation de Tully-Fisher , la relation qui lie la masse stellaire d'une galaxie et sa vitesse de rotation maximale.

Le modèle de disque déterminé par les astrophysiciens comprend six paramètres libres spécifiant la position et la vitesse du centre du disque, l'orientation du grand axe et les normalisations de la courbe de rotation. Le modèle le plus ajusté donne une vitesse de rotation maximale (corrigée de l'inclinaison) v rot qui est de 331 km.s-1, c'est-à-dire, 5,4 fois la vitesse de dispersion (σint = 61 km.s-1). Ces valeurs indiquent que la Grande Roue est supportée en rotation et présente une valeur de dispersion cohérente avec des disques turbulents (plus petits) à des décalages vers le rouge similaires et plus faibles. En combinant vrot et σint en utilisant la relation communément adoptée dans la littérature , Wang et ses collaborateurs obtiennent une vitesse circulaire de 352 ± 30 km.s-1. La carte de vitesse du gaz moléculaire obtenue par ailleurs grâce aux observations de l'Atacama Large (sub-)Millimeter Array (ALMA) couvrant la galaxie entière, bien qu'avec une résolution spatiale plus faible, montre des résultats cohérents.

Les chercheurs notent également que, même si elle est inhabituellement grande, la Grande Roue grandit activement à un rythme similaire à celui des autres galaxies du même âge cosmique: elle produit 250 masses solaires d'étoiles par an.

Ce qui rend cette découverte encore plus intéressante, c’est l’environnement dans lequel la Grande Roue s’est formée. Elle est en effet située dans une région de inhabituellement peuplée, où les galaxies sont regroupées de manière dense, dix fois plus denses que dans les zones typiques de l'univers. Selon les chercheurs, c'est cet environnement dense qui a probablement fourni les conditions idéales à la croissance rapide de la galaxie. Ils estiment qu'elle a probablement connu des fusions suffisamment douces pour lui permettre de conserver sa forme de disque spiralé. De plus, le gaz entrant dans la galaxie devait être aussi bien aligné avec sa rotation, ce qui aurait permis au disque de croître rapidement sans être perturbé.

Les observations de Wang et ses collègues révèlent ainsi que la galaxie de la Grande Roue est un disque géant en rotation avec des propriétés physiques uniques pour l'époque z  ≈ 3, ce qui soulève des questions sur son scénario de formation. Dans le cadre théorique classique, la taille du disque devrait être simplement proportionnelle à la taille du halo multipliée par le paramètre de spin du halo sans dimension, avec de faibles écarts avec la concentration du halo et le rapport de masse disque/halo. 

La Grande Roue est au moins trois fois plus grande que la taille attendue des galaxies à disque en formation d'étoiles à sa masse et à son décalage vers le rouge, compte tenu de la relation taille-masse observée dans les champs aléatoires. La probabilité de trouver au hasard une telle galaxie, si l'environnement ne joue pas de rôle, est inférieure à 2 %. Sa découverte fortuite dans l'une des plus grandes surdensités de galaxies découvertes jusqu'à présent à z  ≳  3  suggère que d'autres mécanismes physiques pourraient intervenir dans la détermination de la taille des galaxies à disque massif dans ces régions de l'Univers.

On s'attend notamment à ce que les fusions majeures soient plus fréquentes que la moyenne cosmique dans les régions surdenses et il se trouve que quelques modèles suggèrent qu'elles peuvent, dans des conditions exceptionnelles, faciliter la croissance du disque en augmentant la rotation du disque plutôt qu'en le détruisant. En particulier, les modèles suggèrent que les disques peuvent survivre à une perturbation ou se reformer par la suite si les fusions ont des paramètres orbitaux favorables et que les galaxies progénitrices sont riches en gaz. Si ces prédictions sont correctes, la présence d'un tel disque géant dans une grande surdensité de galaxies pourrait impliquer, par exemple, un lien entre l'environnement dense et une élévation de la fraction de gaz des galaxies. À son tour, la teneur élevée en gaz des galaxies pourrait être causée par une accrétion plus efficace du gaz de la toile cosmique dans des environnements plus denses aux premières époques cosmiques.

Alternativement, les grands disques pourraient également être le résultat de l'accrétion de gaz cosmique avec un moment cinétique cohérent, résultant en un rapport de moment cinétique disque/halo plus grand par rapport aux attentes des modèles analytiques précédents .

Les mécanismes pertinents de formation et d'évolution des galaxies ne sont pas encore bien définis à ce jour. Et les simulations cosmologiques actuelles n'ont pas prédit de disques aussi grands que la galaxie de la Grande Roue à z  ≳  3 à des masses comparables.

Outre son origine incertaine, l'évolution ultérieure de la Grande Roue demeure également une belle inconnue. Le fait que la galaxie ne croît pas de manière isolée et la présence d'au moins une galaxie compagne, pourraient suggérer de futures fusions qui seraient responsables d'une évolution des propriétés de la Grande Roue.

De plus, son environnement dense, qui suggère la présence d'un proto-amas, indique que son descendant pourrait ressembler à l'un des membres les plus massifs des amas de galaxies actuels. Mais évidemment, des études complémentaires sont nécessaires pour comprendre la fréquence de la présence de disques géants tels que la Grande Roue dans des environnements denses aux premières époques cosmiques et si leurs propriétés physiques et leurs densités numériques sont cohérentes avec celles des progéniteurs présumés des amas de galaxies les plus massifs d'aujourd'hui.

Ce qui est sûr, c'est que l'existence de la Grande Roue là où elle se trouve dans l'espace-temps indique que les modèles actuels de l'évolution des galaxies doivent encore être affinés.

Source

A giant disk galaxy two billion years after the Big Bang

Weichen Wang, et al.

Nature Astronomy (17 march 2025)

https://doi.org/10.1038/s41550-025-02500-2


Illustration 

La galaxie de la Grande Roue (Wang et al.)

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