06/03/25

De l'eau produite en quantité dans les toutes premières supernovas il y a 13,5 milliards d'années


Une équipe d’astrophysiciens est parvenue à la conclusion que de l'eau s'est formée dans des supernovas à effondrement de cœur et à instabilité de paires issues des premières étoiles massives (de population III), seulement 150 millions d’années après le Big Bang. Les principaux sites de production d'eau dans ces restes seraient des noyaux de nuages moléculaires denses, qui dans certains ont été enrichis en eau à des fractions de masse qui n'étaient que de quelques facteurs au-dessous de celles du système solaire aujourd'hui. Ils publient leur étude dans Nature Astronomy.

Lorsque les supernovas se dilatent et se refroidissent, l'oxygène des éjectas réagit avec l’hydrogène atomique et moléculaire H et H2 pour former de l'eau dans leur halo. C'est ce qu'ont montré Daniel Whalen (Portsmouth University) et ses collaborateurs, qui ont effectué des simulations de tels halos de supernovas à effondrement de cœur (CC) et à instabilité de paires (PI), des supernovas qui correspondent à des explosions d'étoiles massives de première génération (les étoiles de Pop III), de 13 M⊙ pour la première et 200 M pour la seconde Ils montrent que la vapeur d'eau diffuse pénètre dans les halos de gaz avec des fractions de masse de 10-14 à 10-12 dans la supernova CC et de 10-12 à 10-10 dans la supernova PI. 

Les chercheurs indiquent que les faibles masses d'eau et leur croissance lente sont dues aux densités relativement faibles qui existent dans les restes de supernova en expansion, dans lesquels les réactions de production ont des taux faibles. On voit que la masse d'eau croît de 10-8 à 10-7 M⊙ dans la supernova de type CC au cours des 20 premières mégannées et de 1 à 1,5 × 10-6 M dans la supernova de type PI au cours des 2 à 3 premières mégannées. Whalen et son équipe montrent que les fractions de masse d'eau dans la supernova PI sont les plus élevées dans la coquille dense de gaz qui est balayée et chimiquement enrichie par le choc en expansion, parce que les densités, et donc les taux de réaction de production de H2O, y sont les plus élevés.

Mais la simulation indique que les masses d'eau augmentent ensuite brusquement de quelques ordres de grandeur dans les deux types de halos : d'un facteur 1000  (de 10-6 M à 10-3 M ) dans la supernova PI après 3 millions d’années et d'un facteur 100 ( de 10-8 M⊙ à 10-6 M ) dans la supernova CC après 30 à 90 millions d’années. Cette eau se forme presque entièrement dans des nuages de gaz denses, qui ont été contaminés par des métaux provenant des explosions et qui se sont ensuite effondrés à des densités élevées où les taux de production de H2O augmentent brusquement. Les fractions de masse d'eau atteignent 10-4 dans le fragment de supernova PI et 4 × 10-7 dans le noyau de supernova CC à la fin des simulations. Les sites dominants de production d'eau dans les supernovas primordiales sont donc les noyaux denses et autogravitants dans les éjectas, et non les grands volumes de gaz diffus enrichis dans le halo.

Les simulations montrent aussi que le noyau gazeux de la supernova CC s'est formé avant l'explosion et est progressivement enrichi par celle-ci. La turbulence dans le sillage de la fusion de deux deux halos gazeux à z = 26,4 qui accueilleront plus tard l'étoile de 13 M  produit plusieurs amas de gaz dans son voisinage avant sa naissance. L'un d'entre eux n'était qu'à 30 pc, et après avoir survécu à la photoévaporation par l'étoile, il entre en collision avec les éjectas de l'explosion 20 Mégannées plus tard. 

En revanche, Whalen et ses collaborateurs expliquent que le noyau gazeux de la supernova PI, lui,  est créé par l'explosion. Comme le montrent les diagrammes de phase, la bulle chaude de la supernova PI enrichit rapidement le gaz environnant jusqu'à des métallicités élevées. Les instabilités hydrodynamiques dans la bulle en expansion produisent des fluctuations turbulentes de densité qui forment alors un amas compact de gaz. Il s'effondre à un rayon de ~0,01 pc à une masse de 35 M, une densité centrale de 6,0 × 1014 cm-3 et une masse d'eau totale de 9 × 10-3 M 3 Mégannées après l'explosion. À ces densités, le refroidissement des poussières devient important dans le noyau. Cet amas devient autogravitant beaucoup plus tôt que dans la supernova CC, car sa métallicité plus élevée entraîne un refroidissement et un effondrement plus rapides. En revanche, le coeur du nuage de la supernova CC s'effondre sur des échelles de temps beaucoup plus longues en raison de sa métallicité beaucoup plus faible et seulement après avoir été mélangé avec des métaux externes par la turbulence. En fait, le noyau de la supernova CC se forme et s'effondre à des échelles de temps qui sont similaires à celles auxquelles les métaux ont formé des étoiles de deuxième génération dans les simulations cosmologiques antérieures. Whalen et ses collaborateurs peuvent prédire que le noyau de la supernova PI formera de telles étoiles de deuxième génération bien plus tôt que ce qu'ont prédit toutes les simulations à ce jour.

Selon les chercheurs, les noyaux de nuages gazeux enrichis par des métaux provenant de supernovas d'étoiles Pop III ont probablement été les principaux sites de formation d'eau dans la plupart des halos primitifs. Les conditions qui ont favorisé la formation de ces noyaux de gaz, comme les grandes fusions ou les explosions dans les régions H II, ont donc maximisé la production d'eau primordiale. On voit que les supernovas dans les régions H II compactes ont tendance à former des amas parce que les instabilités dynamiques dans l'éjecta en expansion se forment plus tôt et que le choc s'arrête plus tôt dans des densités ambiantes plus élevées. 

Whalen et ses collaborateurs ont considéré qu'une seule étoile se formait dans chaque halo, comme le cas le plus simple. Mais plusieurs étoiles peuvent également se former. Dans ce cas, plusieurs explosions de supernova peuvent se produire et se chevaucher dans le halo. Elles peuvent temporairement détruire l'eau dans les régions à faible densité, mais ils estiment que les noyaux denses où se forme la plus grande partie de l'eau survivront aux UV ionisants et aux supernovas d'autres étoiles, tout comme l'amas dense situé à 30 pc de l'étoile de 13 M dans la simulation a survécu à son rayonnement et à son explosion. Par ailleurs, plusieurs explosions peuvent produire des noyaux plus denses et donc plus de sites de formation et de concentration d'eau.

Des simulations numériques récentes de la formation d'exoplanètes jusqu'aux métallicités les plus basses jamais tentées indiquent que les deux noyaux simulés ici sont des sites probables de formation de planètes. Le gaz contenu dans l'amas de supernova CC pourrait produire des disques protoplanétaires qui se fragmentent en planètes de la masse de Jupiter. La teneur plus élevée en métaux du fragment de supernova PI pourrait, en principe, conduire à la formation de planétésimaux rocheux dans des disques protoplanétaires avec des étoiles de faible masse. 

Ce que suggèrent ces simulations, c'est que l'eau était présente dans les galaxies primordiales en raison de sa formation antérieure dès les explosions des toutes premières étoiles. Les fractions de masse d'eau dans les restes diffus de supernova absorbés par ces galaxies pourraient atteindre 10-10, soit seulement un ordre de grandeur de moins que ce qu'on a aujourd'hui dans la Voie lactée. Une bonne partie de cette eau aurait pu se retrouver sur des planètes il y a déjà 13 milliards d'années, mais Whalen et ses coauteurs précisent quand même qu'une partie de cette eau aurait pu être photodissociée par les étoiles massives à faible métallicité de ces galaxies ou détruite par d'autres réactions chimiques lorsqu'elles ont atteint des métallicités plus élevées à des époques ultérieures. Mais l'augmentation des fractions de poussière dans les premières galaxies aurait également pu protéger l'eau des UV et atténué sa destruction.

En conclusion, on voit que l'eau est sans doute présente partout dès l'enfance de l'Univers, à peine 150 millions d'années après la singularité primordiale, il y a plus de 13,5 milliards d'années. Il reste maintenant à déterminer la quantité d'eau qui a survécu à l'environnement radiatif hostile des premières galaxies...

 

Source

Abundant water from primordial supernovae at cosmic dawn

D. J. Whalen, M. A. Latif & C. Jessop 

Nature Astronomy (3 march 2025)

https://doi.org/10.1038/s41550-025-02479-w


Illustrations

1. Images simulées des deux types de supernovas (CC à gauche et PI à droite) (Whalen et al.)

2. Daniel Whalen

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