24/03/25

Une myriade de trous noirs stellaires autour de Sgr A*


Une équipe de chercheurs vient de trouver une preuve de la présence d'une grande population de trous noirs stellaires qui se trouveraient tout autour de Sgr A* et qui ont pour effet de détruire les grosses étoiles de son voisinage le plus proche en quelques millions d'années. Cela explique pourquoi on ne voit pas de telles étoiles dans cette zone. Ils publient leur étude dans Astronomy & Astrophysics.

On pense généralement que le parsec le plus profond du centre galactique devrait abriter une population de trous noirs de masse stellaire. Mais la structure et les propriétés de cette population restent largement inconnues malgré d'importantes avancées théoriques ainsi que d'observations. C'est principalement dû au fait que les observations de trous noirs stellaires reposent généralement sur la détection du rayonnement provenant de la matière environnante en accrétion, qui n'est pas toujours disponible. Pour cette raison, une fraction potentiellement importante de la population de trous noirs peut rester indétectable. Des travaux récents de Zhao et al. (2022) font état de quelques dizaines de « sources radio hypercompactes » pouvant représenter des restes stellaires massifs candidats dans le parsec central de notre Galaxie. 
Plusieurs sources possibles et non exclusives des trous noirs de masse stellaire du centre galactique ont été suggérées, chacune conduisant à des propriétés différentes de la population de trous noirs résultante. Ces trous noirs pourraient être nés à plus grande échelle (quelques pc de rayon), formés dans un amas d'étoiles nucléaires et pourraient s'être accumulés de manière dynamique dans ses parties centrales. En 2018, Baumgardt et al. ont démontré , au moyen d'une modélisation numérique à N corps, que durant une évolution de l'amas nucléaire d'étoiles, aussi longue que le temps de Hubble, avec des événements répétitifs de formation d'étoiles, seuls environ 300 trous noirs de masse stellaire migrent vers les 0,1 pc les plus profonds du centre galactique. Par conséquent, malgré sa masse totale importante, l'amas nucléaire d'étoiles ne semble pas être une source très efficace de trous noirs de masse stellaire pour sa région la plus profonde.
Une autre hypothèse implique que ces trous noirs de masse stellaire pourraient être des reliques de la formation du trou noir supermassif Sgr A ⋆ lui-même, dans le modèle Kroupa et al. (2020) . Dans ce modèle, au début de la formation d'une galaxie elliptique, ou d'un bulbe, un amas d'étoiles hypermassives se forme en son centre. Après la mort des étoiles massives, les plus de 100000 trous noirs de masse stellaire fusionnent rapidement en raison de l'afflux de gaz provenant du bulbe encore en formation, conduisant à la formation du trou noir supermassif en quelques centaines de millions d'années, mais laissant aussi très probablement une population résiduelle de trous noirs stellaires à proximité. 
Une autre façon d'accumuler des trous noirs de masse stellaire dans les régions les plus profondes du centre galactique, c'est la formation in situ d'étoiles massives dans des disques d'accrétion gazeux autour de Sgr A⋆. Il s'agit d'un scénario de formation favorable pour le jeune amas stellaire (≈5 mégannées) qui est observé entre 0,04 et 0,5 pc de Sgr A ⋆ en projection. Cet amas contient actuellement plus d'une centaine d'étoiles de type OB et de Wolf-Rayet très massives qui finiront leur vie en trous noirs. Sa fonction de masse actuelle est globalement très lourde, probablement en raison de sa formation dans l'environnement extrême qui a directement donné une telle distribution de masse. 
Avec ces différentes hypothèses en tête, Jaroslav Haas (Université Charles) et ses collaborateurs ont étudié quel serait l'impact d'une grande population de trous noirs stellaires dans le voisinage de Sgr A* sur la population d'étoiles qui y résident. Certes, la formation d'étoiles dans le parsec le plus intérieur de notre Galaxie fait toujours l'objet d'un débat, mais il a été suggéré qu'elle était récurrente. Un afflux continu de gaz provenant de régions plus éloignées pourrait en effet s'accumuler à proximité de Sgr A ⋆ et former des étoiles massives dont les vents empêchent tout nouvel afflux de gaz jusqu'à ce qu'ils cessent en raison de l'évolution stellaire et que le cycle entier se répète.
En prenant l'amas de jeunes étoiles actuellement observé comme représentatif de la formation d'étoiles dans le parsec le plus interne de la Galaxie et en supposant que de telles étoiles s'y sont formées en continu sur des échelles de temps cosmologiques, Haas et ses collaborateurs font une estimation de la densité numérique de trous noirs de masse stellaire résultante.
Ils considèrent que la durée de vie typique d'une étoile qui termine sa vie en trou noir peut être estimée approximativement à 5 millions d'années. En considérant la centaine d'étoiles de ce type dans le jeune amas observé, ils arrivent alors à un taux de formation d'étoiles de 2 × 10-5 an-1 , ce qui donne environ 200 000 trous noirs sur 10 Gigannées. Comme les jeunes étoiles sont situées principalement à 0,1 pc de Sgr A ⋆ , la densité numérique de trous noirs correspondante est d'environ 2 × 10^8 pc-3 .
Les chercheurs notent que l'existence d'un amas de trous noirs de cette densité devrait avoir un impact significatif sur la population stellaire, en raison des collisions et des rencontres rapprochées des étoiles avec les trous noirs stellaires. Afin de quantifier le phénomène, les astrophysiciens supposent que la densité numérique, n • , des trous noirs est constante dans le volume d'espace où les interactions devraient se produire. Ils définissent une collision directe entre le trou noir et l'étoile concernée comme une rencontre dont la distance d'approche la plus proche est r per  <   R⋆ , R⋆ étant le rayon physique de l'étoile. Ils en déduisent le taux de telles collisions.
Par souci de simplicité, Haas et ses collègues supposent ensuite que ces collisions directes entraînent la destruction des étoiles impactées, quelle que soit la vitesse d'approche. Cette hypothèse est corroborée par les modèles hydrodynamiques de Kremer et al. (2022) pour les approches lentes (paraboliques). Les chercheurs expliquent qu'une population de trous noirs de masse stellaire entourant Sgr A ⋆ agit ainsi comme un « broyeur d'étoiles », toute nouvelle étoile étant détruite par des collisions avec les trous noirs.
L'effet de broyage des étoiles est particulièrement pertinent pour l'amas à peu près isotrope de jeunes étoiles qui est observé à moins de 0,04 pc de Sgr A ⋆ , l'amas S. Son scénario de formation est encore débattu mais l'amas S semble être aussi jeune que les jeunes étoiles au-delà de 0,04 pc de Sgr A ⋆.
Mais les deux jeunes structures stellaires diffèrent considérablement dans l'abondance des étoiles les plus massives. Alors que les observations de l'amas S ont révélé environ deux douzaines d'étoiles de type B, aucune étoile de type spectral O n'y a été trouvée. Cela contraste fortement avec les observations de l'amas directement voisin de jeunes étoiles à des distances supérieures à 0,04 pc de Sgr A ⋆ où les nombres d'étoiles O et B observées sont similaires (environ 100 ; von Fellenberg et al. 2022 ). Bien que des conditions de formation d'étoiles différentes puissent être invoquées, il est tentant d'estimer l'effet du « broyeur » étant donné les conditions astrophysiques au sein de l'amas S.
En supposant donc qu'il existait une population d'étoiles O également initialement présente au sein de l'amas S, mais entièrement détruite par les collisions directes avec les trous noirs de masse stellaire datant de l'âge de leurs supposés soeurs encore vivantes situées plus loin (5 mégannées), Haas et ses coauteurs estiment quelle devrait être la densité numérique de trous noirs nécessaire.
Pour une étoile O représentative, ils fixent sa masse à M ⋆ O  = 50  M⊙. Avec la relation masse-rayon de Demircan & Kahraman, ils obtiennent un rayon d'étoile R⋆ O  de 12  R⊙ , et la vitesse de libération est donc v ⋆ O  ≈ 1260 km/s. La densité numérique de trous noirs résultante donnée par l'équation est alors n •  ≈ 2 × 10^8  pc-3 . De manière remarquable, cette valeur est en accord avec l'estimation de la densité numérique de trous noirs basée sur les arguments de formation d'étoiles.
A partir de là, les astrophysiciens peuvent estimer le temps de destruction pour les étoiles de tout autre type spectral et, en particulier, pour les étoiles de type spectral B qui sont présentes dans l'amas S. Pour l'étoile B représentative, on a M ⋆ B  = 10  M⊙ , R ⋆ B  ≈ 4  R⊙ et v ⋆ B  ≈ 970 km/s. Ainsi, alors que les étoiles O dans l'amas S sont détruites en environ 5 Mégannées, il faut 55 Mégannées pour briser les étoiles B. Du coup, les étoiles B d'environ 5 Mégannées dans l'amas S peuvent toujours être observées.
Cette contrainte est importante car elle implique que la plupart des trous noirs « broyeurs » doivent être situés au-delà de l'orbite de l'étoile S2 mais toujours dans l'amas S ; c'est-à-dire entre environ 0,01 pc et 0,04 pc de Sgr A ⋆. Haas et son équipe calculent que dans cette région, leur densité devrait donc être la plus élevée, atteignant approximativement la valeur de 2 × 10^8 pc-3 . Au-delà de la limite extérieure de l'amas S, à des distances ≳0,04 pc de Sgr A ⋆, les étoiles de type stellaire O sont abondantes. Cette contrainte pour les régions extérieures est en accord avec les observations des sources radio hypercompactes rapportées dans Zhao et al. (2022) . 
Étant donné que la source principale des trous noirs de masse stellaire dans le modèle « broyeur » c'est la formation récurrente d'étoiles massives dans des disques d'accrétion autour de Sgr A ⋆ , l'amas de trous noirs résultant est donc susceptible d'être compact, selon les chercheurs. La densité numérique de trous noirs, n • , diminue donc probablement fortement sur quelques dixièmes de parsecs de Sgr A ⋆. Le profil de densité radiale de l'amas de trous noirs, qui est proposé par Haas et ses collaborateurs présente donc un maximum juste en dessous ou à proximité de la limite extérieure de l'amas S. 
Et les chercheurs mettent en lumière un autre phénomène qui pourrait être expliqué par la présence d'une grande population cde trous noirs stellaires. Les observations du halo galactique ont en effet révélé environ une vingtaine d'étoiles se déplaçant à des vitesses supérieures à la vitesse de libération de la Galaxie, qu'on appelle des étoiles hypervéloces, et dont certaines semblent avoir des directions de vol compatibles avec une origine galactocentrique. L'une des explications de l'existence de telles étoiles hypervéloces est le mécanisme de Hills (théorisé en 1988) se produisant à proximité de Sgr A ⋆ . Il s'agit de la rupture par effet de marée d'un couple d'étoiles binaires suffisamment proche du trou noir supermassif. Lors d'une telle rupture, l'un des composantes d'origine est laissée sur une orbite serrée autour du trou noir supermassif, tandis que l'autre est éjectée à grande vitesse.
Mais il se trouve que les étoiles hypervéloces observées sont de type spectral B et se trouvent à environ 50 kpc du centre galactique. En supposant une vitesse moyenne d'environ 1 000 km/s, ces étoiles ont donc mis environ 50 millions d'années pour atteindre leurs positions observées, ce qui donne une estimation basse de leur âge. Par conséquent, leurs ex-compagnes tout aussi anciennes de même type spectral (en supposant un appariement réaliste dans les binaires d'origine) restées dans l'amas S devraient toujours y être observées. Mais en fait, les étoiles B analysées jusqu'à présent au sein de l'amas stellaire S sont toutes plus jeunes que 25 millions d'années ( Habibi et al. 2017 ).
En se basant sur l'échelle de temps de broyage de 55 Mégannées qu'ils ont dérivée pour les étoiles B, Haas et ses collaborateurs suggérent que, bien que les jeunes étoiles B puissent encore être observées dans l'amas S, les ex-compagnes plus anciennes des étoiles hypervéloces, elles, auraient déjà été détruites par des collisions avec les trous noirs de masse stellaire.

Pour résumer, Haas et ses collaborateurs ont étudié l'impact des collisions directes et des rencontres rasantes entre les trous noirs de masse stellaire et les étoiles du centre galactique, en considérant trois canaux de formation qualitativement différents pour les trous noirs. À partir des résultats obtenus, il ont construit un profil de densité radiale de l'amas de trous noirs. Ils ont constaté que la densité spatiale des trous noirs peut atteindre l'ordre de grandeur de 100 millions par pc3 dans les parties extérieures de l'amas S (à environ 0,01–0,04 pc de Sgr A ⋆ ) s'ils proviennent de la formation récurrente d'étoiles massives dans les disques d'accrétion autour de Sgr A ⋆ . Les collisions directes (et les rencontres rasantes) de ces trous noirs stellaires densément distribués avec les étoiles individuelles conduisent à l'épuisement des étoiles les plus massives sur une échelle de temps de quelques millions d'années. Un tel appauvrissement peut ainsi expliquer l'absence signalée d'étoiles de type O et des homologues des étoiles hypervéloces du halo galactique au sein de l'amas S.
Les étoiles de type B et vieilles de quelques millions d'années, confirmées par observation au sein de l'amas S, excluent une densité de trous noirs de l'ordre de grandeur de 1 milliard par pc3 à cet endroit. De même, les abondantes étoiles O à plus de 0,04 pc de Sgr A ⋆ (c'est-à-dire au-delà de la limite extérieure de l'amas S) suggèrent une densité plus faible de trous noirs stellaires dans cette région (quelques 10 millions par pc3 ou moins). Les résultats suggèrent en outre une forme en bosse du profil de densité radiale de l'amas de trous noirs, avec le déclin situé approximativement dans l'apocentre orbital de l'étoile S2 (de 0,01 pc de Sgr A ⋆ ).

Source

The star grinder in the Galactic centre Uncovering the highly compact central stellar-mass black hole cluster
J. Haas1 et al.
Astronomy&strophysics Volume 695 (21 March 2025)

Illustrations

1. Image du centre galactique et localisation de l'étoile S2 par rapport à Sgr A* (ESO)
2. Jaroslav Haas 

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