samedi 26 septembre 2020

Lune : Forte irradiation de la surface mesurée pour la première fois


57 𝜇Sv/h, soit 1,37 mSv/jour, c'est la dose moyenne qu'a mesuré l'atterrisseur chinois Chang'E 4 à la surface de la Lune où il s'est posé en janvier 2019 sur la face cachée. Cette dose de rayonnement considérable est 2,6 fois plus élevée que celle reçue par les astronautes qui vivent à bord de l'ISS, et elle est 200 fois plus élevée que la dose de la radioactivité naturelle terrestre. Une étude parue dans Science Advances.


La sonde chinoise Chang'E 4 est munie d'un petit détecteur de particules développé par des chercheurs allemands de l'Université de Kiel. Il a été conçu spécifiquement pour mesurer la dose de rayonnement induite par le rayonnement cosmique (des particules chargées énergétiques, les rayons cosmiques galactiques, GCR) et par le rayonnement secondaire (neutrons, photons gamma), qui est produit dans la roche lunaire par des interactions de GCR. Ce dosimètre opérationnel nommé LND (Lunar Lander Neutron and Dosimetry) a permis pour la première fois de mesurer de façon instantanée le débit d'équivalent de dose et de le suivre dans le temps durant plusieurs jours. Les astronautes des missions Apollo étaient munis de dosimètres individuels mais il ne s'agissait que de détecteurs à intégration, assez rudimentaires, qui fournissaient la dose totale, intégrée sur toute la durée du voyage aller-retour vers la Lune. Les mesures publiées aujourd'hui sont les premières mesures de débit de dose précises et suivies dans le temps qui sont obtenues sur la surface de la Lune.

Shenyi Zhang (Centre national d'études spatiales de l'Académie des Sciences chinoise) et ses collaborateurs chinois et allemands mesurent la dose dans le LND sous la forme d'une énergie déposée dans le silicium puis la convertissent en dose déposée dans du tissu biologique via un facteur de conversion silicium - eau qui vaut 1,3. Pour passer ensuite de la dose déposée dans l'eau à ce qu'on appelle l'équivalent de dose qui mesure l'effet des rayonnements sur les organes humains (c'est à dire passer des Grays aux Sieverts), ils ont besoin de connaître le facteur de qualité du rayonnement détecté : l'effet biologique d'un photon n'est pas le même que celui d'un proton, ou de celui d'un neutron, et cela varie également en fonction de leur énergie. Le LND permet d'estimer ce facteur de qualité grâce à une évaluation du transfert d'énergie linéaire d'un sous-détecteur silicium à l'autre pour chaque particule détectée (mesures en coïncidence). Le facteur de qualité obtenu vaut 4,3 ± 0.7.

C'est ainsi que durant les deux premiers jours lunaires (2 fois 14 jours terrestres) qui ont suivi l'alunissage de Chang'E 4 (entre le 3 janvier 2019 et le 15 février 2019, le LND a mesuré le débit de dose une dizaine de fois par jour terrestre. Ce débit de dose s'avère assez stable dans le temps, ce qui dénote une origine exclusivement due aux rayons cosmiques galactiques (GCR) et non à l'autre composante très dosante des rayonnements spatiaux que sont les "événements de particules solaires" (SEP), des protons énergétiques provenant du Soleil et arrivant par bouffées lors d'éruptions ou autres éjections de masse coronale, très aléatoires.

Le débit de dose moyen qui est mesuré par les chercheurs allemands et chinois est considérable : 13,2 𝜇Sv/h de dose dans silicium, dont 10,2 𝜇Sv/h rien que pour la contribution primaire des GCR (sans compter les neutrons et photons gamma du sol), ce qui se traduit après application du facteur de qualité par un débit d'équivalent de dose moyen de 57 𝜇Sv/h, ce qui fait 1,37 mSv/jour! (valeur à laquelle il faudrait ajouter 23% supplémentaires des rayonnements secondaires du sol lunaire). Avant d'arriver à cette valeur finale, les physiciens ont dû retrancher du signal du détecteur une autre contribution de rayonnement, celle produite par la sonde elle-même. En effet, Chang'E 4 à la surface de la Lune, qu'elle soit sur sa face cachée ou visible, voit le Soleil que durant 14 jours d'affilée, qui sont suivis par 14 jours de nuit extrêmement froide. Pour survivre à de telles conditions d'insolation et thermiques, les ingénieurs chinois ont munie la sonde d'un générateur thermoélectrique au plutonium-238 ainsi que de trois radiateurs à radioisotopes. De plus, le petit rover Yutu-2 qui était encore à proximité de la sonde, est lui aussi muni de son propre générateur thermoélectrique au plutnium-238. L'impact de tous ces éléments radioactifs sur la mesure de dose du LND a été évalué avant le départ de la sonde et se monte à 5,2 μGy/h (seulement).

Les chercheurs chinois et allemands sont très confiants sur les valeurs mesurées par le LND car le 2 février 2019, alors que l'instrument était en cours de fonctionnement, la sonde américaine Lunar Reconnaissance Orbiter (LRO) est passée juste au-dessus de la position de la sonde chinoise. Et LRO est munie elle aussi d'un instrument de mesure des rayonnements, appelé Cosmic Ray Telescope for the Effects of Radiation (CRaTER), qui était en fonction ce jour-là. Les deux instruments voyaient donc exactement les mêmes conditions héliosphériques. Les débits de dose bruts dans le silicium (avant toute conversion) mesurés respectivement par LND sur la surface lunaire et CRaTER en orbite étaient de 10,2 𝜇Gy/h et 10,0 𝜇Gy/h, des valeurs quasi identiques.

Mais revenons à notre valeur de débit d'équivalent de dose de 57 𝜇Sv/h (1,37 mSv/jour). Ces valeurs ne vous disent peut-être pas grand chose. Le mieux est peut-être de les comparer avec ce qu'on connaît mieux. 

Le débit d'équivalent de dose que nous recevons tous les jours du fait de la radioactivité naturelle en France est d'environ 6,6 𝜇Sv/jour dont 0,8 𝜇Sv/jour issus des rayons cosmiques, le restant provenant de la radioactivité des roches, du radon et des divers éléments radioactifs que nous absorbons et qui forment notre corps. S'ajoute à ces rayonnements naturels tous les rayonnements artificiels (produits par la médecine principalement ; radiographies, scanners (rayons X), scintigraphies, radiothérapies) , ce qui nous amène à 3,5 mSv/an en moyenne pour chacun de nous. L'exposition naturelle sur la surface de la Lune est donc a minima 200 fois plus élevée que sur Terre !

A bord de l'ISS, le débit d'équivalent de dose est mesuré en continu également, et durant la période étudiée par les chercheurs chinois et allemand, celui-ci s'élevait à 523 μSv/jour pour la seule contribution GCR (et 731 μSv/jour en tout, le surplus venant de flux de protons des ceintures de Van Allen). L'exposition naturelle sur la surface de la Lune par les GCR est donc 2,6 fois plus élevée qu'à bord de l'ISS !

Autre élément de comparaison intéressant : l'accident de Fukushima. Le travailleur de la centrale accidentée le plus exposé a reçu une dose de 679 mSv, ce qui est déjà très élevé. Cela correspond à un temps de séjour sur la surface lunaire de 495 jours (1 an et 5 mois). Aujourd'hui, 9 ans après l'accident nucléaire, les zones qui sont encore interdites à la population sont celles qui produisent un surplus de débit de dose annuel moyen supérieur à 20 mSv (15 jours sur la Lune), les zones "vertes" qui montrent un débit d'équivalent de dose annuel entre 1 mSv (18 heures sur la Lune) et 20 mSv (15 jours sur la Lune) doivent être décontaminées et les habitants peuvent y travailler mais ne peuvent pas y passer la nuit. Toujours dans le domaine des accidents nucléaires, on peut se rappeler que la dose moyenne reçue en 1986 par un habitant vivant à 30 km de Tchernobyl a été de 50 mSv (équivalent à 37 jours sur la Lune) et la dose moyenne reçue en quelques mois par un «liquidateur» de Tchernobyl était de l'ordre de 100 mSv (75 jours sur la Lune). Ces valeurs sont à mettre en rapport avec les annonces de la NASA sur son programme ARTEMIS, qui vise à faire des missions lunaires d'une semaine pour la toute première, mais qui devraient augmenter pour atteindre 1 à 2 mois par la suite... 

Pour revenir dans l'espace, des mesures de débits d'équivalent de dose ont aussi été effectuées il y a quelques années, lors d'un voyage vers Mars de la sonde Mars Science Laboratory qui emportait le rover Curiosity, ainsi que sur la surface de la planète rouge. Des valeurs assez proches des valeurs lunaires avaient été mesurées : 1,8 mSv/jour durant le voyage et 0,64 mSv/jour sur la surface. Lune - Mars : même combat.

Pour combattre cette forte irradiation de la surface lunaire dans l'optique d'une installation humaine, Shenyi Zhang et ses collaborateurs indiquent dans leur article que la seule solution serait de s'enterrer, ou du moins, d'utiliser des murs épais pour atténuer le flux de GCR. Mais il ne faut pas non plus utiliser une épaisseur trop importante car il existe un effet contre-productif : plus l'épaisseur est importante, plus il y a de rayonnement secondaire produit (surtout des neutrons) (on rappelle que cette contribution était négligée dans les valeurs annoncées se focalisant sur les GCR, même si il constituait 23% du total). Il existe donc une limite à l'épaisseur de blindage utilisable, elle est évaluée à environ 80 cm de régolithe lunaire.

Zhang et ses collaborateurs rappellent que ces mesures ont été effectuées lors du minimum d'activité solaire, ce qui correspond au maximum d'intensité des GCR. En fonction du cycle solaire, on sait que le flux de GCR peut varier de quelques dizaines de pourcents, on est donc ici dans le pire cas pour les GCR. Mais les auteurs rappellent aussi qu'aucun événement solaire n'a été détecté sur la période, et qu'en terme de débit d'équivalent de dose, ces SEP peuvent a eux seuls le multiplier, sur un temps court, par un facteur 10 ou 100...

Il faut rappeler pour finir que l'exposition chronique aux GCR et sporadique aux SEP n'induit pas chez l'Homme seulement des cancers, mais peut aussi causer d'autres maladies fortement handicapantes, allant de la cataracte aux maladies dégénératives du cerveau, en passant par des effets aigus sur d'autres organes vitaux comme le coeur.

On est si bien sur Terre avec nos centrales nucléaires et nos petits virus...


Source

Shenyi Zhang et al.

First measurements of the radiation dose on the lunar surface

Science Advances (25 September 2020) 

https://doi.org/10.1126/sciadv.aaz1334


Illustrations

1) Chang'E 4 (CNSA/CLEP)

2) le détecteur LND (Stefan Kolbe/Kiel Universität)

3) Evolution temporelle du débit de dose mesuré par le LND durant deux jours lunaires (à gauche et à droite) (Zhang et al.)

2 commentaires :

Anonyme a dit…

Combien de temps un homme peu marcher sur la lune sans gros danger ?

Dr Eric Simon a dit…

Environ 30 jours...