31/10/25

Deux fusions de deux trous noirs donnent un nouvel éclairage sur leur formation et leur évolution.


Deux fusions de trous noirs, mesurée à un mois d'intervalle fin 2024 par la collaboration LIGO-Virgo-KAGRA, permet aux chercheurs de mieux comprendre la nature et l'évolution des collisions les plus violentes de l'univers. Les données recueillies lors de ces fusions valident également avec une précision sans précédent les lois fondamentales de la physique prédites par Albert Einstein et font progresser la recherche de nouvelles particules élémentaires encore inconnues, susceptibles d'extraire de l'énergie des trous noirs. L'étude est parue dans The Astrophysical Journal Letters.

LIGO-Virgo-KAGRA est un réseau mondial de détecteurs d'ondes gravitationnelles de pointe et mène actuellement sa quatrième campagne d'observation, O4. Cette campagne a débuté fin mai 2023 et devrait se poursuivre jusqu'à mi-novembre de cette année. À ce jour, environ 300 fusions de trous noirs ont été observées grâce aux ondes gravitationnelles depuis 2015, en comptant les candidats identifiés lors de la campagne O4 en cours. Ces dernières années, les chercheurs et les ingénieurs de LIGO ont apporté des améliorations importantes aux détecteurs, ce qui permet aujourd'hui des mesures précises des formes d'onde de fusion qui permettent le type d'observations subtiles qui étaient nécessaires ici. Une meilleure sensibilité permet non seulement à LIGO de détecter beaucoup plus de signaux, mais aussi de mieux comprendre ce qu'on détecte. 

Dans cet article, la collaboration internationale rapporte la détection de deux événements d'ondes gravitationnelles datant d'octobre et novembre 2024. Les sources de ces deux signaux sont caractérisées par des rotations rapides du trou noir primaire (le plus massif du couple), mesurées avec précision, ainsi que par un désalignement spin-orbite non négligeable et des rapports de masse inégaux entre leurs trous noirs constitutifs. Ces propriétés sont caractéristiques des binaires dont l'objet le plus massif s'est lui-même formé par la fusion d'un précédent système binaire de trous noirs et suggèrent que les sources de GW241011 et GW241110 pourraient s'être formées dans des environnements stellaires denses où des fusions répétées peuvent avoir lieu. En tant que troisième événement d'ondes gravitationnelles le plus bruyant publié à ce jour, avec un rapport signal/bruit médian du réseau de 36,0, GW241011 fournit en outre des contraintes strictes sur la nature Kerr des trous noirs et la structure multipolaire de la génération d'ondes gravitationnelles.

La première fusion décrite dans cet article, GW241011 (11 octobre 2024), s'est produite à environ 700 millions d'années-lumière et résulte de la collision de deux trous noirs dont les masses sont respectivement d'environ 20 et 6 masses solaires. Et ce qui est remarquable, c'est que le plus massif des deux trous noirs à l'origine de GW241011 figure parmi les trous noirs à rotation la plus rapide jamais observés. 

Près d'un mois plus tard, le signal d'ondes gravitationnelles GW241110 (10 novembre 2024) a été détecté à une distance d'environ 2,4 milliards d'années-lumière. Cet événement impliquait la fusion de trous noirs d'environ 17 et 8 masses solaires. Mais alors que la plupart des trous noirs détectés depuis 2015 tournent dans le même sens que leur orbite, ici, pour la première fois, le trou noir principal de GW241110 tournait dans le sens inverse de son orbite (rotation anti-parallèle à son vecteur de moment angulaire orbital). La rotation principale de la source de GW241011 est quant à elle inclinée d'environ 30° par rapport à l'axe de rotation de l'orbite, et le signal d'ondes gravitationnelles présente clairement une précession spin-orbite relativiste. Malgré cette différence de rotation, les sources de GW241011 et GW241110 possèdent des masses similaires entre 15 et 20 M⊙ environ, et les deux supposent des masses inégales pour leurs trous noirs constitutifs, GW241011 en particulier nécessitant un rapport de masse d'environ 3:1.

Des systèmes binaires de ce type avaient été prédits à partir d'observations antérieures, mais il s'agit de la première preuve directe de leur existence.

Ces deux fusions détectées suggèrent l'existence possible de trous noirs de « seconde génération ». En effet, chacun de ces événements présente un trou noir nettement plus massif que l’autre et en rotation rapide, ce qui constitue un indice de la formation de ces trous noirs issus de fusions antérieures. Ce processus, appelé fusion hiérarchique, suggère que ces systèmes se sont formés dans des environnements denses, dans des régions comme les amas d'étoiles, où les trous noirs sont plus susceptibles d'entrer en collision et de fusionner de manière répétée.

Grâce à sa détection très nette, GW241011 a pu être comparé aux prédictions de la théorie d'Einstein et à la solution du mathématicien Roy Kerr concernant la rotation des trous noirs (facteurs décrivant leur forme, leur rotation et d'autres propriétés). La rotation rapide du trou noir le déforme légèrement, laissant une signature caractéristique dans les ondes gravitationnelles qu'il émet. L'analyse de GW241011 a révélé une excellente concordance avec la solution de Kerr et a confirmé avec une précision sans précédent le rayonnement gravitationnel issu de moments multipolaires d'ordre supérieur.

La fusion de systèmes binaires de trous noirs produit des trous noirs résiduels en rotation rapide, avec des vitesses de rotation de l'ordre de χ  ≈ 0,7 (valeur sans unité, la rotation maximale valant 1). L'émission asymétrique d'ondes gravitationnelles peut accélérer considérablement ces trous noirs résiduels, avec des vitesses pouvant atteindre des milliers de kilomètres par seconde. Mais dans des environnements où les vitesses de libération sont suffisamment élevées, les trous noirs résiduels peuvent toutefois rester liés gravitationnellement, capturer de nouveaux partenaires et participer à des fusions binaires ultérieures. C'est le scénario envisagé ici.

Les trous noirs en rotation rapide, tels que ceux observés dans cette étude, trouvent aussi une nouvelle application en physique des particules. Les astrophysiciens peuvent les utiliser pour tester l'existence et la masse de certaines particules élémentaires légères hypothétiques. Ces particules, appelées bosons ultralégers, sont prédites par des théories qui vont au-delà du Modèle Standard de la physique des particules. Si les bosons ultralégers existent, ils peuvent extraire de l'énergie de rotation des trous noirs. Dans ce cas, la quantité d'énergie extraite et le ralentissement de la rotation des trous noirs au fil du temps dépendent de la masse de ces particules, qui reste encore inconnue. Les chercheurs montrent que l'observation selon laquelle le trou noir massif du système binaire qui a émis GW241011 continue de tourner rapidement même des millions ou des milliards d'années après sa formation exclut une large gamme de masses de bosons ultralégers dans la gamme de masse 10-13 à 10-12 eV.

L'enrichissement des catalogues d'ondes gravitationnelles, qui a été rendu possible par le fonctionnement simultané d'observatoires d'ondes gravitationnelles de plus en plus sensibles, continue de révéler des sources individuellement intéressantes qui élargissent notre compréhension du paysage des binaires compactes. Les ondes gravitationnelles détectées lors de la quatrième campagne d'observation des observatoires LIGO, Virgo et KAGRA ont jusqu'à présent permis de tester de manière inédite la relativité et les modèles de formes d'onde gravitationnelles. Elles ont identifié des sources dans des régions nouvelles et inattendues de l'espace des paramètres. Les découvertes se poursuivront jusqu'à la fin de la quatrième campagne d'observation LIGO–Virgo–KAGRA, et au-delà...

Source

GW241011 and GW241110: Exploring Binary Formation and Fundamental Physics with Asymmetric, High-spin Black Hole Coalescences

LVK Collaboration

The Astrophysical Journal Letters, Volume 993, Number 1 (28 october 2025)

https://doi.org/10.3847/2041-8213/ae0d54


Illustration 

Vue d'artiste d'une fusion de trous noirs asymétriques (Carl Knox, OzGrav, Swinburne University of Technology)

12/10/25

Cha 1170-7626, la planète errante gloutonne


Une équipe d'astronomes vient d'identifier une planète errante qui est en train de grossir à un taux record de 6 milliards de tonnes par seconde en accrétant de très grandes quantités de gaz. Cette planète sans étoile, nommée 
Cha 1170-7626, est située à environ 600 années-lumière et fait déjà la bagatelle de 5 à 10 fois la masse de Jupiter. Va-t-elle devenir une étoile ? L'étude est parue dans The Astrophysical Journal Letters.

C'est le record absolu de croissance pour  une planète, avec ou sans étoile hôte. Cha 1170-7626 avait été détectée il y a près de 20 ans. Victor Almendros-Abad (Observatoire astronomique de Palerme) et ses collaborateurs ont observé la planète errante et son disque de gaz et de poussière nourricier à la fois dans l'UV, le visible et l'infrarouge avec le du Very Large Telescope (VLT) au Chili. Les observations effectuées en avril et en mai dernier ont révélé une croissance à la vitesse attendue, mais les données de fin juin ont montré que l'accrétion de gaz de la planète errante avait brutalement augmentée le long de son champ magnétique.

Des données complémentaires du VLT et du télescope spatial Webb, enregistrées en juillet et août, ont permis à l'équipe d'estimer que Cha 1170-7626 accumulait de la matière jusqu'à huit fois plus vite que quelques mois auparavant, atteignant un taux de 10-7 masses de Jupiter par an. Selon les chercheurs, la surface de la planète, ainsi que le gaz et la poussière environnants, sont également devenus plus chauds et plus brillants, et le disque a montré des traces de vapeur d'eau non observées lors des observations précédentes.

De nombreuses caractéristiques de la période d'intense accrétion, notamment sa longue durée, de fin juin à août, ressemblent à celles d'un rare type de poussée de croissance qui était observé jusqu'alors uniquement chez les jeunes étoiles, ce qui fait dire à Almendros-Abad et ses collaborateurs que la planète vagabonde a connu une naissance semblable à celle d'une étoile. Par ailleurs, en plongeant dans des anciennes archives de 2016, les astrophysiciens ont remarqué que Cha 1170-7626 a connu des périodes de forte accrétion de matière régulières. Pendant le sursaut d'accrétion, on observe que la raie Hα développe un profil à double pic avec une absorption décalée vers le rouge, comme ce qui est observé dans les étoiles et les naines brunes subissant une accrétion magnétosphérique.  Mais, selon les chercheurs, l'événement observé est incompatible avec la variabilité typique des jeunes étoiles en accrétion. En effet, pour les étoiles jeunes typiques, les variations du taux d'accrétion ne dépassent pas un facteur d'environ 3 sur des échelles de temps allant de quelques jours à quelques mois (DC Nguyen et al. 2009 ). Cha1107-7626 montre clairement une variabilité d'accrétion inhabituellement forte par rapport à ces cas typiques. La durée de l'événement observé le distingue également de la variabilité la plus courante des étoiles T Tauri, dont l'échelle de temps est contrôlée par la rotation stellaire (G. Costigan et al. 2012 , 2014 ). Bien que la période de rotation de Cha1107-7626 ne soit pas connue, on peut s'attendre à ce qu'elle soit de l'ordre de 1 à 4 jours (A. Scholz et al. 2018 ), ce qui signifie que l'événement d'accrétion a duré plus de 15 cycles de rotation.

Pour Almendros-Abad  et ses collaborateurs, le sursaut d'accrétion de Cha 1170-7626 correspond plutôt à la durée, à l'amplitude et au spectre de raies d'un sursaut de type EXor. 

L'objet prototypique des sursauts de type EXor est l'étoile EX Lupi, qui a produit un sursaut en 2022 qui a duré environ 4 mois. À son pic, l'étoile était plus brillante de 2 mag dans l'optique, avec une augmentation de l'accrétion de masse d'un facteur 7 (F. Cruz-Sáenz de Miera et al. 2023 ; K. Singh et al. 2024 ). L'événement observé pour Cha1107-7626 présente des caractéristiques très similaires. Cha1107-7626 est pourrait donc être le premier objet de masse planétaire identifié comme un EXor, étendant cette classe de sursauts au régime des planètes géantes. Cha1107-7626 serait le premier objet sous-stellaire présentant des signes d'un sursaut EXor potentiellement récurrent.

Ces types de sursauts d'accrétion sont des événements clés dans l'évolution précoce des étoiles. En particulier, de tels événements peuvent avoir un effet significatif sur l'évolution chimique et physique du disque et potentiellement sur les premiers stades de la formation planétaire. Cha1107-7626 est l'objet de plus faible masse observé jusqu'à présent qui subit un sursaut d'accrétion, et de loin le moins massif dans la catégorie EXor. Des études détaillées de la variabilité de l'accrétion ont permis d'éclairer les interactions entre les jeunes objets stellaires et leurs disques, notamment le rôle des champs magnétiques. De même, les observations de Cha1107-7626 donnent un aperçu de la nature de l'accrétion dans les objets de masse planétaire, même s'il s'agit de très grosses planètes, et qu'elles ne tournent pas autour d'une étoile...

Source

Discovery of an Accretion Burst in a Free-floating Planetary-mass Object

Victor Almendros-Abad, et al.

The Astrophysical Journal Letters, Volume 992, Number 1 (2 october 2025)

https://doi.org/10.3847/2041-8213/ae09a8


Illustrations

1. Vue d'artiste de Cha1107-7626 accrétant du gaz (ESO/L. Calçada, M. Kornmesser)

2. Victor Almendros-Abad

03/10/25

Détection de nouvelles molécules organiques provenant de l'océan d'Encelade

Encelade est la lune de Saturne dont la surface est la plus brillante. Avec un diamètre de 505 kilomètres, c'est la sixième plus grande lune de Saturne. On la voit ici directement au-dessus des anneaux, à droite de l'image.

Encelade, lune de Saturne, éjecte continuellement d'importantes quantités de particules de glace dans l'espace, provenant de son océan souterrain. Des chercheurs ont analysé chimiquement des particules fraîchement émises provenant directement de l'océan souterrain d'Encelade. grâce à des données de la sonde Cassini. Ils ont pu détecter des intermédiaires de molécules organiques potentiellement pertinentes sur le plan biologique, découvertes pour la première fois dans des particules de glace provenant d'un océan extérieur à la Terre. L'étude est publiée dans Nature Astronomy.

Encelade mesure environ 500 kilomètres de diamètre ; sa surface est recouverte d'une couche de glace d'une épaisseur moyenne d'environ 25 à 30 kilomètres. En 2005, la sonde Cassini de la NASA a découvert un immense geyser de gaz et de particules de glace au-dessus de son pôle sudDes mesures effectuées ultérieurement par Cassini ont révélé la présence d'un océan d'eau liquide à l'intérieur du satellite. Elles ont également montré que les particules de glace contenaient des molécules organiques. Mais ces particules examinées n'étaient pas "fraîches", elles orbitaient déjà autour de la petite lune depuis un certain temps.

Cependant, en 2008, Cassini a survolé la surface d'Encelade à vingt et un kilomètres d'altitude, jusqu'à la limite du panache de glace et de gaz (le survol E5). Les données recueillies lors de ce survol proviennent donc de particules de glace "fraîche" qui étaient présentes à l'intérieur du satellite quelques minutes auparavant. Nozair Khawaja (Freie Universität Berlin), et ses collaborateurs allemands, américains et japonais ont analysé ces données du Cosmic Dust Analyser de Cassini qui avaient été soigneusement archivées.
Leur analyse confirme les résultats obtenus à partir de l'analyse d'autres données de Cassini Ils sont maintenant quasiment certains que les composés simples et complexes découverts dans les grains de glace plus anciens de l'anneau E de Saturne proviennent également de l'océan d'Encelade. Ils soupçonnent que ces molécules ont potentiellement été synthétisées dans les champs hydrothermaux d'Encelade – des cheminées au fond de l'océan d'où jaillit de l'eau chaude. A savoir que dans les océans terrestres, on trouve des traces de vie autour de cheminées hydrothermales similaires.

En 2023, une autre équipe avait identifié la présence de phosphates dans le panache (toujours grâce aux données de Cassini), ce qui signifie que cinq des six éléments CHNOPS bioessentiels ont déjà été détectés dans le matériel provenant de l'océan d'Encelade.


Cette fois, Khawaja et ses collaborateurs ont également identifié des molécules jamais détectées auparavant dans des particules de glace provenant d'un océan extérieur à la Terre. Parmi celles-ci figurent des molécules pouvant servir de briques de composés complexes. De telles molécules, dont les pyrimidines, par exemple, ont également été détectées sur les astéroïdes Bennu et Ryugu. Sur Terre, les pyrimidines comptent parmi les composants essentiels de l'ADN.

Certains de ces composés n'avaient pas été détectés dans les particules de glace analysées précédemment. L'une des raisons de cette différence, selon les chercheurs est probablement que Cassini se déplaçait à une vitesse particulièrement élevée lors de son trajet vers le panache. Cela a permis à l'instrument CDA d'être plus efficace. Lors de l'impact, les fragments d'espèces chimiques contenus dans les grains de glace perdent des électrons et se chargent positivement. Ils sont attirés vers une électrode chargée négativement et l'atteignent d'autant plus rapidement qu'ils sont plus légers. La mesure du temps de transit de tous les fragments chargés positivement produit un spectre de masse. Il est alors possible de tirer des conclusions sur la molécule d'origine. Si la vitesse au moment de la collision est trop faible, des interférences peuvent parfois apparaître dans les spectres de masse du CDA. Les signatures laissées par les molécules ne peuvent alors plus être interprétées clairement.
Mais lors de son survol de 2008, Cassini se déplaçait à une vitesse de 18 km/s, au lieu des 12 km/s habituels, voire moins. Grâce à la forte énergie libérée par la collision avec les particules de glace à cette vitesse, certaines influences perturbatrices dans l'analyse de masse (CDA) de certains spectres de masse peuvent être exclues.
Khawaja et ses collaborateurs voient des fragments moléculaires inédits dans les spectres de l'analyseur de poussière, permettant l'identification de composés aliphatiques, (hétéro)cycliques (esters/alcènes), des éthers/éthyles et de composés portant des atomes N et O. 

Parmi les fractions aliphatiques portant de l'O, les chercheurs estiment que les aldéhydes représentent une fraction significative dans les grains de glace fraîchement éjectés d'Encelade. Selon eux, les aldéhydes pourraient avoir été accrétés dans les matériaux de construction d'Encelade puisqu'ils sont relativement abondants dans les comètes. Les aldéhydes représentent des intermédiaires dans la voie redox des hydrocarbures simples aux acides carboxyliques et aminés. La présence d'acétaldéhyde sur Encelade offrirait des possibilités de voies de synthèse vers des composés organiques plus complexes essentiels à la vie. L'acétaldéhyde est également lié à l'acétylène, qui avait été détecté dans le panache par l'instrument INMS de Cassini, dans les cycles chimiques au sein des systèmes hydrothermaux prébiotiques. L' oxyde d'éthylène (C₂H₄O ) pourrait également être un candidat potentiel pour ce type de caractéristique spectrale, ce qui pourrait catalyser la formation de polymères à groupes terminaux multiples (par exemple -CH₂ , -OH). Par exemple, l'oxyde d'éthylène peut faciliter l'alkylation de composés aryles simples (par exemple le benzène) par des réactions de type Friedel-Crafts, conduisant à la formation d'alcools aryl-substitués dans des conditions hydrothermales. Ce processus pourrait ensuite conduire à la synthèse de composés organiques plus complexes tels que les hydrocarbures polycycliques aromatiques, ou les espèces macromoléculaires détectées dans les grains de glace d'Encelade.

Khawaja et ses collaborateurs détectent aussi des molécules de type éther, ester et alcène aliphatiques et/ou cycliques dans les grains de glace du panache, ce qui complète les identifications précédentes de ces molécules dans d'autres corps planétaires du système solaire. Les éthers et les esters sont rarement trouvés dans les comètes, mais elles apparaissent comme des ponts entre les molécules aromatiques de la matière organique insoluble trouvée dans les chondrites carbonées. Cela suggère que les molécules de type éther et ester peuvent être formées par des réactions aqueuses/hydrothermales dans les corps chondritiques carbonés. Pour les chercheurs, la présence de ces composés et la possibilité de leur synthèse dans les systèmes hydrothermaux d'Encelade sont pertinentes pour l'habitabilité, étant donné leur rôle dans les contextes biologiques terrestres.

Il a été démontré que des composés esters peuvent se former dans des conditions hydrothermales réductrices à partir de précurseurs lipidiques en présence d'ions ammonium, un scénario qui est réaliste pour l'interface eau-roche d'Encelade. Ces esters sont stables dans des conditions hydrothermales et conservent une signature abiotique distincte, à savoir la prédominance d'un nombre impair de carbones. La détection de phosphates et d'esters sur Encelade est importante pour l'astrobiologie, car elle offre des voies potentielles vers des biomolécules importantes. On sait aussi que les alcènes sont des intermédiaires dans une variété de réactions entre des classes plus abondantes de composés organiques dans les systèmes hydrothermaux sous-marins. Ces composés sont impliqués dans des réactions d'hydratation, d'oxydation et de dimérisation dans ces conditions. La présence d'alcènes sur Encelade diversifie donc probablement les réactions chimiques accessibles sur les sites hydrothermaux.

En résumé, Khawaja ont détectés des esters/alcènes, des éthers/éthyles et des espèces portant N et O dans le panache d'Encelade, tout juste expulsé de son océan subglaciaire. 
Ces nouveaux groupes fonctionnels organiques ouvrent de nouvelles voies pour la chimie hydrothermale, en plus des voies précédemment postulées. Ils confirment également la présence de 10 espèces aromatiques portant de oxygène qui avaient été précédemment identifiées, et ils imposent de nouvelles contraintes sur leur origine.

Ce travail démontre que de tels groupements moléculaires dans ces grains de glace fraîchement éjectés proviennent probablement de l'intérieur d'Encelade plutôt que de l'altération spatiale pendant leur durée de vie dans l'anneau E. Bien que la possibilité d'une chimie du plasma post-impact ne puisse être exclue, les espèces identifiées dans ce travail sont entièrement indépendantes de tels processus à la vitesse de la sonde à ce moment là. Les données obtenues par l'instrument INMS lors des survols E5, E17, E18 et E21 concordent bien avec les résultats rapportés ici.

Les molécules détectées dans le panache suggèrent un sous-sol enrichi en matières organiques, avec une gamme diversifiée de voies de réactions, qui élargit à la fois l'espace chimique connu et potentiel de l'océan chaud d'Encelade.

La sonde Cassini a été écrasée intentionnellement dans Saturne en 2017. Mais aujourd'hui encore, les données enregistrées par ses instruments de mesure il y a de nombreuses années offrent de nouvelles perspectives sur l'océan de Encelade et sur les méduses qui y volètent probablement avec dédain. 


Source

Detection of organic compounds in freshly ejected ice grains from Enceladus’s ocean
Nozair Khawaja et al.
Nature Astronomy (1 october 2025)

Illustrations

1. Encelade est ici directement au-dessus des anneaux, à droite de l'image. (NASA / JPL / Space Science Institute)

2. Cartographie des molécules organiques détectées dans le panache d'Encelade et lien entre elles (celles en noir n'ont pas (encore) été détectées (Nozair Khawaja et al.)

3. Exemple de spectre de masse de composés de type ester/alcènes mesurés par le CDA de Cassini et reconstitution des molécules correspondantes (Nozair Khawaja et al.)

4. Nozair Khawaja