jeudi 9 avril 2015

CUORE au coeur de la recherche des neutrinos de Majorana

Les tout premiers résultats préliminaires d'une expérience de recherche de neutrinos de Majorana viennent d'être rendus publics. Cette expérience est appelée CUORE (Cryogenic Underground Observatory for Rare Events). Comme son nom l'indique, elle est située dans un laboratoire souterrain, et cherche des événements très rares avec des détecteurs refroidis à très très basse température. 



La tour de détecteurs de CUORE vue de dessous (INFN)
CUORE-0 (la toute première phase de cette expérience) est située dans le labo du Gran Sasso en Italie, ce qui est assez logique pour une expérience majoritairement italienne. Mais CUORE est tout de même une vraie collaboration internationale, avec une forte implication américaine.
CUORE cherche à mettre en évidence une désintégration radioactive très particulière : la désintégration double béta sans neutrinos. Cette désintégration produit normalement deux béta (des électrons) et deux antineutrinos. Elle a la particularité d'avoir une probabilité d’occurrence très faible, c'est à dire une période radioactive très très longue (dépassant le plus souvent 10 milliards de milliards d'années (vous avez bien lu)). Mais, si le neutrino peut être sa propre antiparticule, ce qui a été prédit par le physicien italien génial Ettore Majorana dans les années 1930, alors dans ce cas, les deux antineutrinos pourraient devenir en fait un neutrino et un antineutrino qui pourraient alors s'annihiler à l'intérieur même du noyau radioactif, ne laissant plus que les électrons sortir du noyau d'atome.

La découverte de l'existence d'un tel comportement de Majorana pour les neutrinos aurait un impact énorme, ses implications seraient nombreuses, à commencer par des pistes de compréhension de l'asymétrie observée entre matière et antimatière, ou pourquoi ne voit-on que de la matière dans l'Univers alors qu'il devait exister les deux types en quantité égales lors du big bang ?
Ces premiers résultats (négatifs) de CUORE-0 sont de deux ordres : tout d'abord ils permettent de fixer la contrainte la plus sensible à ce jour sur la masse que pourrait avoir un tel neutrino de Majorana. Ces résultats permettent ainsi de réduire grandement la zone de recherche pour ces particules, on sait maintenant un peu mieux où il faut chercher.
Le second enseignement des ces résultats de CUORE-0 est tout simplement la démonstration de l'efficacité du système de détection imaginé par les physiciens. Les détecteurs de CUORE sont un ensemble de cristaux de dioxyde de tellure en forme de 52 cubes, assemblés ensemble pour former une tour, plongée dans un cryostat à haute performance qui produit un refroidissement descendant jusqu'à 10 mK... le tout étant blindé contre tout type de rayonnement parasite venant de la radioactivité naturelle ou des rayons cosmiques et leur produits secondaires. 
Et ce ne n'est qu'une première étape car d'ici à la fin de 2015, CUORE sera équipée de 19 tours de 52 cristaux, augmentant ainsi sa sensibilité de près d'un facteur 20.
Il faut savoir que, si la désintégration double béta sans neutrinos existe bien dans le tellure-130, sa probabilité est extrêmement faible, donnant lieu à des événement vraiment rares, de l'ordre d'une fois par an dans une masse composée de 10^24 noyaux de tellure...
Les détecteurs de CUORE au sein desquels ont lieu les désintégrations radioactives qui sont mesurées très précisément sont ce qu'ont appelle des bolomètres. On y enregistre la moindre élévation de température provoquée par les désintégrations du Te-130. L'élévation de température est directement liée à l'énergie libérée au cours de la désintégration radioactive (l'énergie des électrons). On peut ainsi construire le spectre en énergie des événements de désintégration.
Diagrammes de Feynman des deux types de désintégrations double-béta.
La double désintégration béta avec neutrinos produit un large spectre continu, l'énergie étant partagée entre les électrons et les antineutrinos (et les antineutrinos s'échappent des détecteurs sans déposer la moindre énergie). Mais si c'est une désintégration double béta sans neutrinos qui a lieu, toute l'énergie de la désintégration se retrouve partagée seulement par les deux électrons et doit se déposer entièrement dans le détecteur, avec une valeur très bien définie, égale à 2528 keV. Le spectre en énergie doit dans ce cas montrer la présence d'un pic à cette énergie particulière. C'est précisément ce que recherchent les physiciens de CUORE.
Une telle expérience doit impérativement être installée à l'abri des moindres rayonnements parasites pouvant produire un signal aux environs de l'énergie scrutée. C'est pour se protéger des muons du rayonnement cosmique que les physiciens italiens et américains ont choisi la laboratoire souterrain du Gran Sasso, qui est par ailleurs très prisé par de nombreuses expériences recherchant la meilleure sensibilité, notamment les expériences de recherche directe de matière noire.

D'autres expériences se sont lancées depuis de nombreuses années dans cette quête du neutrino de Majorana. L'autre grande méthode, différente de la mesure de l'énergie des électrons émis, est une méthode radiochimique, qui consiste à mesurer la présence (en quantités infimes) des noyaux formés par les désintégrations. 
Il existe dans la nature 11 noyaux radioactifs différents susceptibles de produire une désintégration double-béta avec (ou sans) antineutrinos. Parmi les 11 noyaux sujets à désintégration double-béta, ceux qui sont très intéressants à utiliser pour faire des détecteurs à part entière ou insérés dans des systèmes de détection sont, outre le tellure-130 : le xénon-136 (exploité par les expériences EXO et KamLand), le germanium-76 (utilisé par les expériences GERDA et MAJORANA), ainsi que le molybdène-100, le sélenium-82 ou le néodyme-150, explorés par l'expérience NEMO).

Avec ces nouveaux résultats, CUORE se place comme l'expérience la plus sensible au monde dans la recherche de la désintégration double béta sans neutrinos et risque bien de tenir son rang un bon moment suite à sa mise en oeuvre complète dans les mois qui viennent.


Source : 
For Ultra-cold Neutrino Experiment, a Successful Demonstration
Berkeley Laboratory
http://newscenter.lbl.gov/2015/04/09/for-ultra-cold-neutrino-experiment-a-successful-demonstration/

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