On s’en souvient, en septembre dernier, les physiciens de l’expérience
OPERA située au laboratoire souterrain du Gran Sasso en Italie annonçaient lanouvelle incroyable que les neutrinos avaient une vitesse supraluminique,
supérieure à celle de la lumière. Cela consistait en une énorme anomalie vis-à-vis
de ce qui était couramment admis. Et de fait, il semble bien qu’il s’agisse d’une
simple erreur expérimentale.
Mais le neutrino, cette particule furtive, depuis sa « naissance »
théorique puis sa découverte expérimentale, a toujours montré de nombreuses
anomalies, qui ont été à l’origine de plusieurs révisions ou création de
nouvelles lois physiques.
Revenons un instant sur l’histoire tumultueuse des neutrinos,
ces particules qui baignent l’Univers à raison de 1 milliard de neutrinos pour un proton…
Naissance compliquée
Tout d’abord, il faut rappeler que la naissance du neutrino elle-même
est le fruit de l’observation d’une forte anomalie dans le phénomène de
radioactivité béta.
La radioactivité béta a été découverte à la fin du 19ème
siècle, un noyau d’atome se transforme en un autre noyau en émettant un
électron (en fait un neutron du noyau se transforme en proton dans cette
décroissance). La particule béta est l’électron.
Dans les années 1910, les physiciens se sont rendu compte que s’il n’y avait qu’un
électron émis dans cette désintégration, les lois de conservation de l’énergie
et de la quantité de mouvement n’étaient pas conservées, mais violées…
Wolfgang Pauli en 1951 |
Personne ne comprenait ce phénomène et ce n’est qu’en 1930
que le physicien Wolfgang Pauli proposa une solution pour remédier à cette
anomalie : il suffisait que le noyau émette en même temps que l’électron
une seconde particule, neutre, pour que les lois de conservation soient
rétablies.
Cette nouvelle particule devait en revanche être très légère
et interagir très faiblement avec la matière environnante.
Personne n’avait jamais vu de particule ayant ces caractéristiques et personne ne savait comment pouvoir détecter une telle particule, à tel point que pendant longtemps les physiciens ont estimé que sa détection était impossible...
Observation expérimentale grâce à l'énergie nucléaire
Ce n’est qu’en 1956 qu’il fut possible de mettre en évidence expérimentalement le neutrino, grâce au développement des réacteurs nucléaires de production d’électricité aux Etats-Unis. En effet, les réactions nucléaires de fission produisent une quantité importante d’isotopes radioactifs produisant des antineutrinos électroniques lors de désintégrations béta.
Personne n’avait jamais vu de particule ayant ces caractéristiques et personne ne savait comment pouvoir détecter une telle particule, à tel point que pendant longtemps les physiciens ont estimé que sa détection était impossible...
Observation expérimentale grâce à l'énergie nucléaire
Ce n’est qu’en 1956 qu’il fut possible de mettre en évidence expérimentalement le neutrino, grâce au développement des réacteurs nucléaires de production d’électricité aux Etats-Unis. En effet, les réactions nucléaires de fission produisent une quantité importante d’isotopes radioactifs produisant des antineutrinos électroniques lors de désintégrations béta.
Télégramme annonçant à W. Pauli la découverte du neutrino. (CERN) |
Les physiciens Clyde Cowan et Frederick Reines ont construit un détecteur pour détecter ce flux de neutrinos et l'ont placé près du réacteur de Savannah River en Caroline du Sud et ont pu détecter pour la première fois ces particules imaginées 25 ans plus tôt.
Cowan a disparu en 1974, mais Reines reçut le prix Nobel en
1995 pour cette découverte.
Mais la plupart des neutrinos (ou antineutrinos) qui nous
traversent à chaque seconde ne proviennent pas des réacteurs nucléaires
construits par l’Homme, mais plutôt du gros réacteur thermonucléaire qui nous
éclaire chaque jour, le Soleil.
Anomalie des neutrinos solaires
Pour fixer un ordre de grandeur, il faut savoir que chaque
seconde, l’ongle de votre petit doigt est traversé par 65 milliards de neutrinos
solaires, chaque seconde !
Évidemment, depuis que l’on a compris l’origine de l’énergie
du Soleil dans les années 30, on cherche à le comprendre de mieux en mieux, et
la détection des neutrinos du Soleil est importante pour tirer des informations
sur le fonctionnement interne de notre étoile.
C’est ainsi que très tôt certains astrophysiciens se sont
spécialisés dans l’observation des neutrinos solaires en en mesurant le flux
arrivant sur Terre. Et en 1964, les pionniers Ray Davis et John Bacall ont
construit un détecteur de neutrinos solaires au fond de la mine de Homestake
dans le Dakota du Sud. Le choix d’un laboratoire souterrain était rendu
indispensable pour s’affranchir du bruit de fond dû aux interactions du
rayonnement cosmique (muons principalement).
Ces premiers résultats ont tout de suite montré l’existence
d’une anomalie. Il manquait une certaine quantité de neutrinos vis-à-vis de ce
qui était attendu par les modèles théoriques du fonctionnement interne du Soleil…
Une quantité non négligeable puisqu’il aurait dû être détecté trois plus de
neutrinos…
Les spécialistes du soleil et ceux des particules se sont
combattus de longues années pour savoir qui se trompait. En vain. Personne ne
faisait erreur.
Ils oscillent bel et bien
L’existence de différents types de neutrinos avait été
découverte dans les années 60. Mais le phénomène possible d’oscillation d’une
saveur de neutrino à l’autre ne fut proposé qu’à la fin des années 60. Cette
théorie ne gagna pas un grand intérêt dans la communauté des physiciens… jusqu’à
ce qu’elle devienne une solution parfaite pour mettre d’accord les
astrophysiciens solaires et les physiciens des particules…
Intérieur du détecteur Kamiokande (Japon) |
Si il
manquait des neutrinos électroniques, ils devaient avoir disparu durant
leur trajet entre le soleil et la Terre. Enfin, pas complètement
disparus, disparus sous leur forme initiale, mais toujours là sous une
autre forme. Les neutrinos sont en fait des particules composites qui
possèdent plusieurs saveurs en eux-mêmes! Ils peuvent être à la fois de
type électronique, muonique ou tauiques.... C'est le phénomène
d'oscillation qui fut introduit pour les neutrinos d'une manière tout à
fait judicieuse et efficace
Ces autres saveurs de neutrinos ne pouvaient pas être détectées par les détecteurs…
Lorsque de nouveaux détecteurs capables de mesurer les
trois types de neutrinos ont été construits, l'écart a entièrement disparu.
Le phénomène de l’oscillation des neutrinos a une énorme
implication, outre le fait d’expliquer des anomalies de flux : il repose
sur le fait que les trois types de neutrinos possèdent chacun une masse
différente. Ce qui veut dire une masse différente de zéro. Alors qu’il était
couramment admis que le neutrino était sans masse, il est devenu évident dans
la moitié des années 1990 que le neutrino avait bel et bien une masse, et
chaque neutrino une masse différente, le plus léger étant le neutrino
électronique et le plus lourd le neutrino tau.
Anomalie des neutrinos atmosphériques
Une nouvelle anomalie apparut dans les années 1980, un peu en même temps que celle concernant les neutrinos solaires, c’est l’anomalie dite des neutrinos atmosphériques. Des neutrinos sont produits dans la haute atmosphère par des réactions de muons cosmiques qui interagissent avec les noyaux d’atomes d’oxygène et d’azote. Comme les neutrinos interagissent ensuite très peu avec la matière, on s’attend généralement à en observer autant venant du ciel que du sol (ces derniers étant produits dans l’atmosphère aux antipodes et traversant la Terre de part en part.
Anomalie des neutrinos atmosphériques
Une nouvelle anomalie apparut dans les années 1980, un peu en même temps que celle concernant les neutrinos solaires, c’est l’anomalie dite des neutrinos atmosphériques. Des neutrinos sont produits dans la haute atmosphère par des réactions de muons cosmiques qui interagissent avec les noyaux d’atomes d’oxygène et d’azote. Comme les neutrinos interagissent ensuite très peu avec la matière, on s’attend généralement à en observer autant venant du ciel que du sol (ces derniers étant produits dans l’atmosphère aux antipodes et traversant la Terre de part en part.
C’est un peu par hasard que des physiciens cherchant à
mesurer la durée de vie du proton dans des laboratoires souterrains ont eu
besoin de connaitre les flux de neutrinos atmosphériques provenant de
différentes directions et ont mesuré des écarts très important entre les deux directions :
un facteur 2 !...
Cette anomalie fut résolue par l’apport de
nouveaux phénomènes physiques associés à l’oscillation des neutrinos, en y
ajoutant l’effet de la matière traversée par les neutrinos : l’effet MSW (Mikheyev–Smirnov-Wolfenstein),
qui indique que l’oscillation des neutrinos est modifiée par la matière qu’ils
traversent, un peu à l’image d’un indice de réfraction pour la lumière…
Cet effet MSW fut évidemment repris dans les
calculs des neutrinos solaires pour tenir compte de l’hydrogène traversé par
les neutrinos au cœur du Soleil et permit d’accorder encore mieux les calculs et
les mesures.
Une nouvelle anomalie...
En 1993, les scientifiques de Los Alamos (Etats-Unis) construisirent
un détecteur pour l’étude des oscillations : le LSND (Liquid Scintillator
Neutrino Detector).
L’expérience LSND reste célèbre parmi les physiciens, parce qu’elle
a vu un petit excès d’antineutrinos électroniques provenant apparemment de
nulle part.
La seule possibilité permettant d’expliquer les flux de neutrinos observés à LSND est de proposer l’existence d’un quatrième neutrino (voire d’avantage), qui oscillerait toujours comme ces congénères, mais aurait la subtile caractéristique d’être stérile, c'est-à-dire n’ayant aucune interaction avec la matière, autre que la gravitation…
Évidemment, l'existence d'un quatrième neutrino jetterait un
doute sérieux sur les modèles actuels de la physique des particules. Mais
il pourrait aussi aider à expliquer certains problèmes encore non résolus, tels
que les détails des réactions nucléaires qui apparaissent lors des explosions
de supernovæ.
Cependant les résultats de LSND ne sont pas admis par toute la communauté des physiciens des particules, même si une expérience récente lancée en 2002, MiniBoone, a apporté des résultats allant dans le même sens que ceux de LSND en détectant un excès de neutrinos à faible énergie…
Cependant les résultats de LSND ne sont pas admis par toute la communauté des physiciens des particules, même si une expérience récente lancée en 2002, MiniBoone, a apporté des résultats allant dans le même sens que ceux de LSND en détectant un excès de neutrinos à faible énergie…
Anomalie des neutrinos de réacteurs
Et l’existence de ces hypothétiques neutrinos stériles est
relancée par une nouvelle anomalie, celle appelée l’ « anomalie des
neutrinos de réacteurs ». C’est grâce à la détection des neutrinos de
réacteurs nucléaires que les neutrinos ont été identifiés formellement en 1956.
Et depuis des expériences de mesure de flux de neutrinos ont eu lieu dans tous
les pays (ou presque) équipés de réacteurs nucléaires.
Schéma du détecteur IceCube (Antarctique) |
Une fausse anomalie
Puis vint la dernière anomalie en date de 2011 avec un excès
de vitesse, mais qui fut résolu sans avoir besoin de nouvelles théories en
seulement quelques mois, à l’aide semble-t-il d’une bonne connexion de fibre
optique.
On le voit, le neutrino est une particule féconde en
physique, et il n’est pas impossible qu’elle le reste autant au 21ème
siècle qu’elle ne le fut au 20ème.
Déjà de nouvelles expériences de grande taille sont
imaginées notamment aux Etats-Unis pour mieux comprendre la physique du
neutrino. En Europe et en Asie, de nombreuses expériences sont en cours ou à l’étude
et l’oscillométrie des neutrinos est devenue une branche de la physique des
particules à part entière.
Il n’est pas exclu qu’une fois apprivoisé et bien compris,
le neutrino puisse être exploité par l’Homme, comme le fut la radioactivité au
20ème siècle, dont il reste un acteur invisible mais fondamental.
8 commentaires :
Les neutrinos "supraluminiques" ne résultent pas d'une "simple erreur expérimentale". Je veux dire que l'erreur n'était pas "simple". Une telle expérience nécessite de très nombreux instruments, calibrés soigneusement. Rappelons que l'excès de vitesse suspecté correspondait à 0.002% de la vitesse de la lumière. Obtenir une mesure de quoi que ce soit avec cette précision dans un labo n'est pas une mince affaire, alors imaginez pour une expérience longue de 730 km...
A part ça bravo pour l'article, très intéressant.
Merci.
Quand je disais "simple erreur", c'est surtout vis à vis du casse-tête que l'annonce à produite, avec des centaines de personnes qui ont cherché des raisons de cette vitesse, avec parfois des théories nouvelles, et d'autres qui ont cherché par tous les moyens à démontrer l'impossibilité de la chose à l'aide d'interprétations expérimentales parfois limite hasardeuses...
Je ne remets pas en cause du tout la manip en tant que telle, mais une petite connexion de fibre optique paraît justement dérisoire face à la complexité instrumentale de OPERA...
Bonjour, et hum...
Lorsque je lis ceci : "http://www.universcience.fr/fr/science-actualites/actualite-as/wl/1248128792856/rumeurs-sur-opera/" je reste un peu dubitatif.
Que les journalistes ou le simple commun des mortels (cad moi en l'occurence) puisse s'emballer face à ce genre de nouvelle est normal, salutaire même pour l'entreprise scientifique en général. Mais que des scientifiques fassent passer, visiblement, leurs émotions avant l'objectivité me laisse pantois.
De plus une deuxième erreur, "semblant contrebalancer" la première a été mise à jour depuis au CERN, or mis à part techno-science rien, aucun site n'a diffusé cette info, pourquoi ?
Cordialement
Milles pardons... Le personnage est journaliste, ouf la communauté scientifique est sauve :-)))
Reste quand même la question du pourquoi
Et bien, pour que vous fassiez une opinion complète, je vous suggère de lire avec attention l'article de Cartlidge dans le numero du 2 mars de Science. Vous y verrez qu'il mentionne clairement les deux types d'erreurs de OPERA et explique tout très clairement, et vous verrez qu'il n'est nullement question d'émotions et que le porte-parole de OPERA cité dans le lien que vous donnez est peut-être partial (dans l'autre sens). J'ai mis temporairement l'article de Science ici, bonne lecture :
http://dr.eric.simon.free.fr/Science-2012-Cartlidge-1027.pdf
Il n'est pas dit grand chose sur cette deuxième erreur dans l'article (mais elle est signalée effectivement). Mise à part l'avis de lucia votano (qui du reste doit savoir de quoi elle parle au vue de la fonction qu'elle occupe) et jugeant l'erreur sur cette carte minime par rapport à celle de la fibre. Mais qu'est-ce qu'une erreur minime face à des mesures requérant autant de précision et alors même que la quantification de cette erreur n'a pas encore été effectuée ?
Il se trouve que l'effet de la connexion de la fibre optique donne un écart de plusieurs dizaines de nanosecondes. Et l'autre effet inverse sur la carte produit certainement un écart de quelques nanosecondes. Je pense que ce sont ces ordres de grandeur qui font dire que l'une est bien plus importante que l'autre.
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