samedi 14 juillet 2012

Rayons Gamma de 130 GeV, Un Signe de Matière Noire ?

Cela fait maintenant quelques mois que l'on ne parle que de ça, ou presque (mais pas encore ici!). Des rayons Gamma monoénergétiques de 130 GeV seraient observés en excès significatif en provenance du centre galactique. C'est le satellite Fermi-Large Array Telescope  qui est à l'origine de ces observations. Il semble que l'excès de gammas de 130 GeV soit très localisé vers le centre galactique, excluant de fait une erreur ou un biais expérimental...

Or, parmi les nombreuses méthodes de détection de matière noire sous forme de WIMPs existe la méthode dite "indirecte", qui consiste à détecter les produits d'annihilation des neutralinos
Selon certains modèles, les neutralinos peuvent s'annihiler soit en deux photons gamma, soit en un photon gamma et un boson Z, ou encore en un photon gamma et un boson H.

Ciel vu par Fermi-LAT (E > 10 GeV) (NASA/Fermi-LAT collaboration)
L'annihilation est le processus qui se produit lorsqu'une particule rencontre son antiparticule. Et vous l'aurez compris, le neutralino et son antiparticule ne font qu'un. Il est sa propre antiparticule. Et bien évidemment, l'annihilation d'une telle particule est donc très favorisée dans les endroits où la densité de neutralinos est importante, de telle manière qu'ils aient une grande probabilité de se rencontrer. 

Et c'est logiquement au centre des galaxies que la concentration en neutralinos devrait être la plus importante, les WIMPs devant former un halo autour de chaque galaxie. C'est donc vers le centre de notre galaxie que l'on s'attendrait à voir un signal d'annihilation de neutralinos si ils existent et si nos modèles sont à peu près corrects...
On comprend alors l'ébullition qui a lieu en ce moment depuis la mise à disposition au public des données de Fermi-LAT en avril dernier montrant cet excès à 130 GeV en provenance du centre galactique...

Dans le cas d'une annihilation "simple" en deux photons, la masse du neutralino serait simplement égale à l'énergie des photons détectés, c'est à dire 130 GeV/c² (la masse s'annihile en énergie, E=mc²).

C'est en fait un astrophysicien allemand, Christoph Weniger, du Max Planck Institute für Physik, qui a publié le 12 avril dernier sur le site de preprints ArXiv une analyse des données publiques du satellite Fermi-LAT, qui est à l'origine de cette ébullition. Il s'est penché exclusivement dans la région du ciel la plus propice (le centre galactique) et dans un domaine d'énergie lui aussi le plus intéressant (entre 20 GeV et 300 GeV).

Depuis, d'autres équipes se sont précipitées sur les mêmes données en travaillant avec d'autres méthodes d'analyses et toutes ou presque parviennent à la conclusion qu'il existe bien une raie gamma aux environs de 130 GeV.

C'est sûr que ça serait absolument révolutionnaire si ça se confirmait. Mais attention, bien que statistiquement significatif, cet "excès" ne se base que sur 50 photons. C'est encore très peu.
D'autre part, les analyses que l'on trouve de plus en plus dans la littérature, le plus souvent en preprints, sont fondées sur des données brutes rendues publiques par Fermi-LAT, ce qui ne permet pas de rendre compte de tous les effets instrumentaux qui peuvent exister. La collaboration Fermi-LAT n'a pas encore rendu sa propre analyse et ne confirme rien. Le fait de ne travailler que sur 50 photons signifie qu'à ce rythme, il faut encore attendre quelques années d'observations pour avoir un signal très robuste (dixit C. Weniger).

La signifiance statistique de la raie à 130 GeV donnée par Weniger est de 4.6 sigmas en brut mais seulement de 3.3 sigmas quand on prend en compte le fait qu'il n'a regardé que là où il y avait le plus de chance de trouver quelque chose (le centre galactique et entre 20 GeV et 300 GeV), ce qui fait environ une chance sur 1000 que le signal ne soit en fait que du bruit.
Téléscope Gamma LAT (NASA)

Ce faible nombre d'événements implique également des difficultés à étudier en détails leurs caractéristiques spectrales (l'énergie exacte) ainsi que les caractéristiques spatiales (est-ce précisément le centre galactique ou un peu à côté ?). Ces points sont fondamentaux parce qu'on n'est pas à l'abri de l'observation d'un phénomène astrophysique exotique comme il en existe pléthore un peu partout...

Et puis, je vous entend déjà dire "et si la particule de 125 GeV découverte au CERN avait un rapport avec celle-là qui est aux environs de 130 GeV ?". C'est vrai que les énergies sont proches, mais de là à imaginer soit un halo de bosons de Higgs dans notre galaxie ou bien que le LHC a produit en fait des neutralinos et non des H, il y a un pas que je ne me permettrai pas de franchir!

Il nous faut juste être patient, quelques mois ou années et nous en saurons plus, à la fois sur la vraie nature du boson découvert au CERN et sur l'origine de ce signal encore mystérieux qui disparaîtra peut-être comme il est apparu...


source :
A Tentative Gamma-Ray Line from Dark Matter Annihilation at the Fermi Large Area Telescope
Christoph Weniger
http://arxiv.org/pdf/1204.2797.pdf

5 commentaires :

Unknown a dit…

C'est bien l'hypothèse de Majorama que le neutrino soit sa propre antiparticule?
Tu nous tiens au courant pour la détection de matière noire dans le centre de la galaxie, parce qu'il y a eu article et contre-article. Souvent les articles sont en pré-print. Comment savoir s'ils passent le commité de lecture et que l'étude est vraiment validée ?

Dr Eric Simon a dit…

Attention, je ne parle pas de neutrino ici mais de neutralino, qui est une particule supersymetrique, la plus légère d'entre elles. C'est une particule composite faite de zinos, photinos et higgsinos (les particules superpartenaires respectivement du boson Z, du photon et du Higgs).
Le neutralino dans l'extension minimale de la supersymetrie est un fermion de Majorana effectivement.

Concernant les articles publiés ou non, les seuls qui passent par un comité de lecture sont ceux qui paraissent dans les revues à comité de lecture, justement. Les papiers publiés sur ArXiv ne le sont pas.

Et une publication dans une revue à comité de lecture ne veut pas forcément dire que l'étude est "validée" ou vraie, mais juste qu'elle est scientifiquement valable. Ce qui peut y être trouvé peut-être complètement erroné, on connait des exemples...

Unknown a dit…

Alors là "zinos", inconnu au bataillon mais la supersymétrie ça reste spéculatif, non? Je suis d'accord, même une publication ayant franchie le comité de lecture peu être erronée, la science évolue, les erreurs sont humaines. Disons que cela permet quand même de dire que c'est sérieux au jour J, c'est déja pas mal. Peut-être qu'un petit sigle permettrait de repérer les articles qui ont reçu ce "sacrement".
En tout cas ton résumé sur les mystères de l'astronomie, vraiment bien. Qu'est-ce qui en pensent chez les institutionels, même si c'est passionnant, ça doit les laisser dubitatifs tous ces mystères ? Un jour j'avais écouté une conf d'André Brahic (le bonhomme est vraiment sympa à écouter), il parlait de la masse sombre avec un certain humour parce qu'il y avait 7 ou 8 modèles en compétition et que personne n'était capable de les départager. Plus je découvre l'astronomie et plus je me dis que si on pouvait observer l'univers d'un autre lieu, on aurait des surprises.

Dr Eric Simon a dit…

Au sujet de la Supersymétrie, c'est une théorie qui n'a pas encore été démontrée physiquement par la mise en évidence de particules supersymétriques. Cette théorie a été développée au milieu des années 1960, à la même époque que le champ de Higgs devenu célèbre...
Chaque fermion a un partenaire supersymétrique de type boson et inversement.
Le partenaire d'un boson prend le suffixe "ino" : zino, photino, higgsino, wino et le partnenaire d'un fermion prend le préfixe "s" : sélectron, sneutrino, smuon, stau, etc...
Comme le candidat favori pour la matière noire est la particule supersymétrique la plus légère, celle qui ne se désintègre pas, le neutralino, on comprend que sa détection est un Graal, la prochaine frontière de la Physique, puisque qu'elle démontrerait à la fois l'existence de la supersymétrie et expliquerait la masse manquante de l'Univers...

Unknown a dit…

merci pour les renseignements. Avec ton site plus besoin de s'embéter à fouiner sur les autres sites. Merci pour la synthèse.