Cet après-midi dans le grand auditorium du CERN à Genève, Samuel Ting a présenté les nouveaux résultats de l'expérience AMS-02, ce gros détecteur de particules et antiparticules installé en orbite sur l'ISS.
Les premiers résultats avaient été présentés au mois d'avril 2013 et nous nous en étions fait l'écho ici même.
Ces nouveaux résultats qui viennent d'être présentés, et publiés dans la foulée dans Physical Review Letters sont très intéressants. Bien évidemment, aucune découverte majeure n'a été annoncé par le prix Nobel 1976, non, mais une petite découverte qui montre un phénomène vraiment intéressant. AMS-02 détecte des rayons cosmiques de très haute énergie, majoritairement des électrons et leurs antiparticules, les positrons, mais aussi des protons, des antiprotons, et autres petits noyaux chargés. Le paramètre clé pour ce qui nous concerne, nous qui nous intéressons à la matière noire est ce que l'on nomme la fraction de positrons, il s'agit du nombre de positrons détectés par rapport au nombre d'électrons+positrons. C'est un paramètre-clé car si la fraction de positrons (qui est toujours très inférieur à 0,5) augmente en fonction de leur énergie, c'est potentiellement un signe de l'existence de matière noire sous forme de particules massives (très massives, pour le coup). Et c'est justement ce qui était vu en 2013 confirmant des résultats d'autres expériences antérieures mais beaucoup moins précises.
Fraction de positrons mesurée par AMS-02 avec 10,9 millions de particules (AMS Collaboration) |
Les résultats présentés cet après-midi à Genève non seulement confirment les résultats de 2013, mais les affinent en y apportant plus de précision.
Sur les 54 milliards de particules détectées par AMS depuis sa mise en service en 2011, 46 milliards ont pu être analysées, parmi lesquelles ont été isolés 10,9 millions d'électrons et positrons (on en avait que 6,8 millions en avril 2013). Et grâce à ce nombre beaucoup plus important de particules, la valeur de la fraction de positrons en fonction de l'énergie peut être tracée avec beaucoup plus de précision. Et voilà cette petite découverte majeure dans les données : on peut aujourd'hui affirmer avec certitude que la courbe commence à baisser (le genre de chose qui en fait rêver plus d'un du côté de l'Elysée...).
On peut donc affirmer que la fraction de positrons commence à décroître à partir d'une énergie de 275 GeV. Pourquoi est-ce si important ? Parce que le modèle décrivant des neutralinos de plusieurs centaines de GeV indique que ces particules de matière noire peuvent s'annihiler entre elles en produisant justement un excès de positrons, comme ce qui semble être observé par AMS-02. Et le modèle prédit justement que la fraction de positrons doit croître lentement en fonction de l'énergie, sans sauts brutaux (exactement ce qui est observé pour l'instant), et cette fraction de positrons doit ensuite brutalement chuter au niveau de l'énergie correspondant à la masse du neutralino. Il faut donc qu'à partir d'une certaine énergie la fraction de positrons commence à décroître, puis elle devrait ensuite chuter. Mais plus les particules détectées sont énergétiques et moins il y en a... C'est donc un long cheminement pour produire ces mesures de précisions. La courbe de la fraction de positrons en fonction de l'énergie doit être patiemment construite en engrangeant toujours plus de particules...
Evolution de la fraction de positrons (modèle théorique) pour un neutralino de 400 GeV et de 800 GeV |
Il se peut aussi que la courbe décroisse lentement après ce sommet à 275 GeV au lieu de chuter brutalement, et dans ce cas, cela voudra dire que cet excès n'est pas dû à des annihilations de neutralinos... Ces positrons pourraient aussi être produits par une source astrophysique comme les pulsars. Mais cette solution n'est tout de même pas très privilégiée car les positrons dans ce cas devraient avoir une distribution assez anisotrope (venant de directions privilégiées), ce qui n'est pas du tout observé, au contraire, les positrons de AMS semblent très isotropes, ce qui est aussi en faveur de l'explication de type matière noire (annihilation de neutralinos de plusieurs centaines de GeV)...
Au rythme actuel de détection par AMS-02, la courbe de la fraction de positrons pourra peut-être arriver à sa chute providentielle dans moins de 10 ans, peut-être 5... Ou jamais... en tout cas, c'est absolument passionnant !
Référence :
High Statistics Measurement of the Positron Fraction in Primary Cosmic Rays of 0.5–500 GeV with the Alpha Magnetic Spectrometer on the International Space Station
L. Accardo et al. (AMS Collaboration)
Phys. Rev. Lett. 113, 121101 – Published 18 September 2014
2 commentaires :
Si j'ai bien compris, si la courbe doit "chuter" de la manière attendue d'après le modèle décrivant des neutralinos de plusieurs centaines de GeV, alors d'après le graphique on peut s'attendre à une masse du neutralino qui serait comprise entre 420-500 GeV, c'est bien cela?
Et dans ce cas, question: est-ce que ce type de neutralino pourrait être détecté directement ou indirectement par d'autres expériences qu'AMS-02 et plus particulièrement est-ce qu'au LHC il sera possible d'observer ce neutralino (et notamment avant les 5 ou 10 ans nécessaires à AMS-02)?
Merci pour votre blog, qui est passionnant.
Vous avez très bien compris, on peut même dire que la masse du neutralino pourrait être plutôt entre 500 et 600 GeV au vu de la forme de la courbe (mais plus les points sont à énergie élevée, plus la barre d'erreur (l'incertitude est importante), il est difficile de déterminer la pente de la courbe...
Et la réponse est oui concernant une détection possible au LHC, il faut savoir que le LHC est entré dans une phase de rénovation depuis début 2013 et doit retrouver un faisceau grandement amélioré pas plus tard qu'au début 2015, dans quelques mois. Il collisionnera alors des protons et antiprotons à une énergie deux fois plus grande que celle ayant permis de découvrir le Higgs (soit 13000 GeV, à mettre en regard de ces tout petits 500 GeV...). Il faudra peut-être moins de temps au collisionneur pour avoir une preuve indéniable. Mais une détection par des procédés totalement différents n'en serait que plus pertinent.
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