Dans de nombreux modèles de matière noire, les particules qui la forment sont des particules non-baryoniques qui ont le pouvoir de s'annihiler entre elles pour former des paires de particules-antiparticules qui finissent ensuite par produire des rayons gamma. Ces gamma hypothétiques peuvent être détectés, notamment par un télescope spatial spécifique qui s'appelle Fermi-LAT.
Depuis quelques années, un excès de rayons gamma a été observé en provenance du centre de notre galaxie, qui pourrait tout à fait correspondre à ce signal indirect d'annihilations de particules de matière noire, mais ces rayons gamma peuvent aussi provenir d'autres sources, plus "classiques" comme des étoiles à neutrons en rotation rapide qu'on appelle des pulsars.
Simulation de la densité de matière noire de la galaxie, montrant la présence de milliers de sous-halos (P. Madau et al. Astrophys.J. 679 (2008) 1260) |
Mais la matière noire, en théorie, n'est pas concentrée que vers le centre de la galaxie, même si c'est le lieu privilégié pour la chercher. Il devrait exister au sein du halo de la galaxie des zones de plus grande densité de matière noire que les astronomes nomment des "sous-halos", sortes de bulles de matière noire. Les chercheurs qui ont identifié l'excès de rayons gamma en provenance du centre galactique ont calculé que si ces rayons gamma proviennent bien d'annihilations de particules de matière noire (des WIMPs), les sous-halos de la galaxie devraient produire eux aussi suffisamment de rayons gamma pour que le télescope Fermi-LAT puisse les détecter, sous la forme de sources gamma brillantes.
Jusqu'à aujourd'hui, Fermi-LAT a trouvé des centaines de sources gamma un peu partout dans le ciel, mais qui s'avèrent être très majoritairement des sources "classiques", sans lien avec la matière noire.
Une équipe américaine, conduite par le désormais célèbre Dan Hooper, le père de l'excès de rayons gamma du centre galactique comme preuve indirecte de la présence de WIMPs, est donc partie à la recherche de sous-halos dans les dizaines de sources gamma inconnues trouvées par Fermi-LAT.
Les astrophysiciens ont une chance, car les rayons gamma des sous-halos devraient être légèrement différents des rayons gamma de sources "classiques" : si ils proviennent d'annihilations de matière noire dans des zones de surdensité, des sous-halos, ces rayons gamma doivent apparaître sur une zone un peu plus étendue que si ils proviennent d'un pulsar, qui lui, doit au contraire apparaître ponctuel.
Tout l'enjeu est là : découvrir une ou plusieurs sources gamma qui ne paraissent pas ponctuelles dans le ciel mais légèrement étendues. Même très légèrement étendues... Ce serait un signe sans équivoque et une confirmation de l'excès observé du centre galactique en tant que produit d'annihilations de particules de matière noire.
Et il se trouve que Bridget Bertoni, jeune chercheuse doctorante de l'université de Washington, avec Dan Hooper et Tim Linden de l'université de Chicago, montrent dans un article paru en preprint le 9 avril dernier, qu'une source gamma qui a été détectée par Fermi-LAT (parmi les 3033 sources détectées durant les 4 premières années de mission du satellite) possède effectivement une légère extension spatiale, avec en plus un spectre en énergie de ses rayons gamma qui pourrait être cohérent avec une WIMP d'une masse comprise entre 20 GeV et 50 GeV, soit dans la plage de masse la plus souvent attendue. Il faudra peut-être retenir le nom barbare de cette source gamma : J2212.5+0703
Le ciel en rayons gamma, vu par Fermi-LAT le 7 mars 2012. Une éruption solaire a produit une bouffée de rayons gamma ce jour-là (en bas). (NASA) |
Mais les chercheurs restent très très prudents et se refusent à annoncer leurs résultats comme étant une preuve ou une découverte, mais ils sont "very excited", comme le disent souvent les américains devant des données très intéressantes... Dan Hooper évoque notamment la nécessité d'observer J2212.5+0703 en multi-longueurs d'ondes pour en connaître plussur cette source. En attendant, la petite équipe continue à éplucher les catalogues de sources gamma de Fermi-LAT en cherchant plus de candidats de sous-halos potentiels. Ils ont déjà dans leur besace une liste de 24 sources, dont le spectre en énergie pourrait être produit par des WIMPs entre 20 et 70 GeV, et qui ne sont pas variables dans le temps, ce qui éloigne un peu une origine de type pulsar, les pulsars ayant par nature des émissions variables dues à leur rotation. Mais pour le moment, les analyses montrent que l'étendue spatiale de ces sources n'est pas aussi convaincante que celle de J2212.5+0703...
Les sources gamma détectées par le télescope Fermi-LAT sont bien réelles et pour beaucoup d'entre elles encore mal ou pas expliquées. L'hypothèse des sous-halos de matière noire, si elle se révèle exacte dans le futur, serait une jolie victoire pour Dan Hooper, qui a bien cru avoir trouvé la preuve dans le centre galactique il y a quelques années avant d'accepter que des sources classiques pouvaient donner un signal similaire. Ce ne serait plus le cas avec les sous-halos.
Source :
Examining The Fermi-LAT Third Source Catalog In Search Of Dark Matter Subhalos
Bridget Bertoni et al.
9 commentaires :
Je me répète mais j'accroche pas avec cette histoire de matière noire et d'énergie noire et tant qu'on n'aura pas de preuves directes, elles resteront pour moi les béquilles du modèle standard.
Vous avez des nouvelles de Stephane Le Corre?
Doit il publier prochainement dans une revue scientifique?
Félicitations encore pour votre blog
Dans les derniers échanges directs que j'ai eu avec S. Le Corre, il cherchait toujours à publier ses articles dans une revue à comité de lecture, mais il était accaparé par des soucis annexes qui lui laissaient très peu de temps à y consacrer...
Bonjour, je me permets une réponse tardive à « Anonyme ». Comme vous l'a dit Eric je n'ai pas trop de temps en ce moment. Malheureusement à ce jour, je n'ai pas réussi à faire publier mon travail d'amateur. Et je suis sceptique sur le fait que je puisse y arriver. Mais je continue d’essayer tout de même. Peut-être y a-t-il trop d'imperfection dans la forme et dans mon anglais?! Par contre, sur le fond, je continue à penser que ma solution tient toujours la route (et même plus que jamais!). Et pour rebondir sur deux articles à propos de la matière noire dont a parlé il y a quelque temps Eric, ma solution m’apparait consistante logiquement et « observationnellement ».
Consistance observationnelle: Ma solution implique nécessairement que, s'il existe des galaxies près du centre des clusters (source essentielle du champ gravitique), elles doivent être "gavées" de matière noire. Les récentes découvertes de galaxie ultra diffuse (« Environ 1000 galaxies ultra-diffuses dans l'Amas de Coma ! ») correspondent tout à fait à ce schéma. Elles se distribuent prés du centre du cluster et sont anormalement "dopées" à la matière noire.
Consistance logique (théorique): Quant à cet article, il y a une chose que je trouve inconsistante. Puisque la matière noire semble être la composante majoritaire de notre univers, l'annihilation dont parle l'article qui touche la matière noire devrait du coup être omniprésente. Il s'avère que parmi les nombreuses sources de gamma candidates, la matière noire n'en serait à l'origine que d'une quantité négligeable!? Rappelons qu'on a le même problème dans le visible. Elle est omniprésente mais ne se voit pas! Dans ma solution, la petitesse du terme de champ gravitique « baignant » explique à la fois la grande quantité attendue de matière noire, et en même temps la difficulté de sa détection à notre échelle.
Une dernière réflexion: Dans l’hypothèse de matière noire, si l'on devait modéliser notre univers d'une manière approchée, le plus naturel serait de négliger en 1ere approximation la matière ordinaire (car elle ne représenterait qu’une petite part de la matière)... Autrement dit la matière ordinaire qui a donné naissance à toutes nos théories physiques, en 1ere approximation, pourrait être négligée!!!?? Comme « sixenligne atmo », je n'arrive pas à croire en une telle logique.
Pour rappel, la solution que je propose (pour la juger à l’aune de l’observation) implique les prédictions suivantes (cf. la dernière version de mon article qui contient des améliorations suite à la discussion sur le blog d’Eric):
1) Décroissance de la matière noire avec la distance au centre des clusters,
2) Surabondance de matière noire dans les galaxies proches du centre des clusters,
3) Isolement des galaxies sans matière noire,
4) Mouvement des galaxies satellites dans des plans,
5) Mouvement des galaxies satellites dans des plans proches du plan supergalactique (plan du cluster),
6) Deux clusters voisins doivent avoir des orientations proches de leur axe de rotation,
7) Orientation dans un même demi-espace des axes de rotation de la plupart des galaxies au sein d'un même cluster,
8) Orientation dans ce même demi-espace de l’axe de rotation du cluster.
9) Existence (rare) de galaxies ayant deux parties qui tournent en sens inverses.
10) Une dernière prédiction: Ma solution implique quasiment nécessairement l'existence de masse négative fournissant une explication à l'énergie noire comme champ gravitique de la masse négative (qui fait l'objet de mon second article)!
Je me permets de rappeler cette dernière prédiction car je me demande si elle ne sera pas vérifiée ou invalidée avant les autres!
Désiris a dit...
Et si vous lisiez le livre sur "La matière noire: substance exotique ou effet relativiste ?", publié en mai dernier ?
Merci pour cette référence. J'imagine, vu son titre, que ce livre va dans le sens de l'étude de S. Le Corre... mais avec d'autres arguments au vu du résumé...
Bonjour,
J’ai survolé le livre mentionné (avec le peu de temps que j’ai en ce moment !). Si j’ai bien compris, dans cette approche, la matière noire s’explique par de la matière ordinaire invisible. Ce qu’on cherche alors à expliquer c’est son invisibilité. Et c’est un effet relativiste qui pourrait alors intervenir, l’horizon d’accélération. De la même manière qu’un trou noir (avec sa masse) disparait derrière un horizon au-delà d’une certaine densité (divergence de la métrique en coordonnées de Schwarzschild); ici une particule disparaitrait derrière un horizon au-delà d’une certaine accélération (divergence de la métrique en coordonnées de Rindler). Autrement dit la matière (invisible + visible) serait bien présente, comme dans les modèles de matière noire (avec ses effets gravitationnels sur son environnement, comme pour les trous noirs) mais en grande partie non visible de chez nous car cachée par son horizon d’accélération (comme le cœur d’un trou noir). Etant donné que dans ces conditions ces particules auraient un horizon très grand, dans cette solution, pour que ces particules soient « invisibles » à nos yeux, nous devrions nécessairement nous situer au-delà de leur horizon, c’est-à-dire, à priori, à des distances de l’échelle des amas. Autrement dit, la matière que l’on voit effectivement au niveau des amas serait en réalité beaucoup plus importante (comme dans le cadre de la matière noire).
Personnellement, je n’ai pas assez de recul pour juger la solidité de cette solution. Mais elle est donc assez différente de la solution que je propose. Dans ma solution, il n’y a ni matière noire, ni matière invisible, seulement la matière visible et connue à ce jour par les observations (ma solution est donc encore moins coûteuse que celle proposée dans ce livre). Par contre elle a en commun le fait qu’il faille se placer au moins à l’échelle des amas pour trouver une solution à ce mystère. Mais j’ai l’impression que toutes les implications sur les sens et directions de rotation des galaxies et clusters que ma solution implique ne sont pas attendues dans ce genre de solutions. Encore une fois, je pense profondément que ce genre d’observations pourrait être un véritable juge de paix.
Merci Stéphane pour ce résumé fourni. Il s'agit d'un "survol" tout de même assez attentif visiblement... Cette histoire d'horizon est effectivement à mille lieues de l'effet gravitomagnétique.
@ Stéphane Le Corre : dans l'hypothèse matière noire par Wimps, par définition, malgré sa prépondérance on ne l'observe que très difficilement(weakly interactive...),et pour l'instant on ne peut que mettre une limite supérieure à sa section efficace d’annihilation, il n'y a encore aucune contradiction. Il est aussi naturel dans ces modèles d'avoir une concentration de MN au centre des amas, puisque ceux-ci se sont justement formés dans les puits gravitationnels de MN (prédictions 1,2 et 3).
Après lecture du livre de J Perdijon, il me semble (le coeur du sujet tient en quelques paragraphes, et n'est pas toujours très explicite)que l'horizon d'accélération n'explique pas du tout les courbes de rotation des galaxies spirales (Dh 10^4 Mpc), ni l'écart entre la densité baryonique et la densité de masse totale (nucléosynthèse primordiale + CMB), tout au plus il pourrait masquer une partie du gaz chaud des amas, et peut être expliquer ainsi les 2/3 de masse baryonique qui nous manquent ? Mais il n'est clairement pas une alternative à la matière noire exotique, non baryonique.
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