samedi 20 juin 2015

La plus petite exoplanète : record battu

En astrophysique comme ailleurs, les records sont faits pour être battus. Et en astrophysique, il existe de nombreuses disciplines : alors que pour les trous noirs, ce sera à celui qui sera le plus gros, pour les galaxies, ce sera à celle qui sera la plus lointaine, et pour les quasars celui qui sera le plus brillant. Pour un pulsar, le gagnant sera celui qui tourne le plus vite et pour une supernova, celle qui sera la plus proche de nous, ou à l'inverse la plus éloignée. Quant aux exoplanètes, à coup sûr, la course se fait à celle qui sera la plus petite! Et le record de l'exoplanète la plus petite vient donc d'être battu...



Vue d'artiste du système de Kepler-138
(Penn State University/SETI Institute)
Cette petite planète tourne autour de l'étoile Kepler-138, qui est une étoile naine rouge tout ce qu'il y a de plus banal, et comme elle en est la plus proche parmi ce système qui en compte au moins 3, elle se dénomme Kepler-138b et a donc été découverte vous l'aurez compris par le télescope Kepler durant sa campagne d'observation entre 2009 et 2013. Elle fait partie des 500 planètes candidates trouvées par Kepler (parmi les 4600 candidates mises en évidence) qui ont une masse inférieure ou égale à la masse de la Terre. Il faut se rappeler que la grande majorité des planètes découvertes par Kepler ont une taille comprise entre 2 et 4 fois celle de notre planète bleue. Kepler-138b a elle un diamètre semblable à celui de Mars, soit à peu près la moitié du diamètre terrestre.

Les détections de transits effectuées par le télescope Kepler permettent d'évaluer le diamètre d'une exoplanète, mais ne donnent aucune indication sur sa masse. Pour évaluer la masse d'une telle exoplanète, on peut par exemple regarder comment varie la vitesse de l'étoile mère dans la ligne de visée en observant le décalage Doppler de ses raies spectrales. Mais pour des planètes très légères, l'effet est bien trop faible pour être détectable, ce qui est le cas dans le système de Kepler-138.
Pour obtenir la valeur de la masse de Kepler-138b, l'astronome américain Daniel Jontof-Hutter et ses collègues, qui publient leurs résultats dans la revue Nature, ont profité de l'existence de deux autres planètes autour de Kepler-138 (Kepler-138c et Kepler-138d) pour utiliser des méthodes exploitant la dynamique des corps. 

Kepler-138c a une période de rotation autour de l'étoile de 13,8 jours et Kepler-138d de 23,1 jours, alors que Kepler-138b fait sa rotation en 10,3 jours seulement. Connaissant la taille de leur diamètre respectif (légèrement supérieur à celui de la Terre pour c et d), et leur temps de transit devant l'étoile, on connaît leur période de rotation. De là, on peut en déduire leur distance à l'étoile. Avec la distance des trois planètes et le ratio de leur période orbitale, les chercheurs peuvent calculer quelles sont les perturbations gravitationnelles qu'une des trois planètes va induire sur les deux autres et qui va générer des variations dans leur période orbitale respective. Cette perturbation dépend bien sûr de la masse des trois corps...
Graphe du rayon en fonction de la masse (relatifs à la Terre)
indiquant les trois exoplanètes de Kepler-138 (en rouge)
(Jontof-Hutter et al/Nature)
Les astrophysiciens qui se transforment parfois en mathématiciens sont donc face à un système de 3 équations non-linéaires à 3 inconnues (les 3 masses), toutes les autres variables étant connues par l'observation.
Ce type de problème inverse peut être résolu par des méthodes numériques grâce à des ordinateurs et c'est donc ce qu'ont fait Jontof-Hutter et ses collaborateurs. 
La masse de Kepler-138b se révèle être vraiment faible, plus faible que celle de Mars : 0,066 fois la masse de la Terre, ce qui permet d'en déduire immédiatement sa densité, de l'ordre de 2,6 g/cm3, soit très proche de la densité Martienne et signant une nature de type rocheuse.
Kepler-138c, elle, a une masse de 1,97 fois la masse de la Terre pour un rayon 20% plus grand, ce qui lui confère une densité de l'ordre de 6,2, assez semblable à la densité terrestre. Et enfin, la troisième, Kepler-138d, a une masse de 0,64 fois la masse de la Terre pour un rayon là encore 20% plus grand, ce qui donne une densité bien plus faible, de l'ordre de 2,1, ce qui fait dire aux astronomes qu'elle doit posséder beaucoup plus d'éléments légers comme de l'hydrogène ou de l'eau.
Il faut tout de même préciser à ce stade que cette mesure de masse indirecte est entachée d'une incertitude assez importante qui est due à la précision sur la mesure des durées de transit, cette incertitude sur la masse et la densité atteint un facteur 2. Mais cette incertitude pourra être réduite dans le futur par de plus nombreuses observations de transits devant Kepler-138.

Les trois planètes du système de Kepler-138, comme de nombreuses exoplanètes trouvées par Kepler, sont très proches de leur étoile, dans des orbites bien plus petites que celle de Mercure, alors qu'il n'existe aucune planète à l'intérieur de l'orbite de Mercure par chez nous. Pourquoi il en est ainsi est encore une grande question en attente de réponse, ce qui sera l'une des raisons d'être des télescopes successeurs de Kepler prévus pour être lancés dans la décennie qui vient (l'américain TESS en 2017, suivi de l'européen PLATO en 2025) et qui amélioreront grandement les performances déjà exceptionnelles atteintes par Kepler, en fournissant en plus de nombreux autres records exoplanétaires.


Source : 
The mass of the Mars-sized exoplanet Kepler-138 b from transit timing
Daniel Jontof-Hutter et al.
Nature, Vol 522 (18 june 2015)

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