Alors
que les anneaux sont une caractéristique partagée par toutes les planètes
géantes gazeuses de notre système solaire, ceux de Saturne sont de très loin
les plus majestueux, par leur taille et leur complexité.
Lorsque
Galilée les a découverts pour la première fois en 1610 avec sa lunette, il
voyait des protubérances de part et d’autre de Saturne et avait pensé qu’il s’agissait
soit d’ «étoiles » supplémentaires ou soit d’une structure solide
attachée à la planète formant comme des sortes de poignées. Il fallut attendre
1659 pour que Christiaan Huygens détermine que les protubérances observées
étaient en fait un anneau entourant Saturne. Enfin, Giovanni Cassini parvint à
observer une structure interne dans cet anneau en 1675, donnant son nom à la
division séparant l’anneau en deux sections.
L'anneau B de Saturne apparaît ici presque noir dans cette image de Cassini prise du côté non éclairé du plan des anneaux (NASA/JPL-Caltech/Space Science Institute) |
Galilée,
Huygens et Cassini pensaient tous que l’anneau de Saturne était un objet
solide. On doit à l’astronome français Jean Chapelain en 1660 l’idée selon
laquelle l’anneau pourrait être non pas fait d’un seul tenant mais être constitué
d’une multitude de petites particules.
Cette
idée visionnaire a pu être confirmé théoriquement seulement deux siècles plus
tard en 1859, par le grand physicien James Clerk Maxwell, le père de l’électromagnétisme,
dans son fameux traité On the Stability
of the Motion of Saturn's Rings où il calculait qu’un anneau solide rigide
de cette taille ne pouvait pas rester stable dynamiquement du fait des forces
de gravité : il devait être constitué de particules indépendantes, liquides ou
solides.
Depuis
Maxwell, Saturne a été la cible des meilleurs télescopes terrestres et
spatiaux, y compris Hubble. Mais elle a surtout été l’objet de visites de
sondes spatiales, soit des sondes de passage comme Pioneer 11, ou les deux Voyager, soit
avec une mise en orbite comme la sonde Cassini qui débute sa douzième année en orbite Saturnienne.
Les
anneaux de Saturne ont été observés minutieusement et de plus en plus finement grâce à ces missions.
Cassini nous a permis d’en apprendre beaucoup plus en l’espace d’une décennie que tout ce qu’on
avait appris depuis Galilée…
L’anneau
de Saturne se divise en bien plus que deux sections, on en compte aujourd’hui
7. Ces anneaux sont répertoriés par une lettre et sont séparés par un petit
espace quasi vide qu’on appelle une division, la plus connue étant celle séparant
l’anneau A et l’anneau B, découverte par Giovanni Cassini. Du plus proche de
Saturne vers le plus éloigné, nous avons ainsi les anneaux D, C, B, A, F, G
et E. En 2009, le télescope infra-rouge Spitzer a également découvert un
gigantesque anneau de matière (poussière) très épais, visible qu’en infra-rouge et située entre 6 et 18
millions de kilomètres de la planète, sans commune mesure en taille avec les
anneaux de glace.
Les
anneaux de Saturne sont en effet composés de blocs de glace allant du micromètre à la
dizaine de mètres. Ils s’étendent jusqu’à 464 000 km au-dessus de la
surface la planète, et leur épaisseur est extrêmement fine : environ 10 m seulement
!...
L’un
des anneaux, l’anneau B, apparaît visuellement différent des autres anneaux. Il
est plus sombre, plus opaque d’un facteur 10. Cette opacité est mesurée d’une
part en mesurant la réflectivité, et aussi en transmission, en observant des
étoiles à travers l’anneau. Pour expliquer ce phénomène, la première idée
intuitive était de dire que l’anneau B est beaucoup plus massif ou plus dense
que les autres.
Mais
il se trouve que cette solution ne tient plus. Une mesure vient en effet pour
la première fois d’évaluer directement la densité de surface de l’anneau B. La valeur
obtenue est certes plus élevée que celle de l’anneau A, mais seulement d’un facteur 2 à 3, ce qui est tout à fait insuffisant pour expliquer cette grosse
différence d’opacité d'un facteur 10.
Matthew
Hedman (Université de l’Idaho) et Phil Nicholson (Cornell University) ont
utilisé les données de Cassini pour étudier les ondes de densité parcourant l’anneau
B, qui sont produites par les interactions gravitationnelles des satellites
proches.
Structure des anneaux de Saturne (mosaique produite par la sonde Cassini), l'anneau B apparaît le plus clair ici en réflection (cliquez pour agrandir) (NASA/JPL-Caltech) |
La
mesure de l’évolution de ces ondes de densité permet de remonter à la valeur de
la densité de surface de l'anneau. Les chercheurs montrent ainsi que la distribution de
masse reste relativement constante malgré le changement important d’opacité entre l'anneau A et l'anneau B. L’opacité
observée sur l’anneau B ne peut pas être attribuée entièrement à la masse
impliquée, même si l’anneau B, de 25500 km de large, est sans doute le plus
massif de tous les anneaux de Saturne. Hedman et Nicholson évoquent la
possibilité, du coup, que la différence d’opacité soit due à une différence
dans la taille ou dans la densité des grains, ou encore à une différence dans
la structure même de l’anneau. Mais la question reste ouverte.
Le
fait que l’anneau B soit finalement moins massif que ce que l’on supposait
auparavant, indique qu’il pourrait être plus jeune que prévu. Un anneau léger
doit en effet évoluer, et donc s’assombrir via une pollution de poussière d’impacts
météoritiques, plus vite qu’un anneau plus dense.
Il
reste environ deux ans à la sonde Cassini dans la phase finale de sa mission pour
continuer son exploration des anneaux de Saturne. Elle pourrait même les
traverser en 2017, de quoi améliorer encore bien d’avantage nos connaissances. Cassini
avait déjà permis d’évaluer la masse totale de Saturne et ses anneaux par des
mesures de champ gravitationnel. Elle devrait répéter cette mesure en 2017,
cette fois pour Saturne seule en se faufilant entre la haute atmosphère
Saturnienne et l’anneau D. La différence des deux mesures devrait enfin donner la
masse totale des anneaux, une donnée cruciale pour les planétologues.
En
mesurant pour la première fois directement la densité de l’anneau B, cette
étude fait une grande avancée dans la compréhension de l’âge et de l’origine
de la plus belle structure du système solaire.
Source :
The
B-ring’s surface mass density from hidden density waves: Less than meets the
eye?
M.M.
Hedman, P.D. Nicholson
Icarus,
sous presse, (22 January 2016)
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