jeudi 24 mars 2016

Premiers résultats scientifiques de New Horizons sur Pluton-Charon

Depuis le survol de Pluton par la sonde New Horizons le 14 juillet de l’année dernière, les données n’ont cessé depuis lors de se télécharger à un débit réduit depuis la sonde qui continue son périple. Aujourd’hui, après des mois d’analyses de ces riches données, les chercheurs américains publient leurs premiers résultats scientifiques approfondis, en pas moins de cinq articles spécialisés dans le numéro de la semaine dernière de la revue Science.



Ces études concernent cinq thèmes très différents : la géologie de Pluton et de son gros partenaire Charon, la chimie de surface de Pluton et Charon, l’atmosphère plutonienne, puis une étude dédiée exclusivement aux petits satellites du système Pluton-Charon : Styx, Nix, Kerberos et Hydra, et pour finir l’environnement proche de Pluton et ses interactions avec le vent solaire et la poussière.
Alan Stern (Southwest Research Institute de Boulder, Colorado), le principal responsable scientifique de New Horizons le précise : « Ces résultats détaillés transforment complètement notre vision de ce qu’est Pluton. Ils révèlent que cette ancienne planète est en fait un monde muni d’une géologie active et diverse, une chimie de surface exotique, une atmosphère complexe, une interaction surprenante avec le Soleil, et un système de petits satellites plus qu’étonnant. »

Une géologie active
Jeffrey Moore et ses collaborateurs de nombreuses institutions américaines se sont penchés sur la géologie complexe de Pluton et de Charon, qui s’avèrent assez différentes. Ils montrent que l’hémisphère observée de Pluton à une activité géologique centrée sur un vaste bassin contenant une épaisse couche de glaces volatiles qui subissent des processus de convection et d’advection, avec la présence de cratères qui ne sont pas âgés de plus de 10 millions d’années. Les zones avoisinantes montrent des flux de glace actifs et des mouvements de grands blocs de glace d’eau en sublimation.
Des structures plus énigmatiques ont également été observées par les planétologues : de grands monticules avec des dépressions centrales qui font penser à des cryovolcans ainsi que des crêtes arborant des textures complexes à lames.  Et Pluton possède également des terrains très anciens dont l’âge est mesuré via le nombre de cratères : de l’ordre de 4 milliards d’années, avec de nombreuses failles, et qui semblent érodés par des processus glaciaires.
Les chercheurs déduisent également des observations que de grandes quantités d’eau doivent se trouver dans la croûte de Pluton, et qu’en-dessous de la croûte solide glacée pourrait se trouver un océan liquide, même si cela n’est pas encore confirmé. Les évidences géologiques de surface font dire aux planétologues américains que l’on est en présence d’un objet très similaire aux satellites Europe, Encelade, ou Ganymède, qui ont tous un océan liquide sous une épaisse croûte de glace. Un tel océan pourrait rester liquide au moins partiellement par la chaleur résiduelle interne du noyau rocheux (radioactivité naturelle des roches). 
Des cryovolcans ont été identifiés sur Pluton, d’où sortirait de la glace en lieu et place de lave. Le meilleur candidat à ce jour est appelé Wright Mons, il est large de 150 km pour une altitude d’environ 4000 m. Un autre volcan, Piccard Mons, plus imposant, est également un sérieux candidat avec sa base de 225 km et ses 6000 mètres d’altitude. 
Charon, lui, n’apparait pas actif aujourd’hui, mais aurait connu une tectonique intense ainsi qu’un resurfaçage d’origine probablement cryovolcanique il y a 4 milliards d’années. La composition de ses glaces est majoritairement de l’eau, a contrario de Pluton où l’on trouve d’autres composés comme le méthane ou le monoxyde de carbone. Le relief de Charon atteint une altitude de 20 km, observé sur le profil des limbes ainsi qu’en mesures topographiques stéréo, et qui témoigne de la grande force portante de la glace d’eau à très faible température. De telles montagnes de glace ne sont possibles que grâce à la faible pesanteur régnant sur Charon (0,29 m.s-2, soit 34 fois moins que sur Terre).
Charon aurait lui aussi un océan interne, mais qui serait complètement solidifié. Mais l’élément le plus étrange observé par New Horizons sur Charon est ce que les américains ont appelé la « montagne dans le fossé » (mountain in a moat). Un grand bloc de matériau très haut se trouve comme planté au milieu d’une étroite dépression, sans explication pour le moment.
Le fait majeur mis au jour par cette étude est que les populations de cratères observées, que ce soit sur Pluton ou sur Charon, n’apparaissent pas compatibles avec les distributions taille-fréquence d’impacts des objets issus de la ceinture de Kuiper qui se trouvent au voisinage du couple infernal. Une énigme qu’il va falloir comprendre.

Des surfaces à la composition inédite
Will Grundy (Lowell Observatory) et son équipe se sont eux intéressés à la composition chimique des surfaces de Pluton et Charon. 
Les matériaux que l’on connaissait déjà sur Pluton à partir d’observations spectroscopiques terrestres incluaient des glaces volatiles d’azote, de monoxyde de carbone, de méthane, d’eau, d’éthane et des molécules plus complexes appelées des tholines, formées par l’action du rayonnement UV sur des molécules organiques carbonées en présente d’azote.
Les chercheurs ont exploité l’instrument RALPH pour déterminer la couleur et la composition chimique de la surface. Les diverses glaces sont observables grâce à leurs caractéristiques d’absorption différentes.


Will Grundy et ses collaborateurs décrivent la présence importante de tholines qui viennent recouvrir la ceinture équatoriale, terrain ancien très cratérisé. Les observations en infra-rouge qu’ils ont menées sur la vaste plaine qui semble renouveler sa surface rapidement indiquent la présence de glaces volatiles d’azote (N2) et de monoxyde de carbone (CO). En revanche, ils ne détectent pas d’eau dans cette région mais plutôt dans les zones voisines. La glace de méthane apparaît, elle, pour ce qui des basses latitudes, sur les bords de cratères et les crêtes des montagnes, et elle y est présente en abondance aux hautes latitudes (vers le pôle Nord) de Pluton.
Ce que montrent les chercheurs, c’est que les différentes glaces se subliment et se condensent successivement au gré des saisons. Lors de leurs mouvements à la surface de Pluton, elles interagissent avec d’autres matériaux comme de l’eau (glace). Même si la glace d’eau sur Pluton n’est pas active par elle-même, elle apparaît sculptée de nombreuses façons par l’action des glaces volatiles de N2 et de CO. A la température très froide qui est celle de Pluton, la glace d’eau est aussi dure que de la roche alors que la glace d’azote est plus molle et peut couler à l’image de nos glaciers alpins. Les chercheurs américains montrent que le méthane ayant une volatilité intermédiaire, il joue un rôle à part en se condensant à haute altitude, contribuant à la fabrication des paysages les plus étonnants de Pluton en se redéposant au sommet de ses montagnes sous la forme d’une « neige ».
Quant à Charon, l’équipe exploitant RALPH confirme sa grande différence avec Pluton, avec une grande quantité de glace d’eau, et avec en plus une forte abondance de tholines qui lui donne cette coloration rougeâtre caractéristique au niveau de son pôle. La distribution spatiale de ces tholines fait dire aux planétologues que leur production serait contrôlée par un processus thermique. 
Il est à noter également l’existence sur Charon de points localisés très riches en glace de NH3, qui ne peuvent qu’être issus d’un phénomène relativement récent d’après les chercheurs.

Une atmosphère inattendue
L’existence d’une fine atmosphère était déjà connue avant le survol de la sonde par des observations spectroscopiques depuis la Terre, mais New Horizons a permis de révéler une complexité bien plus grande. L’atmosphère de Pluton a pu être étudiée grâce à l’utilisation de plusieurs instruments à bord de New Horizons, tout d’abord l’instrument REX (Radio Experiment), qui a permis d’établir des profils de température et de pression, puis le spectrographe UV Alice qui fournit des données sur la composition de l’atmosphère, et bien sur les imageurs LORRI (Long Range Reconnaissance Imager) et MVIC (Multispectral Visible Imaging Camera) pour identifier la présence de brumes par exemple.

L’équipe de G. Randall Gladstone montre dans leur étude que l’atmosphère de Pluton est très majoritairement constituée d’azote. Mais elle contient également des faibles quantités de méthane, d’acéthylène, d’éthylène et d’éthane. Et New Horizons a permis de mesurer avec précision les profils de composition des différents gaz atmosphériques en fonction de l’altitude. Le taux d’échappement de l'azote calculé par les chercheurs est environ 10 000 fois plus faible que ce qui était prédit, alors que celui du méthane est conforme aux attentes. Ce faible taux d’échappement de l’azote semble incohérent avec les structures d’érosion/sublimation qui sont observées sur la surface de Pluton, ce qui laisse penser aux planétologues que le taux d’échappement de l’azote aurait pu évoluer et être beaucoup plus important dans le passé.
Par ailleurs, il apparaît que la capture par Charon du méthane s’échappant de Pluton pourrait, par le biais de réactions chimiques de surface, expliquer la présence de grandes quantités de tholines et la couleur rougeâtre de son pôle nord. 
La température de la haute atmosphère a pu être évaluée grâce à l’opacité de l’azote, et se trouve être beaucoup plus froide qu’attendu, alors qu’elle est d’environ 40 K (-233°C) à la surface, elle atteint seulement 110 K (-163°C) à 50 km d’altitude. C’est cette très basse température de la haute atmosphère qui induit le faible taux d’échappement d’azote. Cette basse température a des effets importants sur tout le cycle des gaz volatiles et sur l’évolution à long terme de l’atmosphère de Pluton. La pression atmosphérique mesurée est quant à elle de l’ordre de quelques microbars, que ce soit au niveau de la surface ou à 50 km d’altitude.



Une autre découverte inattendue concerne l’existence de couches de brume. Elles se trouvent réparties globalement, s’étendant jusqu’à de hautes altitudes et semblent former différentes couches distinctes. Les spécialistes estiment que cette brume serait composée de particules très fines, par exemple des tholines, qui donnent cette coloration d’un bleu intense qui a pu être observé par New Horizons à contre-jour. Les chercheurs ont trouvé un mécanisme plausible à l’origine de l’apparition de ces différentes couches de brume, qui seraient produites par des ondes de gravité atmosphériques induites par des vents circulant entre la topographie montagneuse de Pluton.

Des petits satellites formant un système unique
Charon n’est pour ainsi dire pas vraiment un satellite de Pluton, il faudrait plus parler d’un système binaire. Et le système Pluton-Charon possède 4 petits satellites que New Horizons a pu observer, parfois très furtivement, durant son rapide survol. Styx, Nix, Kerberos et Hydra, dont l’âge a été estimé à au moins 4 milliards d’années, apparaissent avoir quelques points communs : une forme allongée, une rotation rapide, et une surface très brillante avec un fort albédo, suggérant qu’ils sont recouverts de glace d’eau. Ils ont également tous une période de rotation beaucoup plus courte que leur période orbitale, et leur axe polaire est quasi orthogonal à l’axe de rotation commun de Pluton et Charon. Ces orbites très inhabituelles font du système plutonien un système unique.
Nix (à gauche) et Hydra (à droite)
Les albédos élevés de ces petits satellites, qui vont de 50 à 80%, sont très différents de ce que l’on trouve dans les petits corps de la ceinture de Kuiper (plutôt de l’ordre de 5% à 20%).
Parmi les autres résultats surprenants acquis par l’équipe de Hal Weaver (Johns Hopkins University), il y a cette forme en double-lobe de Kerberos, qui laisse penser qu’il aurait pu, comme éventuellement d’autres, se former par la fusion de deux corps plus petits. Nix possède, lui, une particularité avec un cratère d’impact qui apparaît rougeâtre. Les planétologues ne peuvent hélas pas déterminer si c’est le corps impactant qui a apporté ce matériau ou bien si l’impact a creusé la surface en mettant au jour le matériau de subsurface.
Les chercheurs concluent des différentes caractéristiques observées sur les petites satellites que l’hypothèse d’une collision ayant créé le système Pluton-Charon est renforcée. Le système plutonien aurait été créé par l’impact de deux corps de la taille de Pluton il y a entre 4 et 4,5 milliards d’années, les petits satellites se formant ensuite rapidement à partir du disque de débris résultant.


Des interactions de particules avec l’atmosphère de Pluton surprenantes 
L’un des objectifs de New Horizons était également l’étude des interactions de l’atmosphère de Pluton avec le vent solaire et son taux d’échappement. Les particules chargées sont mesurées par New Horizons avec deux instruments dédiés, le Solar Wind Around Pluto (SWAP) et le Pluto Energetic Particle Spectrometer Science Investigation (PEPSSI). Avant le survol de New Horizons, le taux d’échappement atmosphérique de Pluton était très mal connu, variant de plus d’un facteur 1000 entre les différentes estimations (entre 2. 1025 et 2. 1028 molécules/s). Les instruments de New Horizons ont révélé un vent solaire quasi constant est plus intense qu’attendu.
Illustration des interactions des particules chargées
(H.A. Weaver et al. / Science)

L’équipe menée par Fran Bagenal (Université du Colorado) montre que la région d’interaction du vent solaire avec l’atmosphère de Pluton se révèle être de relativement petite taille (6 fois le rayon de Pluton), confinée dans la direction du Soleil. Cette taille vraiment faible qui a étonné les spécialistes est compatible avec un taux d’échappement atmosphérique réduit, de 6. 1025 molécules de CH4 par seconde, ainsi qu’un flux de vent solaire particulièrement élevé dû à ce qui est appelé une région de compression. Cette région d’interaction apparaît semblable en dimension à celle induite par les interactions du vent solaire sur l’atmosphère de Mars. Les perturbations  ont été observées au-delà de Pluton jusqu’à une distance de 400 rayons plutoniens. La découverte que c’est surtout du méthane (CH4) qui s’échappe de Pluton est une surprise pour les chercheurs qui s’attendaient à voir plutôt de l’azote, sachant que la basse atmosphère de Pluton en est constituée à 99%.
New Horizons est également munie d’un détecteur de petites particules (grains de poussière), le SDC (Student Dust Counter). Durant les 10 jours encadrant la date du survol, l’instrument SDC a détecté un unique grain de poussière de taille supérieure à 1,4 µm. Les chercheurs et étudiants qui exploitent cet instrument ont calculé que la probabilité que l’événement soit bien dû à un grain de poussière était de 95%. A partir de cette détection unique, ils en déduisent une limite supérieure de la densité de poussières autour de Pluton qui vaut 1,2 grain par km3. Cette donnée ne permet pas encore de conclure sur l’origine de cette poussière, provenant de Pluton elle-même, ou bien de la ceinture de Kuiper. SDC continue à collecter des grains de poussière au cours du trajet de la sonde dans les années qui viennent et devrait fournir des données plus riches très bientôt.


Pluton s’avère ainsi plus active et dynamique que ce qu’on pouvait penser et donne une indication sur ce à quoi peuvent ressembler d’autres objets de la ceinture de Kuiper.
Jeff Moore le dit : «Observer Pluton et Charon d’aussi près nous a conduit à revoir complètement nos idées sur les types d’activité géologiques qui peuvent être rencontrés sur des petits corps aussi éloignés et isolés.».
Pluton a commencé à livrer ses secrets mais ce ne sont que les tous premiers résultats, les données vont continuer à arriver dans les mois qui viennent et de nouvelles surprises pourraient apparaître. Les scientifiques américains voient aujourd’hui dans le succès de la mission scientifique de New Horizons une motivation pour explorer toujours d’avantage notre système solaire. On ne peut que les encourager à imaginer la suite… 

Sources :

The geology of Pluto and Charon through the eyes of New Horizons
Jeffrey Moore et al.
Science  18 Mar 2016: Vol. 351, Issue 6279
http://dx.doi.org/10.1126/science.aad7055

The atmosphere of Pluto as observed by New Horizons
G. Randall Gladstone et al.
Science  18 Mar 2016: Vol. 351, Issue 6279
http://dx.doi.org.10.1126/science.aad8866

The small satellites of Pluto as observed by New Horizons
H. A. Weaver et al.
Science  18 Mar 2016: Vol. 351, Issue 6279
http://dx.doi.org/10.1126/science.aae0030

Pluto’s interaction with its space environment: Solar wind, energetic particles, and dust
F. Bagenal et al.
Science  18 Mar 2016: Vol. 351, Issue 6279

Surface compositions across Pluto and Charon
W. M. Grundy et al.
Science  18 Mar 2016: Vol. 351, Issue 6279



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