dimanche 13 mars 2016

Devenez chercheurs de rayons cosmiques avec votre smartphone

Ce qu'on appelle les rayons cosmiques sont des particules émises par des objets astrophysiques le plus souvent violents, comme des noyaux de galaxies actives, des pulsars, ou des résidus de supernovas. Des rayons cosmiques arrivent sur Terre constamment. Aujourd'hui, une équipe de recherche américaine propose à tous les possesseurs de smartphone de participer à leur détection grâce au capteur de leur appareil photo qui est sensible à leurs rayonnements secondaires.



Vue artistique de gerbes de rayons cosmiques ultra-énergétiques
(ASPERA/Novapix/L. Bret)
L'énergie des rayons cosmiques, qui sont constitués de photons énergétiques ainsi que d'électrons, de positrons, de protons et de petits noyaux d'atomes (jusqu'au fer), s'étale sur une très grande plage : depuis quelques MeV jusqu'au record de 3.1020 eV (300 milliards de GeV, ou 300 Etaelectronvolt), avec un pic à quelques GeV. Les rayons cosmiques de plus faible énergie sont estimés provenir de notre galaxie, tandis que les plus énergétiques devraient venir de très lointaines galaxies. Ils donnent aux astrophysiciens un autre messager que la lumière pour explorer l'Univers, notamment pour ce qui concerne les processus dits "non-thermiques" comme les phénomènes d’accélérations de particules impliquant des champs magnétiques ou électriques.

Lorsqu'ils atteignent la haute atmosphère terrestre, les rayons cosmiques produisent des réactions avec les atomes d'azote et d'oxygène de l'air. Ces réactions produisent de très nombreuses particules secondaires, qui forment ce qu'on appelle de grandes gerbes de particules chargées secondaires. Ces gerbes de particules peuvent se déployer sur plusieurs dizaines de kilomètres carré à partir d'une seule particule incidente au sommet de l'atmosphère. Comme la plupart des particules chargées secondaires légères ont une vitesse plus rapide que la vitesse de la lumière dans l'air, elle rayonnent de la lumière Cherenkov durant leur traversée de l'atmosphère qui peut être observée par des télescopes spécialisés (on peut citer les observatoires HESS ou Magic). Une variante utilise de l'eau comme milieu de détection de la lumière Cherenkov, en disposant des centaines de cuves instrumentées sur une très grande surfae au sol, comme les observatoire Pierre Auger en Argentine ou HAWC au Mexique. L'autre possibilité est bien sûr d'aller détecter directement les particules primaires dans l'espace avant qu'elles n'atteignent l'atmosphère, c'est ce que font par exemple les détecteurs AMS-02 sur l'ISS (électrons, positrons et particules chargées) ou le satellite Fermi (rayons gamma de haute énergie).


Image composite des pixels activés collectés
sur des téléphones exposés à un faisceau de
muons. Les traces rectilignes visibles
sont des muons traversant plusieurs pixels
(D. Whiteson et al.).
Les rayons cosmiques les plus intéressant sont sans nul doute ceux qui ont les énergies les plus énormes, au-dessus de 100 TeV (100 000 GeV). Mais ce sont aussi ceux qui sont les moins nombreux (le flux des rayons cosmiques est proportionnel à leur énergie avec une fonction de puissance, qui décroit très vite). 
Pour pallier cette difficulté, les astrophysiciens des particules ont deux choix possibles : attendre très longtemps avec un détecteur d'une surface donnée, ou bien augmenter énormément la surface de collecte de leurs détecteurs. Mais les plus vastes observatoires comme l'observatoire Pierre Auger dans la Pampa argentine, arrivent à leur limite en termes de surface occupée et coût associé. Des solutions innovantes doivent donc être recherchées.

L'équipe de physiciens menée par Daniel Whiteson de l'Université de Californie à Irvine a peut-être trouvé une telle solution. Ils publient une étude dans la revue Astroparticle Physics, qui montre que de simples smartphones de type Galaxy SIII ou iPhone6 grâce à leur capteur CMOS d'appareil photo, sont capables de détecter des rayons cosmiques secondaires (des muons et des rayons gamma), et pourraient tout à fait, grâce au nombre considérable d'utilisateurs répartis un peu partout sur tous les continents, de former ensemble un très grand détecteur de rayons cosmiques et permettre d'atteindre des performances de détection supérieures au meilleurs observatoires existants. Les chercheurs calculent qu'il faudrait que seulement 1% des possesseurs de smartphone participent à la collecte de données durant quelques heures par jour pour arriver à ces performances.
L'idée est d'utiliser l'appareil photo du téléphone. Les chercheurs ont testé plusieurs configurations et plusieurs modèles en les irradiant avec un faisceau de muons et des sources de rayons gamma, et montrent comment des pixels sont activés efficacement et permettent d'identifier le passage d'un muon ou d'un photon gamma.
Daniel Whiteson et son équipe ont conçu une application sur Android et iOS qui permettra à tous ceux qui souhaitent apporter leur petite contribution à la science de transformer le téléphone qui est dans leur poche en maillon de ce grand détecteur de rayons cosmiques mondial qui est désormais nommé CRAYFIS (Cosmic Ray Found in Smartphones).
Lorsqu'il sera inactif, le téléphone interrogera l'appareil photo à la recherche de pixels activés au delà d'un certain seuil par le passage d'un muon énergétique. Seules les données de ces quelques pixels seront enregistrées, avec la position du téléphone (localisation et altitude) et l'heure de l'événement. Ces données seront ensuite transmises vers un serveur centralisé dès que le smartphone se trouvera connecté en wi-fi.
Le grand nombre potentiel de smartphones disponibles compense la taille réduite du capteur CMOS de chaque unité. Un tel réseau pourrait permettre de bâtir un télescope géant surpassant les meilleurs observatoires Cherenkov, car pouvant explorer des énergies de rayons cosmiques plus élevées. 


Le projet CRAYFIS est intéressant non seulement par son côté innovant, mais aussi par la démarche qu'il propose, où tout un chacun a un rôle à jouer et participe à son niveau à une démarche de science citoyenne. La seule contrainte est peut-être celle d'accepter d'être géolocalisé, quant aux données transmises, elles ne concernent que quelques pixels...

Pour en savoir plus sur CRAYFIS et aider concrètement les chercheurs, rendez-vous ici : http://crayfis.io/about


Source : 

Searching for ultra-high energy cosmic rays with smartphones
Daniel Whiteson et al.
Astroparticle Physics Volume 79, June 2016, Pages 1–9

3 commentaires :

Flo a dit…

J'ai un Windows phone, je ne peux donc pas participer ? :'(

Il n'y a aucune manip' particulière à faire ? Je pourrais laisser un de mes vieux smartphones tourner avec l'appli connectée... ;)

Dr Eric Simon a dit…

Il semble que l'appli ne soit que pour Android et iOS effectivement, pas windows... Recycler vos vieux appareils est sympa aussi pour ça, mais bon faut tout de même les tenir chargés...

Bruno a dit…

Wow !
Ce serait un honneur pour mon S3 (qui ne me sert que de Smartphone de secours) de servir la science et ce projet
Je m'empresse de télécharger l'appli pour participer a cette idée "lumineuse"

Merci pour le partage et pour ce superbe Blog