mardi 8 mars 2016

L'Univers relativiste simulé pour la première fois

Des physiciens suisses de l'université de Genève viennent de rendre public un code de simulations numériques qui permet de simuler l'expansion de l'Univers directement à partir des équations de la Relativité Générale. Jusqu'alors, les codes de simulation étaient simplifiés en considérant des interactions newtoniennes. Cette nouveauté devrait permettre de comprendre en détail l'évolution de l'Univers, de la formation des grandes structures à son expansion accélérée par la mystérieuse énergie noire.



Les ondes gravitationnelles générées pendant la formation des
structures dans l’Univers. Les structures (distribution des masses)
sont indiquées comme points brillants, les ondes gravitationnelles par
des ellipses. La taille de l’ellipse est proportionnelle à l’amplitude
de l’onde et son orientation représente la polarisation (R. Durrer/UNIGE)
Ce code de calcul appelé Gevolution est fondé sur l'application exacte des équations d'Einstein, calculant la métrique de l'Univers à partir de son contenu en masse-énergie. Il intègre des mouvements de rotation de l'espace-temps ainsi que l'émission d'ondes gravitationnelles, ce qu'aucune simulation dynamique n'avait encore jamais pris en compte. L'équipe de Ruth Durrer du  Département de physique théorique de l'Université de Genève est publiée dans Nature Physics.

Le gros défaut des simulations d'Univers antérieures, outre le fait qu'elles étaient fondées sur la gravitation Newtonienne, était qu'elles étaient statiques, certes avec un résultat approximé correct pour des vitesses assez lentes (inférieures à 300 km/s), mais avec de grosses contraintes sur l'origine des champs gravitationnels forcément non relativiste. Elles devaient donc faire des hypothèses restrictives sur le secteur "sombre" (matière sombre et énergie sombre). Ici, avec Gevolution, toutes les composantes de matière et d'énergie peuvent prendre n'importe quelle valeur. L'Univers simulé évolue au cours du temps, l'espace-temps se trouve en expansion, dans lequel apparaissent des grandes structures cosmiques qui évoluent sous l'effet à la fois de l'expansion de l'espace-temps et des interactions gravitationnelles (courbure de l'espace-temps).

L’objectif initial des chercheurs était de pouvoir prédire l’amplitude et l’impact des ondes gravitationnelles, ainsi que ceux de la rotation de l'espace-temps (qu'on appelle aussi le frame-dragging) qui sont induits par la formation des grandes structures cosmologiques.
Les physiciens ont pour cela découpé l'équivalent d'une portion cubique d'Univers en 60 milliards de mailles contenant chacune une particule ayant une certaine masse (équivalent à une portion de galaxie), pour observer les mouvements d'ensemble obtenus.
Les chercheurs ont fait appel à un logiciel de calcul permettant de résoudre des équations partielles différentielles (en l'occurrence les équations d'Einstein) qu'ils ont appliqué sur chacune de leurs 60 milliards de mailles, le tout grâce au supercalculateur du Centre de Calcul de Lugano en Suisse.
Le code calcule les 6 degrés de liberté de la métrique relativiste et dérive la géodésique de l'espace-temps de manière dynamique.
Comme le frame-dragging et les ondes gravitationnelles n'avaient encore jamais été introduits dans une simulation, les résultats qu'obtiennent Durrer et ses collaborateurs leur permettent de confronter enfin l'expansion simulée avec l'expansion réelle telle qu'elle est observée.
Les premières simulations ont été effectuées dans le cadre d'un modèle cosmologique classique avec une constante cosmologique et de la matière noire "froide" (non relativiste, des WIMPs) et sans tenir compte des neutrinos. 

Elles donnent des résultats assez proches des simulations fondées sur la gravitation newtonienne, mais les chercheurs s'attendent à quelques nouveautés après avoir introduit un modèle d'énergie noire dynamique...
Ce type de confrontation simulation réaliste-observation en modifiant certains paramètres comme autant d'ingrédients dans la recette de l'Univers va permettre aux physiciens de tester la Relativité Générale à des échelles beaucoup plus vastes que ce que l'on savait faire jusqu'à aujourd'hui. L'approche des chercheurs suisses est très générale et ils indiquent qu'elle peut être appliquée à tous les cas où l'approximation newtonienne est défaillante ou imprécise comme la présence d'énergie noire dynamique, de matière noire "chaude" (relativiste) ou encore les explosions de supernovas par effondrement de cœur (SN de type II).
L'énergie noire encore si mal comprise pourrait bien dévoiler un coin de sa réalité grâce à des 0 et des 1.


Source :
General relativity and cosmic structure formation
J. Adamek et al.
Nature Physics (7 march 2016) 

4 commentaires :

JeFFF a dit…

bonjour,

j'ai une question de béotien. Si je lis votre article en creux, je comprends que jusque là toutes les simulations numériques à l'échelle de l'univers ne prenaient en compte qu'un modèle non-relativiste, y compris pour des études sur l'expansion, etc.

Mais alors qu'en est-il de tous les discours sur les matières & énergies noires, ces inconnues introduites pour caler les modèles actuels et les faire concorder avec les observations ?

Unknown a dit…

en plus il ont promis de mettre leur code "gevolution" à disposition. On va pouvoir simuler des univers à la maison bientôt ...

Dr Eric Simon a dit…

Et pour être complet, voici le lien vers le code en question : en accès libre ! https://github.com/gevolution-code/gevolution-1.0

Dr Eric Simon a dit…

@JeFFF : ce n'est pas parce que les simulations de la dynamique cosmique n'ont jusqu'alors pas pris en compte la RG qu'il faut jeter les concepts de matière noire et d'énergie noire. Il est trop tôt (pour ne pas dire plus) pour mettre en cause ce qui serait une trop grande approximation de la RG dans les modèles, mais sait-on jamais ?