lundi 16 avril 2018

Le pouvoir exceptionnel mais limité de l'Event Horizon Telescope


Trier les théories de gravitation grâce aux futures images de trou noir de l'Event Horizon Telescope (EHT) ? Des astrophysiciens montrent avec des simulations que ce sera très très difficile, voire impossible...




Alors que l'image tant attendue de Sgr A* que doit produire l'EHT  se fait (justement) attendre (aux dernières nouvelles officieuses, elle pourrait être rendue publique à l'automne 2018), des physiciens s'amusent encore à faire des simulations de ce à quoi devrait ressembler la silhouette du trou noir produite par le gaz qu'il est en train d'accréter et qui émettrait suffisamment d'ondes radio pour être imagé à haute résolution. Les astrophysiciens européens qui ont créé le projet BlackHoleCam (et qui participent également à la collaboration EHT) ont cherché pour leur part à simuler plusieurs types de trous noirs, pour voir si il y aurait suffisamment de différences dans les images pour que l'EHT puisse donner raison à l'une ou l'autre théorie de trou noir. On parle toujours de la Relativité Générale quand on parle de trous noirs, mais ce que l'on sait moins, c'est que des objets de type trou noir peuvent aussi exister dans le cadre d'une autre théorie de gravitation.
C'est la forme et la taille de l'ombre du trou noir qui peuvent donner un indice sur les propriétés du trou noir et sur la théorie de gravitation sous-jacente. 
Yosuke Mizuno (Institut für Theoretische Physik, Goethe Universität, Francfort) et ses collaborateurs ont comparé ce que donnerait un trou noir de Kerr, un trou noir en rotation respectant la Relativité Générale, et un trou noir exotique, de type "dilaton". Ils ont pour cela effectué des simulations de magnétohydrodynamique relativiste en utilisant des calculs de transferts radiatifs dans le cadre de la relativité générale pour produire des images de la silhouette du trou noir supermassif, c'est à dire de la distribution d'un disque d'accrétion magnétisé entourant un trou noir de Kerr, telles que l'EHT devrait les voir. Et ils ont refait les mêmes simulations en remplaçant les équations de la Relativité Générale par celles d'une théorie alternative produisant un trou noir de type "dilaton", que les chercheurs estiment être représentative des théories de gravitation très différentes de la pure Relativité Générale.
Ce type de trou noir alternatif correspond à une solution de la théorie de gravité dite de Einstein-Maxwell-dilaton-axion, où les équations de Einstein-Maxwell sont couplées à la fois aux champs scalaires du dilaton (le champ quantique associé à l'inflation primordiale) et de l'axion (le champ quantique hypothétique lié à la conservation de la symétrie CP dans l'interaction forte). Afin de produire un trou noir encore plus différent du trou noir de Kerr de la Relativité Générale, les chercheurs ont en plus considéré que leur trou noir exotique n'était pas en rotation, en faisant l'hypothèse que le champ de l'axion et la rotation du trou noir s'annulent mutuellement. 
Afin de simuler exactement ce qui serait visible par l'EHT, Mizuno  et ses collaborateurs ont intégré dans leurs simulations les paramètres exacts qui sont ceux du réseau de radiotélescopes formant l'Event Horizon Telescope au cours de cette semaine de début avril 2017 lorsque les prises de données ont été effectuées sur Sgr A* et M87*. Ils ont effectué leurs gros calculs pendant plusieurs mois sur le supercalculateur LOEWE de l'Institut für Theoretische Physik. En comparant les deux images obtenues, les astrophysiciens montrent qu'avec la résolution spatiale qui sera celle de l'EHT, il est quasi impossible de distinguer les deux silhouettes  : le trou noir Einsteinien  ressemble à s'y méprendre au trou noir "dilaton". 
Ils en concluent que le résultat de l'EHT, si exceptionnel qu'il sera, ne permettra pas de prouver que la Relativité Générale est correcte, même si personne n'en doute vraiment, mais sait-on jamais ? Des nouvelles techniques d'analyses des données de l'EHT ou d'autres interféromètres futurs devront être développées pour pouvoir trier parmi les théories de gravitation concurrentes.
Une des manières qui pourra permettre de tester la Relativité Générale au plus près de Sgr A*, outre l'observation très bientôt des effets de décalage spectral gravitationnel de l'étoile S0-2 qui est en train de s'approcher de son périastre (voir ici), serait de pouvoir mesurer la distorsion du temps grâce à un pulsar qui se trouverait suffisamment proche du trou noir. Un tel pulsar est aujourd'hui très activement recherché.
Heino Falcke (professeur à Radboud University) qui a proposé il y a 20 ans d'utiliser l'interférométrie radio pour imager la silhouette d'un trou noir reste optimiste : "Il y a peu de doutes que l'EHT va obtenir une évidence forte de la silhouette d'un trou noir supermassif. Ces résultats de simulation nous motivent pour améliorer encore nos techniques d'analyses et produire des images toujours plus détaillées dans le futur..."


Source 

The current ability to test theories of gravity with black hole shadows
Yosuke Mizuno, Ziri Younsi, Christian M. Fromm, Oliver Porth, Mariafelicia De Laurentis, Hector Olivares, Heino Falcke, Michael Kramer & Luciano Rezzolla
Nature Astronomy (16 april 2018)


Illustration

Image synthétique de la silouhette de Sgr A* telle qu'elle devrait être produite par l'EHT dans le cas d'un trou noir de Kerr (Relativité Générale) et d'un trou noir "dilaton" (théorie de gravitation alternative)

6 commentaires :

jean-paul a dit…

S'il n'y avait pas d'horizon du tout, l'EHT saurait-il le voir ?

Dr Eric Simon a dit…

A partir du moment où l'absence d'un horizon (où l'origine de cette absence) influe suffisamment sur la forme de la silhouette du trou noir, oui. Sinon non.

jean-paul a dit…

Je pense à une forme de potentiel qui serait telle que, vu de l'observateur lointain hors potentiel, "le temps" tendrait à s'arrêter (sans que les fréquence ne s'annulent tout à fait) non pas sur un horizon mais seulement au voisinage du centre du TN. Donc sans ergosphère.

Dr Eric Simon a dit…

Jean-Paul, il va falloir que vous étayiez la théorie avancez par des références bibliographiques scientifiques, parce que s'il s'agit juste d'une conviction personnelle sans réel fondement, cela n'a pas d'intérêt ici.

jean-paul a dit…

Ce n'est pas une conviction sans fondement rationnel, mais en effet ce n'est pas le lieu d'en discuter ici. Ce qui m’intéresse ici, c'est d'évaluer sa discrimination expérimentale. C'est de savoir si une théorie qui énoncerait cette hypothèse impliquerait des observations différentes du voisinage de SAG A* par l'EHT. Il est déjà certain que la mesure du ralentissement du temps au voisinage de l'horizon prévu par la RG serait différente.

Anonyme a dit…

L'horizon est une frontière invisible. Rien de particulier ne s'y passe de mesurable. Il faut pour cela comparer deux points de vue dans deux référentiels différents.

Or, un observateur éloigné du référentiel du trou noir ne voit jamais la matière franchir l'horizon de son vivant car le temps à son approche est très fortement distendu. D'ailleurs, au passage de l'horizon, les évènements sont sensés devenir du genre espace.