Voilà une découverte qui va dans le même sens que ce que je vous relatais hier ici même : quelque chose cloche dans la formation des planètes au sein des disques protoplanétaires. Cette nouvelle découverte, obtenue là encore avec ALMA, montre la présence de pas moins de quatre planètes gazeuses de type Jupiter et Saturne au sein du disque protoplanétaire d'une étoile qui n'a que 2 millions d'années seulement, une durée totalement insuffisante pour produire de telles planètes massives selon nos modèles de formation planétaire...
C'est la première fois qu'un système de planètes aussi massives est observé autour d'une étoile aussi jeune. Cette étoile, CI Tau, une étoile très semblable au Soleil en masse et luminosité, fait partie d'une nurserie stellaire, une nébuleuse en train de former de nombreuses étoiles. Ce nouveau système stellaire bat en plus un nouveau record : celui des planètes aux orbites les plus disparates : la planète la plus proche de l'étoile, une Jupiter chaude 11 fois plus massive que Jupiter, ne lui est distante que de 0,1 UA, alors que la plus éloignée, une planète semblable à Saturne, est distante de 100 UA, soit 3 fois plus éloignée que ne l'est Neptune du Soleil. Une telle dispersion pose en elle-même des questions aux spécialistes sur comment ce système a pu se former.
Mais c'est surtout le timing qui paraît incompréhensible pour les chercheurs. CI Tau, qui est située à 500 AL, n'a que 2 millions d'années, elle est entourée par un gros disque de gaz et de poussières. La première Jupiter chaude orbitant CI Tau avait été détectée en 2016, et avait déjà soulevé une certaine émotion. Comme la plupart des Jupiter chaudes, son existence a longtemps questionné les astronomes car elle ne ne devrait pas pouvoir se former là où elle se trouve, aussi près de son étoile.
Cathie Clarke (Cambridge’s Institute of Astronomy) et ses collaborateurs se sont donc intéressés à ce cas d'école intriguant pour voir s'il ne pourrait pas y avoir d'autres planètes en orbite à l'intérieur du disque protoplanétaire de CI Tau. Ils ont pour cela étudié l'émission infra-rouge du disque avec le réseau ALMA. Et ce que trouvent les astrophysiciens européens et américains, et qu'ils publient cette semaine dans The Astrophysical Journal Letters, c'est la présence de trois interstices dans le disque, situés à des rayons de 13 UA, 39 UA et 100 UA, qui signent la présence de trois nouvelles planètes massives selon leur modèle théorique.
Il faut se rappeler qu'environ 1% des étoiles abritent des Jupiter chaudes, mais que la plupart des Jupiters chaudes connues aujourd'hui sont âgées de plusieurs centaines de millions d'années, et se trouvent autour d'étoiles qui n'ont plus de disque de gaz et de poussière. Il est donc difficile à ce stade de savoir si l'architecture visible autour de CI Tau serait commune ou non.
Par ailleurs, les modèles de formation planétaire ont été construits afin de reproduire les types de planètes qui ont déjà été observées, il peut donc paraître normal que ces modèles ne parviennent pas à expliquer de nouvelles découvertes aux caractéristiques très différentes. Par exemple, les modèles actuels prédisent que des planètes de la masse de Saturne doivent se former en agglomérant tout d'abord un coeur solide puis en accumulant de grosses couches de gaz. Mais ces processus sont sensés prendre beaucoup de temps, surtout à grande distance de l'étoile. Les deux planètes les plus éloignées de CI Tau sont ainsi totalement impossibles à reproduire par les modèles de formation planétaire.
Le système de CI Tau va certainement être étudié encore plus en détails dans les mois et les années qui viennent, dans de nombreuses longueurs d'onde, pour mieux connaître les propriétés de ce disque protoplanétaire et de ses planètes. Mais ce qui se dessine, c'est qu'il faut peut-être revoir complètement nos idées de formation des planètes dans les disques protoplanétaires. J'ose une idée personnelle : et si certaines planètes étaient déjà formées depuis longtemps et erraient dans le milieu interstellaire au moment de la naissance de l'étoile, qui les aurait simplement attrapé gravitationnellement ? On a le droit de tout imaginer à partir de maintenant...
Source
High-resolution Millimeter Imaging of the CI Tau Protoplanetary Disk: A Massive Ensemble of Protoplanets from 0.1 to 100 au
C. J. Clarke et al.
The Astrophysical Journal Letters, Volume 866, Number 1
Illustrations
1) Vue artistique du système planétaire de CI Tau (Amanda Smith, Institute of Astronomy)
2) Image du disque de CI Tau par ALMA (Clarke et al.,/ALMA/ESO)
5 commentaires :
tres interessant merci
mais si je comprends bien les fameuses planètes n'ont pas été observées par une des techniques actuelles mais on a deduit leur position du fait de lacune dans le disque de poussieres entourant l'étoile ? il se pourrait qu'il n'y ait pas de planete dans ces lacunes.
Par contre c'est amusant, je pensais exactement comme toi pour la possibilité de capture gravitationnelle par des étoiles de planete deja existantes. Ce qui est plus probable dans une nurserie d'étoile ou les concentrations de gaz/poussiere sont suffisantes pour favoriser la formation d'étoile et de planetes isolées
Bonjour Eric,
Ce disque protoplanétaire aurait pu capturer des planètes errantes dans l'espace intersidéral.
Maintenant, si il y a des planètes errantes...
ne pourraient-elles pas constituer la masse manquante des galaxies?
non, pas du tout. Leur masse totale est ridiculement faible par rapport à la masse invisible...
2millions d'années au lieu de combien prévus par les modèles actuels?
pour former une telle planète, c'est plutôt 50 à 100 millions d'années qui sont nécessaires...
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