La gravitation quantique à boucle montre encore sa force en cette fin d'année. Un trio de physiciens spécialistes de cette théorie de gravitation quantique développée depuis une trentaine d'années vient de publier deux articles puissants démontrant comment peut se comporter l'intérieur d'un trou noir là où la Relativité Générale ne peut plus rien dire pour cause d'infinis. La Gravitation Quantique à Boucles (LQG en anglais) élimine naturellement toute singularité et transforme les trous noirs en trous blancs (sans jeu de mot).
C'est dans Physical Review Letters et Physical Review D que Abhay Ashtekar, (Penn State University), Javier Olmedo, et Parampreet Singh publient leurs développements théoriques. Abhay Ashtekar, co-inventeur de la gravitation quantique à boucles, et directeur de l'Institute for Gravitation and the Cosmos à Penn State convient que la Relativité Générale d'Einstein est la meilleure théorie de gravitation que nous ayons aujourd'hui, mais qu'elle possède des fortes limitations sous la forme notamment des singularités qui apparaissent soit dans les trous noirs soit à l'instant primordial du Big Bang. Einstein lui-même avait conscience de ces limites et savait qu'elles étaient dûes à la déconnexion de sa théorie avec la Mécanique Quantique.
C'est avant tout pour trouver un terrain commun aux deux théories majeures du XXème siècle que la théorie de la Gravitation Quantique à Boucles a été imaginée à partir des années 1980. Pour faire très court, la gravitation quantique à boucle repose sur une quantification de l'espace-temps : l'espace et le temps seraient composés de grains d'espace et de temps formant une sorte de réseau à très petite échelle (l'échelle de Planck). Le fait que l'espace-temps ne puisse pas être divisible à l'infini implique l'absence de singularité au coeur des trous noirs. Il existerait une densité limite au-delà de laquelle il ne peut plus y avoir de concentration.
La force de la gravitation quantique à boucles est qu'elle offre des outils mathématiques très développés qui permettent d'effectuer des calculs précis de ce qui peut se passer à partir du moment où la Relativité Générale ne peut plus rien dire, comme au-delà de l'horizon des événements d'un trou noir, vers son centre.
Ce que montrent Abhay Ashtekar, Javier Olmedo et Parampreet Singh dans leurs articles, c'est que la LQG prédit que l'espace-temps "survit" au trou noir et se poursuit en transformant un espace-temps inéluctablement attractif (un trou noir) en un espace-temps inéluctablement répulsif (un trou blanc). Un tel trou blanc serait l'image inversée dans le temps d'un trou noir. La transition de trou noir vers trou blanc est rendue possible d'après Ashtekar et ses collaborateurs grâce à la très forte distorsion de la géométrie de l'espace-temps induite par la relativité générale. La gravitation quantique à boucle se charge du reste, notamment de fournir l'explication du rebond.
Cela fait plusieurs années que les théoriciens appliquent la théorie quantique à boucles pour explorer l'évolution possible des trous noirs et ils convergent aujourd'hui vers une image de transition "black to white", de trou noir vers trou blanc. Ashtekar, Olmedo et Singh démontrent mathématiquement que la transition de contraction vers expansion au centre du trou noir est possible en gravitation quantique à boucles, elle aurait lieu dans une région qu'ils nomment "région de transition quantique", où les équations d'Einstein sont violées par les effets quantiques.
Lorsque le trou noir évolue au cours du temps, son horizon se rétrécit petit à petit (en fait très très lentement) par rayonnement de Hawking. Une fois que l'horizon aurait atteint la taille de Planck ou même plus tôt, il se passerait une transition quantique au niveau de l'horizon (un effet tunnel quantique), ce dernier devenant alors un horizon de trou blanc. Toute l'information qui a été séquestrée dans le trou noir se retrouve alors libérée, ce qui élimine au passage le célèbre paradoxe de l'information des trous noirs.
La configuration de transition entre trou noir et trou blanc, là et quand la densité est maximale et correspond à la densité de Planck, dans ce modèle théorique, est parfois appelée "étoile de Planck".
Le phénomène d'effondrement suivi d'un rebond peut durer à peine quelques microsecondes du point de vue d'un observateur qui serait à l'intérieur de l'horizon des événements, mais à cause de l'extrême distorsion de l'espace-temps que prédit la Relativité Générale au niveau de l'horizon et au-delà, cette durée peut s'étendre sur des milliards d'années pour un observateur distant. Cela pourrait expliquer pourquoi nous ne voyons aujourd'hui que des trous noirs et pas de trous blancs. Nous verrions des effondrements/rebonds gravitationnels en cours, mais en extrême ralenti.
Cette idée d'"étoile de Planck" et d'effondrement-rebond au ralenti avait pour le moment juste été conjecturé, notamment par Carlo Rovelli et Francesca Vidotto en transformant la Relativité Générale de manière ad hoc pour la rendre compatible avec la gravitation quantique à boucles. Mais là, Ashtekar, Olmedo et Singh viennent de mettre le processus en équations, à partir de la théorie quantique à boucles elle-même. Les trois physiciens se sont basés sur une approximation des équations de la LQG qu'ils avaient déjà utilisée pour résoudre le problème de la singularité du Big Bang il y a dix ans (pour trouver un Univers en rebond également, bien sûr).
Il faut préciser que les calculs de Ashtekar, Olmedo et Singh ne concernent ici que la phase de transition quantique expliquant le rebond, et pas l'effet tunnel au niveau de l'horizon des événements, qui est une partie de la théorie qui reste encore à développer.
Nous commençons à peine à comprendre la physique quantique des trous noirs, qui reste un domaine encore spéculatif tant que nous n'avons pas de données observationnelles appuyant la théorie. Le résultat de Ashtekar, Olmedo et Singh est important parce qu'il montre que si la Gravitation Quantique à Boucles est la bonne théorie pour marier Relativité Générale et Mécanique Quantique, les trous noirs ne doivent pas être des objets au destin infini mais doivent devenir des sources de rayonnement dans un futur lointain.
Cette avancée théorique va bien sûr au-delà de la problématique des trous noirs, elle concerne aussi le Big Bang et donc la nature quantique de notre espace et de notre temps.
Sources
Quantum Transfiguration of Kruskal Black Holes.
Abhay Ashtekar et al.
Phys. Rev. Lett 121 (24) 2018.
Abhay Ashtekar et al.
Quantum Extension of the Kruskal Spacetime.
Phys. Rev. D 98 (12 .) 2018
Illustrations
1) Vue d'artiste de l'évolution de l'espace temps d'un trou noir dans le cadre de la théorie de la gravitation quantique à boucles (A. Corichi and J. P. Ruiz)
2) Diagramme représentant l'évolution de l'espace-temps d'un trou noir vers un trou blanc via une phase de transition quantique (l'axe vertical représente le temps) (C. Rovelli/Aix-Marseille Université adapté par APS/Alan Stonebraker)
17 commentaires :
Bonjour,
Je suis assez séduit par cette théorie.
Pensez-vous que les trous blancs existeront dans notre espace-temps ou qu'ils "créent" d'autres espaces-temps ?
Pensez-vous que le big-bang peut-être vu comme un trou blanc ?
Merci.
Cordialement.
Hervé Weyant
Peut-être n'ai-je pas été assez clair, je pense le dire dans mon texte : ces trous blancs ne créent pas d'espace-temps, ils rayonnent toute l'énergie qui avait été emmagasiné dans le trou noir et cela dans notre espace-temps. Pour le Big Bang, ce serait un peu différent selon la LQG, mais le principe d'un rebond au niveau de la densité maximale est le même : un Univers (pré-Big Bang) se serait contracté puis aurait rebondi pour donner notre Univers en expansion.
A noter que d'autres théories prédisent que chaque trou noir de notre Univers crée un autre Univers à part entière, comme une sorte d'ébullition, avec l'apparition d'une multitude de bulles...
Bonjour,
Merci pour cet article si intéressant!
"Le phénomène d'effondrement suivi d'un rebond peut durer à peine quelques microsecondes du point de vue d'un observateur qui serait à l'intérieur de l'horizon des événements, mais à cause de l'extrême distorsion de l'espace-temps que prédit la Relativité Générale au niveau de l'horizon et au-delà, cette durée peut s'étendre sur des milliards d'années pour un observateur distant"
Pourquoi précisez-vous une durée de "milliards d'années" pour un observateur distant alors que la Relativité Générale prédit une distorsion infinie du temps?
Merci,
Cordialement,
Pascal M.
Parce que cette distorsion n'est justement pas infinie !
Votre réponse me surprend! Pour un observateur à l'infini (donc dans le cadre du trou noir, dès l'horizon), qu'elle serait d'après vous la durée qu'il aurait à patienter avant de pouvoir constater que l'horizon est bel et bien formé?
Bonjour et d'abord merci mettre à la portée de ceux qui ne possèdent pas le bagage mathématique requis tous ces papiers scientifiques.
S'agit-il là du résultat le plus probant produit par la LQG et si oui est-il ou sera t-il un jour testable par une observation ?
Ce n'est peut-être pas le résultat le plus probant de la LQG, mais c'est assurément un résultat important pour la théorie. Des preuves observationnelles correspondant à ces prédictions peuvent être recherchées dès aujourd'hui sous la forme de rayonnements "anormaux" (d'origine inconnue) qui seraient produits par des "trous blancs" de très petite masse (issus de micro-trous noirs), les seuls à même de pouvoir se "désintégrer" comme le décrit la théorie en moins de 13,8 milliards d'années, des micro-trous noirs qui se seraient formés dans l'Univers primordial donc. Disons qu'elle est difficilement testable mais il y a une possibilité.
@anonyme
Oui vous avez raison : du point de vue de l'observateur à l'infini du trou noir, rien ne se passe sur l'horizon. Rien n'évolue. Et pourtant le TN s'évapore selon Hawking, d'où l'évolution de l'horizon évolution en une durée finie, jusqu'à un rayon de la longueur de Planck. Je vous laisse juge du caractère réel ou apparent de ce paradoxe...qui disparaîtrait si l'horizon n'existait pas, et toute la physique spéculative des trous noirs géométriques avec lui. Peut-être êtes-vous mûr pour la critique de l'interprétation géométrique de la RG. Sinon, rendez-vous en 2019 avec les résultats de l'EHT.
@Jean-Paul
Oui le paradoxe n'existe pas, pas plus que les trous noirs hormis pour leurs éventuels habitants, purs objets mathématiques qui ne deviendraient physiques que si nous atteignons le futur infini.
Désolé mais dans l'article il est vain de rechercher dans notre univers ce rayonnement inconnu issu de trous blancs.
"les trous noirs ne doivent pas être des objets au destin infini mais doivent devenir des sources de rayonnement dans un futur lointain" est faux, simplement parce que "futur infini" ne peut pas etre traduit par "futur lointain" en passant des maths à la physique...
Pascal M
Pascal M, vous devriez méditer le diagramme d'espace-temps que je figure dans mon billet (et que j'ai emprunté à Carlo Rovelli).
Eric Simon,
Oui j'essaie, mais il n'en reste pas moins que le paradoxe temporel bloque sa transposition physique. Meme du point de vue interne au trou noir, le trou blanc (s'il pouvait etre autre chose que des maths) aurait "vidé" le trou noir dans un passé infini.
Si je comprends mal la RG il faudrait m'expliquer comment ma question pourrait obtenir comme réponse "cette durée peut s'étendre sur des milliards d'années pour un observateur distant", en parlant de l'hypothétique rebond de trou noir en trou blanc, forcément postérieur à la formation de l'horizon.
Merci,
Pascal
Bonjour Eric,
Je me posais une question:
Pendant que la masse du trou noir fasse son rebond dans son temps dilaté... dans notre temps il s'en passe des choses...
Et entre autres, des accrétions, des fusions avec d'autres t.n.
Est-ce que le trou noir en fait une soupe et re-dilate son temps en fonction de l'apport de masse;
ou bien la nouvelle masse rebondira séparément, en décalé?
...auquel cas ce qui sort du trou blanc devrait retomber aussi vite dedans?
je me suis aussi posé cette question des fusions de trous noirs pendant le rebond, je n'ai pas de réponse précise là-dessus, et j'ai personnellement un peu de mal à imaginer comment ça peut marcher (qu'est-ce qui se passe "à l'intérieur" au moment où les deux horizons fusionnent). Je ne pense pas que la nouvelle masse vive sa vie séparément, le nouveau trou noir est un et indivisible et il ne devrait y avoir au final qu'une seule zone d'espace-temps en rebond. Je dirais que les deux rebonds se rejoignent mais en même temps, comme le puits gravitationnel s'enfonce (l'horizon grossit), ça reviendrait à "ralentir" le rebond initial de chacun des 2 TN ? Mais bon, parler de ralentissement et d'accélération dans une région totalement contre-intuitive pour nous, c'est chaud, et je ne vais pas me risquer plus loin...
Bonjour,
J'ai du mal à saisir le rapport exact entre évaporation Hawking et désintégration d'une étoile de Planck ; vous écrivez, Eric, "...par rayonnement de Hawking. Une fois que l'horizon aurait atteint la taille de Planck ou même plus tôt, il se passerait une transition quantique au niveau de l'horizon (un effet tunnel quantique), ce dernier devenant alors un horizon de trou blanc" ; mais à la taille et densité de Planck, le TN a une masse de Planck (vers 10^-8 kg); pour arriver là à partir de sa masse initiale, il a mis un temps proportionnel au cube de celle-ci ; on parle ici de TN primordiaux, puisqu'on ne sait pas fabriquer de TN de moins de 2 masses solaires (et ceux-ci ou plus gros ne s'évaporent pas à la température actuelle du CMB) ; leur masse initiale est donc de 10^12 kg. Sauf que selon la LQG le temps de désintégration est bien plus petit que 10^10 ans pour cette masse (car proportionnel au carré de la masse); autrement dit une étoile de Planck primordiale de 10^23 kg sensée se désintégrer de nos jours selon la LQG n'a pratiquement pas commencé à avoir un rayonnement Hawking (il faut pour cela que m soit inférieure à 4.5 * 10^22 kg)et a gardé au moins cette masse. Naturellement tous ces temps sont pour un observateur extérieur au TN. Cf votre post du 5/03/17 et Wikipedia. Je note aussi que dans le diagramme de Penrose présenté, la taille du TN est constante et la même que celle du trou blanc...
En tout cas, même sans la LQG on considère généralement le rayonnement Hawking comme le fossoyeur des TN (à très long terme...) qui ne seraient donc pas éternels.
Signalons aussi que la connexion d'un TN avec un TB n'est pas le propre de la LQG, loin de là ; la RG "brute" la prévoit aussi avec certes quelques différences, dans le cas du TN de Kerr, le seul physiquement réaliste !
Pascal Lau.(je laisse à l'autre Pascal la responsabilité de ses commentaires)
En lisant ca, je me pose la question de ce qu'est vraiment notre univers observable... Sommes nous juste un monde très jeune issu du rebond d'un trou noir ultramassif.
Ca fait aussi vriller d'imaginer ce qu'il se passe tout autour de ce type de TN le "temps" relatif d'un rebond instantané.
Même si la théorie traite d'un événement peu intuitif, c'est séduisant, non, enivrant.
Merci de nous faire partager tout ceci.
Encore moi...
La théorie indique t-elle l'état de la matière qui serait produite ? Fonction de la masse ? Assisterai-t'on à la même évolution que ce qu'on theorise sur les premières phases de constitution de la matière après le T0? (cela recouvre peut être l'aspect de l'effet tunnel de l'horizon des évènements dont vous parlez et qui reste à explorer ?)
Si notre bigbang est similaire à ce fonctionnement, il y a donc eu émission de rayonnement hawking avant le rebond ?
@Julien : ce qui sortirait du "trou banc" serait principalement des photons, qui pourraient se matérialiser en paires de particules/antiparticules en fonction de leur énergie.
Le fait que le Big Bang puisse être considéré comme un Big Bounce en gravitation quantique à boucles ne veut pas forcément dire que l'Univers est un trou noir, si les mécanismes sont similaires, les objets peuvent être différents. Le rayonnement de Hawking s'applique aux trous noirs, mais est complètement négligeable aux masses de trous noirs que nous connaissons et d'autant plus négligeable que la masse est importante.
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