30/01/19

La Constante Cosmologique ne serait pas... constante dans le temps


Une toute nouvelle détermination de la distance de quasars très lointains par une méthode innovante vient d'être publiée. Ces mesures des émissions de quasars à la fois en rayons X et en UV indiquent que le taux d'expansion de l'Univers à une époque aussi reculée que 1 milliard d'années seulement après le Big Bang est différent de ce à quoi on s'attendait, suggérant que la densité de l'énergie sombre augmente dans le temps, de quoi bouleverser le modèle standard 𝛬CDM...




Le modèle 𝛬CDM reproduit les principales observations cosmologiques en faisant l'hypothèse de la validité de la Relativité Générale à toutes les échelles et à toutes les époques, ainsi que la présence de matière noire froide et d'une constante cosmologique équivalente à une énergie sombre ayant une densité constante dans l'espace et le temps. Cependant, ce modèle standard n'avait encore jamais été testé dans l'époque cosmologique séparant le fond diffus cosmologique (le CMB) et les plus lointaines supernovas observées, situées environ 5 milliards d'années après le CMB. C'est désormais chose faite grâce à des observations de près de 1600 quasars, ces noyaux actifs de galaxies énergisés par des trous noirs supermassifs en train de grossir à grande vitesse.
Guido Risaliti (Università di Firenze) et Elisabeta Lusso (Durham University) ont exploité une toute nouvelle méthode qui consiste à observer ces quasars dans deux longueurs d'ondes : en rayons X, grâce aux télescopes spatiaux Chandra et XMM-Newton et dans l'UV avec le Sloan Digital Sky Survey (SDSS). Or, les chercheurs savent qu'il existe une corrélation entre la luminosité des quasars en rayons X et leur luminosité en UV car de nombreux photons X sont générés par la diffusion Compton inverse d'électrons énergétiques sur des photons UV (les électrons transfèrent une grande partie de leur énergie cinétique aux photons). Et comme la quantité d'électrons énergétiques susceptibles de produire ce changement d'énergie des photons UV en photons X est, elle, étroitement liée à la luminosité totale du quasar, il existe donc une proportionnalité entre la luminosité totale intrinsèque du quasar et la corrélation observable entre rayons X et UV.
C'est le coeur de la méthode élaborée par Guido Risaliti et Elisabeta Lusso. On peut  donc connaître la luminosité totale d'un quasar en mesurant le rapport entre rayons X et UV. Connaissant la luminosité totale intrinsèque d'un quasar, on en déduit sa distance via sa luminosité observée sur Terre. Le décalage vers le rouge (redshift) du quasar fournit quand à lui la vitesse de récession. Il ne reste plus qu'à tracer la distance (ou le module de distance, qui est différence de magnitude, soit une valeur proportionnelle au logarithme de la distance) en fonction de la vitesse de récession (ou du redshift) pour obtenir ce que les astrophysiciens appellent le diagramme de Hubble. Ce diagramme de Hubble est une courbe croissante non linéaire en fonction du redshift, dont la forme dépend des paramètres cosmologiques du modèle, notamment de la valeur de H0 (le taux d'expansion au redshift z=0., c'est à dire ici/maintenant) et de la constante 𝛬.

Dans leur article publié avant-hier dans Nature Astronomy, Risaliti et Lusso montrent ainsi que les quasars peuvent être utilisés comme des chandelles standard à la manière des supernovas Ia pour construire le diagramme de Hubble, mais à des distances beaucoup plus éloignées que les supernovas les plus lointaines qui sont observables aujourd'hui. Pour valider leur méthode, les chercheurs italiens ont utilisé de très nombreux quasars, dont une grande partie située à des distances relativement faibles où des mesures de distances de supernovas étaient aussi disponibles. 
Les résultats obtenus avec les supernovas et avec les quasars sont tout à fait similaires. Les astrophysiciens sont donc confiants sur leurs résultats obtenus plus loin, là où il n'y a plus de supernovas observées. Et ils descendent très loin dans les tréfonds de l'espace-temps, jusqu'à environ 1 milliard d'années après le Big Bang (un redshift de 5,5). 
Oui, mais voilà. Le modèle standard, lorsqu'il est fondé sur des mesures "locales" de supernovas, prédit une certaine forme de la courbe du diagramme de Hubble, mais les données obtenues avec les quasars ne collent pas avec ces prédictions... Cet écart possède une signifiance statistique de 4 sigmas, ce qui signifie qu'il est très improbable qu'il s'agisse d'un simple hasard. En gros, les chercheurs mesurent bien une accélération de l'expansion cosmique mais cette accélération semble elle-même augmenter avec le temps...

Risaliti et Lusso évoquent la nécessité de revoir le modèle 𝛬CDM pour réconcilier la théorie et les observations. Une solution possible selon eux serait que la constante cosmologique ne soit pas... constante dans le temps. La densité d'énergie sombre devrait en effet augmenter avec l'expansion cosmique pour satisfaire l'évolution du taux d'expansion qui est observé. Ce qu'on appelle "énergie sombre" ne serait donc pas dans ce cas la constante 𝛬 apparaissant dans les équations de la Relativité Générale (qui par définition doit être constante), mais autre chose...
Ce serait une révolution, et ce qui apparaît en outre fort intéressant dans cette idée c'est qu'elle pourrait aussi expliquer l'écart toujours totalement incompris entre la mesure de la constante de Hubble H0 (le taux d'expansion actuel) obtenue "localement" à partir des céphéides et des supernovas et celle déduite du CMB.
L'introduction d'une énergie sombre ayant une densité qui augmente résoudrait à la fois ce déjà vieux problème de H0 et ce nouvel écart qui vient d'être mis en évidence... Mais les auteurs précisent néanmoins que d'autres modèles pourraient aussi être trouvés et expliquer les écarts observés. Les théoriciens sont appelés à contribuer.

Le lancement du télescope Euclid, qui doit faire la lumière sur l'énergie sombre à partir de 2022 va se faire vraiment attendre. Les nouvelles chandelles standard que sont désormais les quasars à rayonnement X énergétique seront à coup sûr exploitées à fond d'ici là.


Source

Cosmological constraints from the Hubble diagram of quasars at high redshifts
Guido Risaliti & E. Lusso 
Nature Astronomy (28 janvier 2019)


Illustrations

1) Vue d'artiste d'un quasar ( Robin Dienel, Carnegie Institution for Science)

2) Le diagramme de Hubble construit à partir de ces données (Risaliti & E. Lusso, Nature Astronomy)

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