12/01/19

L'hypothèse de la supernova se renforce pour le phénomène AT2018cow


Le 16 juin dernier, le télescope hawaïen ATLAS (Asteroid Terrestrial-impact Last Alert System) détectait un phénomène transitoire très atypique, qui ressemblait à une supernova, mais  extrêmement lumineuse, dans une galaxie située à 200 millions d'années-lumière : AT2018cow, avec une luminosité 10 à 100 fois plus élevée qu'une supernova classique. Les astronomes ont suivi l'évolution du phénomène durant les 100 jours qui ont suivi et viennent de trouver une source de rayons X au cœur du résidu, conduisant vers sa nature...




AT2018cow, que les astronomes ont très vite surnommé 'The Cow', avait tout de suite été classée parmi les événements très anormaux : en à peine 2 jours, sa luminosité intrinsèque dépassait déjà la luminosité de la supernova la plus brillante jamais observée.
Elle est apparue dans le bras spiral de la galaxie nommée CGCG 137-068. Outre sa luminosité hors du commun, des mesures spectroscopiques ont très vite montré des particularités étonnantes : un mouvement de matière à une vitesse de 10% de la vitesse de la lumière et surtout la présence d'hydrogène et d'hélium alors que l'on s'attendrait à voir des traces d'éléments lourds et radioactifs dans le cas d'une supernova. L'évolution de la température de l'éjecta était aussi anormale : le résidu restait chaud alors qu'un résidu de supernova se refroidit assez vite. 
Un débat s'est donc ouvert dans la communauté de l'astrophysique au sujet de la véritable nature du phénomène : explosion d'une supernova très bizarre ou bien destruction d'une étoile par un trou noir massif ? Si c'était une destruction d'étoile, d'après les caractéristiques observées, il devrait forcément s'agir d'une naine blanche à hélium et d'un trou noir de masse intermédiaire (au minimum 100 000 masses solaires), ce qui semblait très improbable, surtout dans un bras spiral de galaxie, à moins que les deux astres ne se trouvaient dans un amas globulaire ou dans une petite galaxie satellite en avant plan ou en arrière plan du bras spiral déterminé comme origine...
L'hypothèse d'une explosion cataclysmique atypique était privilégiée par une partie des spécialistes depuis des observations effectuées en ondes millimétriques (radio) montrant une augmentation du signal puis une stagnation pendant plusieurs semaines avant de décroître, laissant penser à l'apparition d'une onde de choc dans un nuage dense de gaz et de poussière, qui aurait pu être produite par un objet compact (trou noir ou étoile à neutrons). Une telle observation est incompatible avec l'hypothèse d'un trou noir de masse intermédiaire détruisant une étoile naine blanche.

Raffaella Margutti (Northwestern University) et ses collaborateurs ont monté une équipe pour étudier de près le phénomène et pour tenter de comprendre de quoi il s'agissait réellement. Le résultat de leur étude est publié cette semaine dans The Astrophysical Journal. Ils y présentent leurs observations de AT2018cow couvrant tout le spectre électromagnétique, des ondes radios jusqu'aux rayons gamma. Ils ont pour cela utilisé de nombreux télescopes terrestres et spatiaux. Pour la partie à haute énergie, la plus utile pour rechercher la présence d'un résidu compact fruit d'une supernova (étoile à neutrons ou trou noir), les astrophysiciens ont utilisé les télescopes spatiaux européens Integral et XMM-Newton ainsi que les américains NuSTAR et Swift.
Des observations répétées sur plusieurs mois leur ont permis de débusquer ce qui semble être une source de rayons X située au cœur de l'explosion. 

Le télescope Integral a pu suivre AT2018cow  seulement 5 jours après sa détection et l'a ensuite suivi pendant 17 jours. Les données enregistrées ont été cruciales pour modéliser et comprendre ce qui s'est passé. C'est notamment grâce à ces données que les chercheurs ont pu observer une augmentation significative du flux de rayons X dans la partie haute du spectre en énergie : une bosse large qu'on appelle "bosse Compton", associée généralement à des rayons X réfléchis sur une matière dense.

Margutti et ses collègues interprètent cette bosse dans le spectre qui montre une brutale coupure, comme une composante additionnelle qui serait provoquée par la traversée d'un milieu épais et opaque par le rayonnement X primaire : un plasma chaud et dense entourant la source. 
Le flux de ces rayons X à haute énergie a même pu être vu en train de décroître durant la période d’observation de Integral, alors que les rayons X de plus basse énergie, qui ont été surtout observés grâce à XMM-Newton, eux, ne montraient pas d'évolution temporelle similaire. Raffaella Margutti et ses collègues en déduisent que les rayons X de plus haute énergie étaient un rayonnement "reprocessé" : le résultat de l'interaction du rayonnement primaire avec la matière elle-même éjectée par l'explosion. Plus cette matière s'éloigne du lieu de l'explosion, plus elle se dilue et moins ce signal est intense, jusqu'à disparaître tout à fait. 
Mais cela en est autrement des rayons X de plus basse énergie qui continuent eux à être observables encore aujourd'hui plusieurs mois après le cataclysme. Ces photons X ne viennent pas du plasma en expansion, mais directement de la zone centrale de l'explosion. C'est XMM-Newton qui a détecté le premier les rayons X de basse énergie, avec deux campagnes d'observation dans les 100 premiers jours. 
Pour les chercheurs, ces signaux X à haute et à plus basse énergie sont des signes évidents, ils estiment ainsi qu'ils viennent d'assister à la naissance d'une étoile à neutron ou d'un trou noir. Mais ils ne peuvent pas encore déterminer la nature exacte de l'engin qui est en train d'accréter du gaz en l'échauffant par friction. Les données en rayons X ont l'avantage d'être cohérentes avec les observations en ondes millimétriques.

Pour déterminer maintenant la nature exacte du résidu de cette supernova hyperlumineuse, un suivi resserré est déjà en route avec XMM-Newton afin d'observer sur une longue durée l'évolution du flux de rayons X de basse énergie, ce qui devrait théoriquement permettre de savoir si il s'agit d'un trou noir ou non et d'en connaître certaines de ses caractéristiques.

Source

An embedded X-ray source shines through the aspherical AT2018cow: revealing the inner workings of the most luminous fast-evolving optical transients
Raffaella Margutti et al.
accepté pour publication dans The Astrophysical Journal


Illustrations

1) La galaxie CGCG 137068 et l'événement transitoire AT2018cow imagée le 17 août 2018 avec le télescope Keck (R. Margutti/W. M. Keck Observatory)

2) Evolution du flus de rayons X en fonction de l'énergie à différentes périodes après l'explosion (R. Margutti et al.)

3) Vue d'artiste de ce à quoi pourrait ressembler AT2018cow (NASA, ESA, G. Bacon (STScI))

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