20/01/19

Un troisième trou noir de grande masse trouvé vers le centre de notre galaxie


Outre le trou noir supermassif Sgr A* situé exactement au centre de notre galaxie, on estime dans notre galaxie le nombre de tous noirs de masse stellaire à environ 100 millions, voire plus (environ 60 d'entre eux ont été détectés à ce jour). Récemment, en 2016 et 2017, deux observations avaient été reportées suggérant cette fois la présence vers la zone centrale de notre galaxie de très gros trous noirs, de plus de 10 000 masses solaires, des trous noirs dits de masse intermédiaire. Aujourd'hui, un troisième candidat est annoncé, avec une masse de 32 000 masses solaires, qui serait situé à seulement 23 années-lumière du supermassif Sgr A*. 




Il est extrêmement difficile de mettre en évidence la présence d'un trou noir qui n'est pas en train d'accréter du gaz et donc d'induire un rayonnement significatif. La méthode qu'ont utilisée les astrophysiciens japonais menés par Shunya Takekawa (National Astronomical Observatory of Japan) repose sur l'observation de mouvements anormaux de nuages de gaz moléculaire. Ils ont pour cela eu recours à l'outil qui permet de mesurer très précisément des raies spectrales d'émission du gaz moléculaire et avec une très grande résolution spatiale, j'ai nommé le réseau radioastronomique ALMA (Atacama Large Millimeter/Sumillimeter Array). 
L'équipe japonaise de Takekawa avait été la première à déduire la présence d'un trou noir de masse intermédiaire dans notre galaxie en 2016. Ils s'étaient intéressés à un nuage de gaz de la catégorie des nuages denses à haute vitesse (HVCC, High Velocity Compact Clouds) nommé HVCC CO -0.40 -0.22, un nuage qui fait seulement 5 pc de diamètre (16 années-lumière) et se situe à environ 60 pc du centre galactique (196 années-lumière). Les astrophysiciens japonais avaient fait des observations en 2015-2016 avec le radiotélescope japonais NRO puis avec le réseau ASTE (Atacama Submillimeter Telescope Experiment). Après avoir évalué de multiples origines possibles au comportement cinématique étrange de CO–0.40–0.22, mais qui se sont toutes révélées inadéquates, les astrophysiciens japonais ont pensé à l’effet gravitationnel d’un objet compact proche du nuage (voir ici). 
Ils avaient ensuite poursuivi leurs investigations en 2017 avec ALMA sur cet étrange nuage de gaz pour imager les émissions caractéristiques de deux molécules, le HCN et le CO. Ils étaient parvenus à l'époque à détecter une source quasi-ponctuelle située au centre du nuage CO-0.40-0.22, qu'ils ont appelé donc logiquement CO-0.40-0.22*, une source radio à spectre à large bande qui montre une luminosité seulement 500 fois plus faible que celle du trou noir supermassif Sgr A*. En plus de cette source ponctuelle, les astrophysiciens japonais avaient également observé une zone de gaz plus dense au centre de CO-0.40-0.22. Des simulations numériques considérant la présence d'un objet compact d'environ 100 000 masses solaires permettaient de retrouver exactement les mouvements du gaz dense qui sont observés (voir ici).

Le deuxième candidat trou noir de masse intermédiaire avait été proposé en 2017 également, par une autre équipe japonaise et toujours grâce à des observations avec ALMA. Cette fois, il s'agissait d'une source infra-rouge anormale nommée IRS13E, dont l'origine pouvait correspondre à un trou noir de 10 000 masses solaires, une déduction effectuée à partir des très grandes vitesses de gaz ionisé qui étaient observées. 

C'est sans surprise que pour cette nouvelle étude Shunya Takekawa et son équipe ont à nouveau utilisé ALMA pour étudier un nouveau nuage de gaz moléculaire dense à grande vitesse proche de la région centrale de notre galaxie. Ce nuage s'appelle HCN–0.009–0.044. Il a la particularité par rapport aux deux premiers candidats, de se trouver beaucoup plus près de Sgr A*, à seulement 7 parsecs, soit à 23 années-lumière, et d'être encore plus compact (1 pc). Ce nuage avait été découvert en 2017 avec le radiotélescope James Clerk Maxwell Telescope (JCMT). Les observations à haute résolution effectuées avec ALMA que Takekawa et ses collègues rapportent aujourd'hui dans The Astrophysical Journal montrent l'existence de véritables courants de gaz à haute vitesse dans ce nuage, des mouvements orbitaux autour d'une source gravitationnelle invisible, dont ils peuvent estimer la masse à 32 000 ± 6 000 M⊙.
En fait, la morphologie et la cinématique de ces deux courants de gaz peuvent être bien reproduits par deux orbites elliptiques képleriennes différentes qui ont toutes les deux un foyer unique correspondant à un point massif invisible.
La compacité, la cinématique et l'absence de contrepartie stellaire lumineuse peuvent être expliquées, selon les chercheurs japonais, par le "plongeon" d'un objet compact invisible dans le nuage de gaz moléculaire. Ils pensent naturellement à un trou noir inactif et isolé. Leur déduction est d'ailleurs renforcée par la détection de gaz ionisé au niveau de la zone interne du nuage de gaz en mouvement, indiquant une dissociation et/ou une photo-ionisation induite par un rayonnement de haute énergie qui serait issu du voisinage très proche du trou noir.
L'origine de ces trous noirs de plus de 10 000 masses solaires peuplant la région centrale de notre galaxie pourrait être la fusion de petites galaxies ou la dislocation d'amas globulaires par la Voie Lactée, amas globulaires et galaxies naines dont on sait qu'ils peuvent abriter dans leur centre des trous noirs de masse intermédiaire de plusieurs dizaines de milliers de masses solaires.
L'étude des nuages denses à haute vitesse se révèle être un outil très efficace pour débusquer ces gros trous noirs dormants qui pourraient exister en abondance dans notre galaxie, en attendant de fusionner un jour avec Sgr A*.


Source 

Indication of Another Intermediate-mass Black Hole in the Galactic Center
Shunya Takekawa, Tomoharu Oka, Yuhei Iwata, Shiho Tsujimoto, and Mariko Nomura
The Astrophysical Journal Letters, Volume 871, Number 1 (17 January  2019)


Illustrations

1) Données obtenues avec ALMA sur HCN–0.009–0.044 (Takekawa et al.)

2) Quelques antennes du réseau ALMA sous le ciel austral (ESO/C.Malin)

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