Il existe des choses bizarres dans le centre galactique... Parmi elles, il y a ce que les astrophysiciens ont appelé des "filaments radio" : des zones d'émissions radio qui ont une forme très très particulière ressemblant à de longs fils très fins de plusieurs dizaines d'années-lumière de longueur. Aujourd'hui, deux théoriciens russes proposent une explication pour l'apparition de ces filaments, qui seraient liés aux particules émises par des pulsars et des effets magnétiques complexes. Une étude publiée dans les Monthly Notices of the Royal Astronomical Society Letters.
Outre leur morphologie très étonnante, les nombreux filaments radio du centre galactique montrent pour la plupart une partie centrale très brillante, sans qu'aucune source ne soit distinguable. Mais certains d'entre eux sont clairement associés à un résidu de supernova. D'autre part, il a été montré à la fin des années 1980 que la plupart des filaments sont orientés orthogonalement au plan galactique (à 20° près). Et à la fin des années 1990, il a été montré grâce à des mesures de polarisation de la lumière que des champs magnétiques se propagent le long des filaments.
Ces filaments radio sont donc connus depuis longtemps et de mieux en mieux caractérisés et la meilleure explication qui est proposée aujourd'hui est l'apparition de tubes de flux magnétiques peuplés par des particules très relativistes. Une variante, qui est celle préférée par les deux astrophysiciens russes Maxim Barkov et Maxim Lyutikov (Purdue University) est que ces tubes de flux magnétiques seraient comme "illuminés" par l'injection locale de particules relativistes. Mais dans les deux cas, une question se pose : d'où viennent les particules chargées très énergétiques qui seraient à l'origine de ces filaments ?
C'est pour répondre à cette question que les deux Maxim ont élaboré un modèle prenant pour exemple ce qui se passe autour de nébuleuses de vent de pulsar comme les objets nommés la Guitare et le Phare (entourant deux pulsars très véloces) qui possèdent justement des structures longilignes semblables qui ont été étudiées de près au début des années 2000.
Des simulations de magnétohydrodynamique relativiste sur ces objets avaient permis de conclure il y a quelques mois que ces structures longilignes sur la Guitare et le Phare ne pouvaient pas avoir une origine hydrodynamique (un mouvement de gaz) mais qu'au contraire, elles devaient diffuser des particules qui s'échappent dans le milieu interstellaire à cause de reconnexions entre les champs magnétiques respectifs de la nébuleuse de vent de pulsar et du milieu interstellaire.
Barkov et Lyutikov ont donc modélisé un champ magnétique qui s'est accumulé dans le disque de gaz tandis que les vents du disque étirent les lignes de champ dans la direction verticale. Or on sait qu'un grand nombre de pulsars millisecondes orbitent à grande vitesse dans la région centrale de la Galaxie. L'interaction de ces pulsars millisecondes avec le plasma qui les entoure créé des nébuleuses de vent de pulsar associées à des ondes de choc, mais qui ont des tailles trop petites pour être résolues à l'observation (une fraction de seconde d'arc).
Le champ magnétique externe (celui du milieu interstellaire) enveloppe alors la nébuleuse de vent de pulsar, d'après les chercheurs, créant une fine couche de champ magnétique de "quasi-équirépartition" au niveau de la discontinuité du contact. Il s'en suit que cette discontinuité magnétique de contact devient ce que les chercheurs appellent une "discontinuité rotationnelle", avec des champs magnétiques de même intensité des deux côtés. Et ce sont ces types de discontinuités qui sont le plus sensibles aux reconnexions magnétiques.
L'efficacité d'une reconnexion magnétique dépendra de l'orientation relative des champs magnétiques de la nébuleuse de vent de pulsar et du milieu interstellaire. Elle est maximum quand ces champs interne et externes sont contre-alignés. Lorsqu'une telle reconnexion magnétique a lieu, c'est un véritable trou qui apparaît dans la nébuleuse de vent de pulsar, et des particules chargées fortement accélérées par la dernière ondes de choc peuvent alors s'y engouffrer et s'échapper dans le milieu interstellaire.
Ces jets de particules s'échappant de nébuleuses de vent de pulsar confinées et sous pression magnétique formeraient alors les filaments qui sont observés d'après Maxim Barkov et Maxim Lyutikov. Ces filaments radio seraient même un bon traceur de la population de pulsars millisecondes qu'on ne parvient pas à voir directement. Le mécanisme proposé par les théoriciens russes pourrait expliquer par ailleurs l'excès de rayons gamma qui est observé depuis plusieurs années en provenance de la même région de la galaxie. Les particules des nébuleuses de vent de pulsar produiraient des rayons gamma par diffusion Compton inverse (des diffusions élastiques d'électrons énergétiques sur des photons peu énergétiques).
Les astrophysiciens théoriciens russes concluent leur étude en montrant que si leur modèle est correct, il doit être possible d'observer des variations dans le temps des filaments les plus grands, à l'échelle de la dizaine d'années. Et des variations plus petites pourraient même être vues sur des échelles temporelles plus courtes. Les observateurs vont maintenant retrouver de nouvelles raisons de se repencher sur ces structures filamenteuses étonnantes et presque étranges qui égayent le centre galactique en ondes radio...
Source
On the nature of radio filaments near the Galactic Centre
Maxim V Barkov, Maxim Lyutikov
Monthly Notices of the Royal Astronomical Society: Letters, Volume 489 (October 2019)
Illustrations
1) Image du centre galactique en ondes radio par le radiotélescope sud-africain MeerKAT, les filaments sont nettement visibles (SARAO)
2) Le réseau de radiotélescopes MeerKAT (SARAO)
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