Une équipe de chercheurs de l'université de Christchurch en Nouvelle-Zélande vient de publier un article dans les Monthly Notices of the Royal Astronomical Society Letters, dans lequel ils montrent grâce à des observations de supernovas, que l'accélération de l'expansion cosmique que l'on en déduit n'est pas uniforme et isotrope, de quoi tout remettre en question...
On le sait, le modèle cosmologique standard ΛCDM est confronté à de sérieux défis à la lumière des résultats récents du Dark Energy Survey et pourrait devoir être reconsidéré à un niveau fondamental. Antonia Seifert (Université de Canterbury, Christchurch) et ses collaborateurs ont effectué une analyse statistique améliorée des courbes de lumière et des données spectroscopiques des supernovas de type Ia du grand relevé Pantheon+, une analyse indépendante du modèle cosmologique standard. L'équipe de Christchurch a travaillé en étroite collaboration avec l'équipe de la collaboration Pantheon+ qui avait minutieusement produit un catalogue de 1 535 supernovas distinctes.
Les astrophysiciens améliorent une méthodologie standard qui avait été adoptée par Lane et al. en 2024 pour tenter de comparer ce que prédit le modèle ΛCDM et ce que prédit un autre modèle cosmologique qui est appelé le modèle du "paysage temporel" et qui prend en compte la rétro-action des inhomogénéités gravitationnelles, un modèle qui a été proposé par David Wiltshire, tout d'abord le 22 octobre 2007 dans l'obscur New Journal of Physics puis le 20 décembre 2007 dans la prestigieuse Physical Review Letters. Le modèle du paysage temporel, bien que statistiquement homogène et isotrope, s'écarte de l'évolution moyenne du modèle cosmologique standard et remplace l'énergie sombre par l'énergie gravitationnelle cinétique et ses gradients.
Le modèle de « paysage temporel » n'a pas besoin d'énergie noire parce que les différences d'étirement de la lumière des supernovas qui sont observées ne seraient dans ce cas pas le résultat d'un Univers en expansion accélérée mais plutôt une conséquence de la façon dont nous calibrons le temps et la distance. Il prend en compte que la gravité ralentit le temps, donc qu'une horloge idéale dans l'espace vide tourne plus vite qu'à l'intérieur d'une galaxie. Le modèle suggère par exemple qu'une horloge située dans la Voie Lactée serait environ 35 % plus lente que la même horloge située à une position moyenne dans de grands vides cosmiques, ce qui signifie que des milliards d'années supplémentaires se seraient écoulés dans les vides, relativement à nous, ce qui permettrait une plus grande expansion de l'espace, et ce qui donnerait l'impression que l'expansion s'accélère lorsque ces vastes vides deviennent dominants dans l'Univers.
Le modèle du paysage temporel est en fait une implémentation particulière du schéma de moyenne scalaire qui avait été proposé par Buchert et al. en 2000 pour intégrer la rétro-action des inhomogénéités cosmiques (l'effet des vides sur les grandes structures, et vice-versa). Au lieu du paramètre de densité moyenne de matière du modèle de Friedmann–Lemaître–Robertson–Walker (comme dans ΛCDM), le modèle du "paysage temporel" (Timescape) de Wiltshire est caractérisé par la fraction de vide qui représente le volume fractionnaire des régions en expansion de l’univers constituées de vides.
Un ingrédient clé du modèle de paysage temporel est une relation d'intégrabilité particulière pour les équations de Buchert : la condition d'expansion de Hubble quasi-locale uniforme. Physiquement, elle est motivée par une extension du principe d'équivalence forte d'Einstein aux petites échelles cosmologiques (entre 4 et 15 Mpc) des échelles où les perturbations de l'expansion isotrope moyenne et du mouvement isotrope moyen ne peuvent pas être distinguées par l'observation.
Seifert et ses collaborateurs comparent les observations de supernovas avec les deux modèles via des statistiques bayésiennes. En cosmologie standard, on suppose que les différences par rapport à l'expansion moyenne de l'espace-temps de Friedmann Lemaître Robertson Walker sont principalement attribuées aux poussées de Lorentz locales, c'est-à-dire aux vitesses particulières de la source et de l'observateur, les potentiels gravitationnels contribuant à des variations fractionnaires de l'ordre de 10-5 de l'expansion moyenne à l'échelle des galaxies et des amas de galaxies. Dans le modèle du "paysage temporel", la même variation fractionnaire peut atteindre 10-3. Seifert et ses coauteurs rappellent en outre que la signature d'une courbure spatiale cinétique émergente des vides a été identifiée il y a quelques mois par Williams et al. dans des simulations cosmologiques utilisant la relativité générale numérique complète sans prendre en compte de constante cosmologique.
Les astrophysiciens précisent que le modèle standard et le modèle de paysage temporel s'accordent empiriquement sur une échelle d'homogénéité statistique (SHS) de z=0,033 par la fonction de corrélation galactique à deux points. C'est en dessous de cette échelle que le modèle du paysage temporel propose ses tests et prédictions les plus importants, à des échelles où les filaments, les nappes et les vides de la toile cosmique sont toujours en expansion mais dans le régime non linéaire.
Lorsqu'ils considèrent l'ensemble du relevé Pantheon+, Seifert et ses collaborateurs trouvent des preuves très solides en faveur du modèle du paysage temporel. De plus, même en limitant l'échantillon à des décalages vers le rouge au-delà de l'échelle d'homogénéité statistique, le modèle du paysage temporel est encore préféré par rapport à ΛCDM : les preuves bayésiennes penchent une fois de plus en faveur du paysage temporel.
Seifert et ses collaborateurs précisent que tout biais astrophysique ou environnemental aurait probablement un impact sur les deux modèles cosmologiques. Ainsi, la forte préférence pour le paysage temporel nécessiterait une combinaison extrêmement subtile de tels biais pour en être la cause principale.
S'ils se confirment à l'avenir, ces résultats impliquent des conséquences profondes pour la cosmologie et l'astrophysique. En effet, une nette préférence pour un modèle de paysage temporel dans les données d'observation par rapport au modèle cosmologique standard pourrait indiquer la nécessité de réviser les fondements de la cosmologie théorique, à la fois ontologiquement et épistémologiquement, pour mieux comprendre les inhomogénéités et leur rétro-action sur l'évolution moyenne de l'Univers.
Le satellite Euclid de l'Agence spatiale européenne, lancé en juillet 2023 et qui fournira ses premières données scientifiques exploitables dans un an, est capable de tester et de distinguer les deux modèles cosmologiques. Mais cela nécessitera au moins 1 000 observations indépendantes de supernovas de haute qualité. Selon les chercheurs, d'autres observations d'Euclid et du télescope spatial Nancy Grace Roman seront de toute façon nécessaires pour renforcer le modèle du paysage temporel. La course est relancée pour utiliser la richesse des nouvelles données pour révéler la véritable nature de l'énergie noire, si elle existe...
Source
Supernovae evidence for foundational change to cosmological models
Antonia Seifert, et al.
Monthly Notices of the Royal Astronomical Society: Letters, Volume 537, Issue 1, (19 december 2024)
Illustrations
1. Schéma simplifié de l'évolution de l'Univers avec les composantes dominantes à chaque époque (NASA)
2. Antonia Seifert
9 commentaires :
Merci!
Superbe !! Quelle découverte. Si cela vient à se confirmer, il y a du Prix Nobel à la clef :)
Si la remise en question de l'accélération se base sur l'étude de la géométrie des vides cosmiques, on pourrait alors remettre en question l'expansion. En effet la mesure de son taux est vu que la solution d'ordre 0 de l'équation de Friedmann, comme si elle ne dépendait pas de la densité le long de la ligne de visée (dont l'analogie est le cake dans un four qui gonfle -le vide- mais pas ses raisins -les galaxies). La variation du taux devrait varier suivant la densité, elle n'est pas mesurée, on est en tout cas très loin des 5sigmas. L'expansion dépend donc uniquement de l'interprétation des redshifts cosmologiques, traduite en équation de Friedmann, mais aucune mesure digne de ce nom ne le confirme.
En tout cas, j'aime bien ce travail car je fais la même hypothèse mais... concernant la matière noire. Le temps dans une galaxie se confronte avec le temps de son univers observable: ce dernier est dans le passé de la première, c'est ce que nous apprend les observations distantes, avec un paradoxe: le temps s'écoule à priori plus lentement dans la galaxie, du fait de la plus forte densité que dans l'univers observable. La matière noire serait donc un 'effet de bord', la matière au bord d'une galaxie voyage avec le cul entre deux chaise, en suivant l'évolution temporelle de sa galaxie, et celle de l'univers observable
Le modèle d'Einstein est insuffisant pour arriver à ces conclusions. A priori, le modèle de Lorentz, dont il est une approximation, devient plus pertinent pour considérer que l'interaction entre deux galaxies passe par un espace qui ne se limite pas à un espace euclidien courbé par ces seules galaxies, mais à celui courbé par l'univers observable. L'univers observable, en tant qu'éther, est à remettre à l'ordre du jour, on connaît d'ailleurs déjà notre vitesse relative à cet éther, donnée par le dipôle cosmologique
La matière noire expliquée par les équations d'Einstein "moins approximées" est étudiée, notamment ici https://www.ca-se-passe-la-haut.fr/2015/03/matiere-noire-et-energie-noire-de-purs_13.html
...mais il me semble que quand j'avais fait une petite recherche biblio, de nouveaux papiers tendaient à infirmer cette hypothèse.
Cependant ! comme vous le verrez dans les commentaires du lien ci-dessus, l'auteur vient en décembre 2024 de publier dans une revue à plus forte audience, l'histoire n'est pas du tout terminée !
cette réinterprétation de la relativité générale est-elle la même, sous le capot, que celle de Stéphane Le Corre dont il était question en 2015 ici même ?
https://www.ca-se-passe-la-haut.fr/2015/03/matiere-noire-et-energie-noire-de-purs_13.html
Si je comprends bien, les bulles cosmiques se déplacent, ce qui expliqueraient qu'il faut rajouter de la vitesse naturellement dans l'appréciation des vitesses (d'éloignement, du à l'expansion) des SN. En gros pour estimer le déplacement des bulles, il faut tenir compte des densités de matières qui entourent ces bulles (filaments et amas), ce qui entraine des effets non-linéaires. Ca me rappelle une remarque sur le 'great repeller' (une bulle de vide aussi) qui avait finalement conclu que les galaxies en périphérie d'une bulle sont en fait d'avantage attirées par la masse à l'extérieur de la bulle, ce qui donnait l'impression que le vide repoussait les galaxies, c'est en gros ce dont on parle ici? l'expansion cosmologique dans les bulles ne tenaient-ils pas compte de cet 'effet' jusqu'à maintenant? Cette hypothèse n'avait-elle pas été déjà faite alors que l'on considérait, pour expliquer l'accélération de l'expansion, un artefact propre à la Voie Lactée, située dans une zone peu dense? l'article se penche sur une zone moins étendue que notre amas local...
Mais alors je ne comprends pas bien cette histoire de 'paysage temporel' et la remarque faite sur l'évolution temporel dans les galaxies, à comparer avec celle des vides cosmiques
ici, on parle des vides cosmiques et d'effets non-linéaires avec les amas environnants, et dans l'article que tu cites (la dernière version dans Nature), on parle d'un effet Lense-Thirring (le même que l'on observe autour des trous noirs, leur rotation ayant tendance à entrainer l'espace autour d'eux). Le premier parle d'énergie noire, le deuxième de matière noire
Ce n'est donc pas la même chose, dans le deuxième article il y aurait un champs qui permettrait de créer cet effet Lense-Thirring en rapport avec notre amas local, l'air de dire que l'amas de notre galaxie entrainerait la voie lactée dans une rotation supplémentaire. Ce champs (en r plutôt qu'en 1/r) donnerait une explication à MOND, mais ce champs n'a pas non plus d'explication: en effet, normalement, l'effet Lense-Thirring est tellement faible qu'il n'est pas mesurable (si ce n'est en champs fort, autour des trous noirs donc, absolument pas autour des galaxies, en champs faible donc), et en tout cas ne pouvant expliquer les excès de vitesses que l'on impute à la matière noire. C'est surtout que l'auteur se permet d'en parler parcequ'il se fie à des mesures récentes dans la voie lactée où la matière noire est, semble-t-il, moins perceptible (ce qui peut trahir le fait que la matière noire est un artefact qu'un biais nous empêche partiellement de détecter dans notre galaxie. Un biais en cacherait un autre, en somme!). Mais on reste autour de la voie lactée, en champs faible, aucune chance de mesurer cet effet
En gros, le premier article essaye de faire disparaître le 'champs' de l'énergie noire via des effets non-linéaires, tandis que le deuxième essaye d'introduire un champs, via la linéarisation de la RG. Donc, à priori, rien à voir!
pour saisir le concept du modèle de paysage temporel (qui n'a rien à voir avec un mouvement des vides), je renvoie vers un court article de David Wiltshire sur ArXiv qui l'explique, c'est là : https://arxiv.org/pdf/2404.02129
@Robou l'article fait référence à la GRL, relativité générale linéarisée. C'est donc une approximation du modèle d'Einstein, en champs faible. Ce n'est pas en ce sens que j'ai parlé du modèle de Lorentz, il faut considérer que le modèle d'Einstein est une approximation du modèle de Lorentz
Si je devais rapprocher l'effet Lense-Thirring, dont parle l'article, avec ce dont je parle, ce serait l'analogie suivante:
tend un drap sur une table, pince le en un endroit et tourne d'un quart de tour, des plis courbes apparaissent. Si le textile est moins souple, les plis se forment moins et tu as tendance à faire tourner l'ensemble. Ici les plis représentent un effet de type Lense-Thirring qui entraine en rotation. Si des poids sont posés sur le textile, il y a des frottements avec la table qui facilitent des plis supplémentaires. Evidemment, si tu augmentes la force de rotation, le textile devient moins rigide et des plis se froment d'avantage
Considère la rigidité de l'espace-temps comme étant très peu influée par la masse d'une galaxie en rotation. Il y a donc les plis que l'on attribue à l'effet Lense-Thirring (extrêmement minimes et donc hors compétition pour expliquer la matière noire). Ensuite si le textile représente l'espace-temps de l'amas local de la galaxie, représenté par des poids posés dessus, la rotation est limitée et des plis supplémentaires se forment. Si l'amas s'étend à l'univers observable, il y a tellement de poids posés sur le textile qu'il faut le considérer attaché sur les bords et les plis sont alors très marqués
C'est dit avec les mains, mais si on doit considérer un éther, naïvement l'espace-temps de l'univers observable donc, et pas seulement à l'échelle de notre amas local comme semble se restreindre l'auteur, ce serait ainsi qu'on décrirait les effets de bords observés en bordure de galaxie. Dans le modèle d'Einstein, les galaxies courbent localement le textile mais comme il n'y a pas de référentiel absolu, aucune raison de considérer un quelconque 'frottements' des poids déformant le tissu, alors que dans un modèle type Lorentz, c'est envisageable. On a cherché des effets du à notre seule vitesse dans l'univers (Michelson&Morley), ils ne seraient en fait visibles qu'avec la rotation dans l'univers observable, à grande échelle, du au fait qu'il faut titiller la rigidité de l'espace-temps pour les observer, et après tout on sait (principe de Mach) qu'il existe un référentiel absolu concernant les rotations. Perso j'ai d'autres motivations pour en définir un
Et si on devait décrire le biais qui permet de dire que la voie lactée dispose de beaucoup moins de matière noire que les autres, comme le rappelle l'auteur, ce serait de dire que nous sommes sur un pli
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