samedi 12 décembre 2020

Des neutrinos comme signe avant coureur d'une fusion de trous noirs supermassifs


La blazar TXS 0506+056  a été le premier objet astrophysique reconnu comme source de neutrinos de très haute énergie. Le fait que deux épisodes semblables séparés de trois ans environ ont été détectés par IceCube en provenance de ce noyau actif de galaxie indique selon une équipe d'astrophysiciens une possibilité qu'il puisse s'agir d'une émission de neutrinos périodique, qui pourrait être liée à un couple de trous noirs supermassifs proches de la fusion... Une étude publiée dans The Astrophysical Journal Letters.

L'émission de neutrinos ultra-énergétiques est associée à la production de rayons cosmiques de ultra-haute énergie eux aussi. Ils en sont un produit secondaire lorsque les protons ou noyaux d'atomes interagissent dans l'environnement en créant des pions qui se désintègrent rapidement en muons puis en électrons, et en neutrinos. Et les rayons cosmiques qui ont les énergies les plus élevées sont estimés pouvoir être accélérés dans le voisinage proche des trous noirs supermassifs, notamment dans leurs jets polaires. Or, un blazar correspond justement à un tel trou noir supermassif actif vu dans la direction de son jet relativiste. 
Et une émission périodique de neutrinos très énergétiques est attendue théoriquement dans le cas où le noyau actif est en fait constitué d'une paire de trous noirs supermassifs qui sont proches de la fusion, car il doit apparaître dans ce cas une précession du jet polaire d'au moins l'un des deux trous noirs. Une telle précession produirait un balayage du jet dans l'espace, qui passerait dans notre ligne de visée à intervalles périodiques (pas forcément avec une période constante).

Oliver De Bruijn (Ruhr-Universität Bochum) et ses collaborateurs montrent que si TXS 0506+056 est un système binaire supermassif, la prochaine éruption de neutrinos pourrait déjà avoir eu lieu et se trouverait probablement dans les données enregistrées par IceCube mais non encore analysées. 
Les deux premières émissions de neutrinos de l'ordre du téra-électronvolt qui ont été détectées en Antarctique par IceCube ont eu lieu en décembre 2014 et en septembre 2017
Les chercheurs évaluent également pour la première fois les corrélations qui pourraient exister entre les ondes gravitationnelles du couple de trous noirs supermassifs qui pourraient être détectées dans la prochaine décennie par le futur interféromètre spatial LISA (lancement prévu au début des années 2030) et les émissions de neutrinos ultra-énergétiques. En modélisant la précession du plus massif des deux trous noirs qui seraient en train de se rapprocher inéluctablement,  De Bruijn et ses collègues prédisent les prochaines émissions de neutrinos dans ce scénario : entre début 2020 et octobre 2020 pour la première (l'article a été écrit avant le mois d'octobre) puis entre début 2022 et mi-2023 ensuite. Ces périodes dépendent des paramètres du couple de trous noirs comme leur ratio de masse. Les chercheurs arrivent même à prédire que le couple de trous noirs supermassifs arriverait à la fusion à une date comprise entre 2033 et 2045... Or l'interféromètre gravitationnel LISA devrait entrer en service en 2034 - si tout est optimal -, de quoi donner l'espoir de détecter cette fusion si elle a lieu. Mais De Bruijn et ses collaborateurs préviennent aussi que cette date prévisionnelle dépend elle aussi du ratio de masse des trous noirs. Si ce ratio est inférieur à 0,15, elle aurait lieu bien après 2045, jusqu'à 2140...
Les astrophysiciens, pour conclure leur étude, calculent combien on pourrait détecter de cas comme TXS 0506+056, à la fois par leur émission de neutrinos durant la spirale puis par leurs ondes gravitationnelles lors de la fusion. Ils estiment pour cela le nombre de systèmes binaires de trous noirs supermassifs dont les jets pointeraient vers nous (des blazars) et qui seraient détectables. Puis à partir des données acquises par IceCube, ils estiment la fraction de ces sources qui pourraient produire des neutrinos détectables eux-aussi (entre 5% et 27%) et enfin, ce nombre est ensuite associé à la durée de la phase finale d'une fusion de tels trous noirs qui est estimée par les auteurs à 5 millions d'années. Le résultat du calcul donne un nombre d'événements de fusion de trous noirs supermassifs précédés 25 ans plus tôt par des émissions de neutrinos périodiques. Il est compris entre 0,03 et 30 par an. La plage d'incertitude est assez grande mais l'ordre de grandeur est intéressant car a priori accessible avec notre technologie.
L'astronomie à multimessagers se développe toujours d'avantage et va peut-être bientôt reléguer les photons aux vieilleries d'antan...

Source

Recurrent Neutrino Emission from Supermassive Black Hole Mergers
Oliver de Bruijn et al.
The Astrophysical Journal Letters, Volume 905, L13 (11 december 2020)


Illustration

Vue d'artiste de l'émission de neutrinos très énergétiques par un blazar (IceCube Collaboration)

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