Au moins une naine blanche sur quatre terminera sa vie comme une étoile magnétisée... Une étude récente publiée dans les Monthly Notices of the Royal Astronomical Society portant sur un échantillon de naines blanches proches montre de nouvelles preuves de la corrélation qui existe entre la fréquence du magnétisme dans les naines blanches et leur âge.
Plus de 90 % des étoiles de notre galaxie vont terminer leur vie sous forme de naine blanche. Bien que beaucoup de naines blanches possèdent un champ magnétique, on ignore encore quand il apparaît à leur surface, s'il évolue dans le temps et quels sont les mécanismes qui le génèrent.
Comme les naines blanches sont des étoiles qui ne font que se refroidir, elles sont de moins en moins lumineuses au fil du temps. En conséquence, les observations tendent à favoriser l'étude des naines blanches les plus brillantes, qui sont celles qui sont les plus chaudes et jeunes. Il existe également un biais observationnel plus subtil et plus contre-intuitif : les naines blanches les plus massives sont les plus petites et plus une naine blanche est petite moins elle est brillante. Donc les naines blanches les plus massives sont moins visibles. Les observations favorisent donc d'une part les naines blanches jeunes et d'autre part les naines blanches de faible masse. D'autre part, les techniques spectroscopiques qui sont le plus souvent utilisées pour étudier les champs magnétiques ne sont sensibles qu'aux champs magnétique déjà très forts, et ratent donc toute une fraction des naines blanches magnétisées.
Pour remédier à ces différents biais observationnels, Stefano Bagnulo (Armagh Observatory) et John Landstreet (Université de l'Ontario) ont étudié un échantillon de 152 naines blanches proches du Soleil (situées à moins de 20 pc, 65 années-lumière), donc bien visibles quels que soient leur masse et leur âge. Et ils les ont observées sous l'angle de la spectropolarimétrie qui permet une sensibilité aux champs magnétiques supérieure de plus de deux ordres de grandeur à celle offerte par la simple spectroscopie. 70 naines blanches de cet échantillon n'avaient encore jamais été observées en spectropolarimétrie. Les deux astronomes ont ainsi identifié 33 naines blanches magnétisées, dont 12 qui n'étaient pas encore cataloguées comme telles.
La masse moyenne des naines blanches du volume local de 20 pc est supérieure à la moyenne des naines blanches connues, soit 0,69 ± 0,10 M⊙. Lorsqu'ils considèrent des naines blanches de tous âges, la masse moyenne des étoiles magnétisées avec un champ plus faible que 2 MG est la même que la masse moyenne de celles qui ont un champ plus fort que 2 MG. Les observations en dehors du volume local de 20 pc suggèrent aussi que dans les jeunes naines blanches magnétisées, les champs forts, lorsqu'ils sont trouvés, se produisent principalement dans les naines blanches dont la masse est supérieure à la moyenne ( > ~ 0,70 M⊙). Les jeunes naines blanches de masse plus faible semblent produire des champs plus faibles (qui ont tendance à échapper à la détection dans les études spectroscopiques).
A partir de l'analyse des propriétés des étoiles de leur échantillon, Bagnulo et Landstreet montrent que la distribution de l'intensité du champ magnétique observé va de 40 kG à 300 MG. Aucun champ plus faible que 40 kG n'est trouvé sur ces naines blanches magnétisées. Les chercheurs confirment que les champs magnétiques sont plus fréquents dans les naines blanches de masse supérieure à la moyenne, en particulier dans les étoiles plus jeunes. Ils observent aussi une déficience marquée de naines blanches magnétisées plus jeunes que 500 millions d'années : seule 1 naine blanche sur 20 âgée de moins de 500 millions d'années s'avère être magnétisée. Selon les astrophysiciens, la fréquence de l'apparition d'un champ magnétique apparaît plus élevée dans les naines blanches qui auraient subi un processus de cristallisation du noyau, que dans celles où le noyau serait encore entièrement liquide. Bagnulo et Landstreet ne peuvent pas montrer de preuve évidente de la décroissance de l'intensité du champ avec le temps. Les champs magnétiques sont générés durant la phase de refroidissement et continuent d'émerger à la surface de l'étoile à mesure que l'étoile vieillit.
Ce comportement est très différent de celui d'autres étoile magnétisées de la séquence principale (des étoiles de type Ap et Bp) dans lesquelles le champ magnétique est présent au départ et ne cesse de s'affaiblir au cours du temps. Le phénomène qui en est à l'origine paraît donc très différent.
Dans les naines blanches, un mécanisme de dynamo similaire à ce qu'on connaît sur Terre peut expliquer des champs d'une intensité allant jusqu'à 0,1 million de Gauss (10 T), ce qui a été montré en 2017 par Jordi Isern et al. Ce mécanisme de dynamo est dû à la combinaison d'une rotation rapide et de la convection du coeur qui est dirigée par la solidification de l'oxygène dans le noyau. Or, le mécanisme décrit par Isern ne permet de produire que des champs de l'ordre de 100 kG... Mais en avril 2021, Matthias Schreiber et al. (voir numéro 1172) avaient montré que des champs beaucoup plus forts pouvaient être générés par ce processus.
Ce mécanisme de dynamo via la cristallisation est très tentant pour expliquer les observations et le fait qu'il n'existe que très peu de jeunes naines blanches magnétisées et que la masse moyenne des naines blanches magnétisées est plus élevée que la moyenne des naines blanches. En effet, une naine blanche plus massive cristallise plus vite. Mais ici, ce sont des champs de quand-même plusieurs centaines de millions de Gauss qui sont observés pour les plus intenses d'entres eux. En outre, un mécanisme de dynamo nécessite une rotation très rapide, ce qui n'est généralement pas observé dans les naines blanches. D'autres études théoriques et observationnelles vont donc être nécessaires pour démêler cette situation et notamment pour mieux clarifier la relation existant entre la masse, l'âge et l'intensité du champ magnétique.
Pour Bagnulo et Landstreet, la seule voie alternative qui pourrait permettre d'expliquer pourquoi ce sont les naines blanches les plus âgées qui ont les champs magnétiques les plus forts serait de considérer que la magnétisation est induite non pas par l'effet dynamo, mais par des processus de fusions entre naines blanches. Plus une naine blanche est vielle plus elle a de probabilité d'avoir connu une fusion au cours de son existence...
En conclusion de leur article, Bagnulo et Landstreet calculent qu'à l'échelle de notre galaxie, 22% des naines blanches doivent avoir un champ magnétique, un chiffre très probablement sous-estimé, du fait des cas non détectés non pris en compte. C'est donc au minimum 1 étoile sur 4 qui finira sa vie entourée d'un puissant champ magnétique. Le magnétisme ne doit donc pas être considéré comme un phénomène rare et exotique parmi les naines blanches et la population stellaire en général. Il serait même plus courant dans les naines blanches que le phénomène de pollution par les métaux, un effet à prendre en compte avec attention dans toutes les études sur les étoiles naines blanches.
Source
New insight into the magnetism of degenerate stars from the analysis of a volume-limited sample of white dwarfs
Stefano Bagnulo and John Landstreet
Monthly Notices of the Royal Astronomical Society, Volume 507, Issue 4 (November 2021)
https://doi.org/10.1093/mnras/stab2046
Illustration
Image d'artiste d'une naine blanche magnétisée (ESO/L. Calçada)
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