vendredi 2 septembre 2022

Phobos et Deimos ne sont pas issus d'un unique satellite


L'origine de Phobos et Deimos, les deux satellites de Mars, reste un mystère pour les astronomes. Une équipe a recherché quelle était la probabilité qu’ils proviennent d’une brisure d’un gros corps unique, une idée récemment proposée. Les chercheurs montrent que si cela avait le cas, le spectacle de Mars serait tout autre… L’étude est publiée dans The Planetary Science Journal

Phobos et Deimos ne représentent qu'une fraction de la taille et de la masse de la Lune, mesurant seulement 22,7 km et 12,6 km de diamètre respectivement. Ils ont tous les deux une période orbitale courte, puisqu'il ne leur faut que 7 h39 (Phobos) et 30 h18 (Deimos) pour effectuer une orbite autour de Mars. Et tous les deux ont une forme irrégulière, ce qui amène de nombreuses chercheurs à penser qu'il s'agit d'anciens astéroïdes qui ont été éjectés de la ceinture principale et ont été capturés par Mars. Il s'agirait d'astéroïdes composés de silicates riches en matière organique, de carbone et de silicates ne contenant pas d'eau (anhydres) et pouvant contenir de la glace d'eau à l'intérieur. Cette hypothèse est largement motivée par les observations qui ont révélé des similitudes dans les spectres entre les astéroïdes de type D et ces lunes. Par ailleurs, une autre hypothèse formulée en 2011 puis en 2017 est celle d’un impact géant sur Mars qui aurait formé un disque de débris autour de la planète rouge, à partir duquel Phobos et Deimos pourraient s'être accrétés sous forme d'objets en tas de gravats, ce qu’avaient montré Rosenblatt et al. en 2016 et Canup & Salmon en 2018. Et en 2017 et 2020, il a également été proposé que le Phobos d'aujourd'hui ne soit pas primordial en tant que conséquence directe, par exemple, d'une capture ou d'un impact géant. Au lieu de cela, après la formation de l'ancêtre de Phobos, il aurait pu être entraîné en spirale vers l'intérieur dans la limite de Roche martienne, puis détruit et recyclé en anneaux par la perturbation des marées, pour renaître en tant que lune plus petite par accrétion de l'anneau. Le Phobos d'aujourd'hui peut ainsi apparaître après plusieurs itérations de cette évolution de recyclage en anneaux et en lune. Mais cette idée est remise en question par le fait que la Mars d'aujourd'hui ne possède pas d'anneaux particulaires brillants, qui devraient encore exister partiellement comme une conséquence naturelle de cette hypothèse de recyclage en anneaux et en lunes. Et puis il existe aussi une théorie alternative récente, publiée en 2021 par Amirhossein Bagheri et al., selon laquelle Phobos et Deimos étaient autrefois une seule et même lune qui aurait été frappée par un objet massif il y a 1 à 2,8 milliards d'années, ce qui l'aurait brisée en deux (c'est ce qu'on appelle "l'hypothèse du dédoublement").

Ryuki Hyodo (Institut des sciences spatiales et astronautiques (ISAS/JAXA)) et son équipe ont cherché à tester cette nouvelle hypothèse en simulant les trajectoires passées des deux petits. Hyodo et ses collègues ont commencé par supposer que Phobos et Deimos étaient autrefois un seul corps, qui aurait subi une scission brutale. Ils ont ensuite effectué des simulations numériques combinant des modèles géophysiques et des modèles d'évolution des marées d'un système Mars-satellite. Puis ils ont calculé les évolutions orbitales successives des lunes dans une approche directe à trois corps (Mars-Phobos-Deimos), qui permet de calculer avec précision les rencontres rapprochées, les interactions gravitationnelles et les collisions entre lunes. Hyodo et ses collaborateurs montrent que les deux lunes entreraient très probablement (à plus de 90%) en collision l'une avec l'autre dans un laps de temps très court après la séparation (moins de 10000 ans plus tard). Et cet impact serait très destructeur, avec une vitesse d’impact comprise entre 100 et 300 m/s (10 à 30 fois la vitesse d’échappement de Phobos), désintégrant Phobos et Deimos en une multitude de débris qui auraient rapidement formé des anneaux autour de Mars, puis cet anneau aurait reformé de nombreux petits corps par accrétion de matière. En bref, si Phobos et Deimos étaient issus de la brisure d’une seule lune progénitrice il y a 1 à 2,8 milliards d'années, comme l’ont proposé Bagheri et al. récemment, Mars arborerait un anneau de débris qui serait encore visible aujourd'hui, plutôt que deux satellites de forme irrégulière dont la composition s'apparente à celle d'un astéroïde.

Plusieurs agences spatiales ont l'intention d'explorer les lunes de Mars dans un avenir proche. L'origine et l'évolution de ces lunes sont en effet considérées comme faisant partie d'un effort plus large d'exploration et de caractérisation de Mars. L'Agence japonaise d'exploration aérospatiale (JAXA) est en train de préparer sa mission de retour d'échantillons sur Phobos : Martian Moons Exploration (MMX). Cette mission effectuerait un survol de Deimos avant de se poser sur Phobos à plusieurs reprises pour obtenir des échantillons d’une masse supérieure à 10 g, de manière très similaire à ce que la mission Hayabusa2 a fait sur l'astéroïde Ryugu. Cette mission implique également la NASA et l'ESA, et son lancement est actuellement prévu en 2024 pour un retour des échantillons sur Terre cinq ans plus tard. MMX pourra sans doute mettre un terme à la controverse sur l’origine de Phobos et Deimos.

Source

Challenges in Forming Phobos and Deimos Directly from a Splitting of an Ancestral Single Moon Ryuki Hyodo et al.
The Planetary Science Journal, Volume 3, Number 8 (31 august 2022)


Illustration

Phobos et Deimos, imagés par la sonde américaine Mars Reconnaissance Orbiter, échelle différente sur les deux images (NASA/JPL)

2 commentaires :

Claire a dit…

Et bien en attendant MMX, le mystère reste entier! Est ce que Phobos et Deimos sont sur la même orbite? Tournent ils dans le même sens?

Dr Eric Simon a dit…

Non, ils ne sont pas sur la même orbite aujourd'hui et ils tournent dans le même sens oui.