16/09/22

L'origine des anneaux de Saturne : un satellite détruit il y a 160 millions d'années ?


Des chercheurs trouvent que les anneaux de Saturne seraient le produit de la destruction récente d’un satellite de la planète. Le cataclysme au magnifique résultat aurait eu lieu il y a 160 millions d’années. L’étude est publiée cette semaine dans Science.

La visibilité changeante des anneaux de Saturne est un signe évident que la planète tourne avec une importante obliquité. La géante tourne en effet avec un angle de 26,7 degrés par rapport au plan dans lequel elle tourne autour du soleil. Les astronomes ont longtemps soupçonné que cette inclinaison provenait d'interactions gravitationnelles avec sa voisine Neptune, car l'inclinaison de Saturne oscille, comme une toupie, à peu près au même rythme que l'orbite de Neptune. Au début des années 2000, les astronomes avaient avancé l'idée que l'inclinaison de l'axe de Saturne était due au fait que la planète était piégée dans une résonance, ou association gravitationnelle, avec Neptune. Mais les observations réalisées par la sonde Cassini, qui a tourné autour de Saturne de 2004 à 2017, ont donné une nouvelle tournure au problème. Les planétologues ont découvert que Titan, le plus grand satellite de Saturne, s'éloignait de la géante plus rapidement que prévu, à un rythme d'environ 11 centimètres par an. La migration rapide de Titan et son attraction gravitationnelle ont amené les chercheurs à conclure que la lune était probablement responsable de l'inclinaison de Saturne et de son maintien en résonance avec Neptune. Mais cette explication repose sur une inconnue majeure : le moment d'inertie de Saturne, c'est-à-dire la façon dont la masse est répartie à l'intérieur de la planète. L'inclinaison de Saturne pourrait se comporter différemment, selon que la matière est plus concentrée au cœur de la planète ou vers sa surface.

Dans leur nouvelle étude, Jack Wisdom (MIT) et ses collègues ont cherché à déterminer le moment d'inertie de Saturne en utilisant certaines des dernières observations effectuées par Cassini lors de son "grand final", la phase de la mission au cours de laquelle la sonde s'est approchée au plus près pour cartographier précisément le champ gravitationnel autour de Saturne.  Le champ gravitationnel peut en effet être utilisé pour déterminer la distribution de la masse dans la planète. Wisdom et ses collaborateurs ont modélisé l'intérieur de Saturne pour déterminer une distribution de masse qui correspondait au champ gravitationnel observé par Cassini. Et ils ont constaté que ce moment d'inertie nouvellement identifié plaçait Saturne à proximité, mais juste en dehors, de la résonance gravitationnelle avec Neptune. Cela signifie que les planètes ont peut-être été synchronisées par le passé, mais ne le sont plus aujourd’hui, ce qui change pas mal de choses…

Les chercheurs ont alors cherché des moyens de faire sortir Saturne de la résonance de Neptune. Ils ont d'abord effectué des simulations pour faire évoluer la dynamique orbitale de Saturne et de ses lunes en remontant dans le temps, afin de voir si des instabilités naturelles parmi les satellites existants auraient pu influencer l'inclinaison de la planète. Comme cela n'a rien donné, les chercheurs ont ensuite réexaminé les équations qui décrivent la précession d'une planète, c'est-à-dire la façon dont l'axe de rotation de la planète change au fil du temps. L'un des termes de cette équation est la contribution de l’ensemble de tous les satellites. Si un satellite est retiré de cette somme, il affecte immédiatement la précession de la planète. La question était ensuite de savoir quelle devait être la masse de ce satellite et quelle dynamique il devait subir pour pouvoir sortir Saturne de la résonance de Neptune. Pour cela, Wisdom et ses collègues ont effectué des simulations afin de déterminer les propriétés du satellite, telles que sa masse et son rayon orbital, ainsi que sa dynamique orbitale qui seraient nécessaire pour sortir Saturne de la résonance. Ils arrivent à la conclusion que l'inclinaison actuelle de Saturne est le résultat de la perte d’un satellite qui aurait environ la taille de Japet, le troisième plus grand satellite de Saturne. Ils nomment ce nouveau satellite disparu Chrysalide.

Sa disparition aurait eu lieu entre 200 et 100 millions d'années avant aujourd’hui : les calculs montrent qu’il serait entré dans une zone orbitale chaotique, après connu plusieurs rencontres rapprochées avec Japet et Titan, et se serait finalement approché trop près de Saturne, dans une rencontre rasante qui l’aurait déchiré en morceaux. Et Wisdom et ses collègues montrent que si la majeure partie du corps de Chrysalide a pu s'écraser sur Saturne, une petite fraction de ses fragments de glace (en considérant une composition similaire à celle de Japet) a pu rester en orbite, suffisamment pour que se brisant finalement en plus petits morceaux, ils forment les anneaux de la planète. Des simulations effectuées en 2017 de la formation des anneaux à partir d'un corps cométaire disloqué, d’une masse similaire à celle proposée pour Chrysalide, indiquaient que cette masse serait largement suffisante pour produire les anneaux actuels. La masse des anneaux a été estimée à 1,5 1019 kg, et la masse de Japet vaut 1,8 1021 kg (120 fois plus).

En résumé, l’équipe de Jack Wisdom propose que Saturne ait eu autrefois un gros satellite supplémentaire d’environ 1450 km de diamètre, qu’ils nomment Chrysalide ; que le système Saturnien était auparavant en résonance de précession spin-orbite avec Neptune et que l'obliquité de Saturne aurait augmenté lorsque le taux de précession a changé à cause de la migration de Titan, puis que Saturne ait échappé à la résonance de précession à cause d'une instabilité de l'orbite de Chrysalide mais qu'une rencontre rapprochée de ce satellite hypothétique avec Saturne l’ait détruit il y a 160 millions d’années, ce qui aurait conduit à la formation de ses anneaux. Cette belle idée, très étayée, d’un satellite manquant aujourd’hui peut donc expliquer à la fois deux mystères de longue date : l'inclinaison importante actuelle de Saturne, et l'âge de ses anneaux, un âge qui avait été estimé récemment à seulement environ 100 millions d'années, étonnamment beaucoup plus faible que celui de la planète elle-même...

 

Source

Loss of a satellite could explain Saturn’s obliquity and young rings

Jack Wisdom et al.

Science  Vol 377, Issue 6612 (15 Sep 2022)

https://doi.org/10.1126/science.abn1234

 

Illustration

Titan, derrière Dioné, accompagnés de Pandora, de Pan et des anneaux, imagés par la sonde Cassini... (NASA / JPL-Caltech / Space Science Institute)


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