lundi 5 décembre 2022

L'amas d'étoiles nucléaire de la galaxie M74 scruté par Webb


L'amas d'étoiles nucléaire de la galaxie spirale M74 a été observé par des astrophysiciens avec le télescope Webb avec une précision inégalée. Il révèle un amas de 10 millions d'étoiles serrées dans une sphère de 10 parsecs de diamètre au centre de la galaxie, qui semble flotter au creux d'une cavité vide de gaz. Ils publient leurs observations dans The Astrophysical Journal Letters.

M74 se trouve à 9,84 megaparsecs (environ 32 millions d'années-lumière) de la Terre, une galaxie qui n'a pas été découverte par Charles Messier mais par l'astronome français Pierre Méchain en septembre 1780. Elle est également connue sous le nom NGC 628. Il s'agit d'une belle galaxie spirale qui est vue presque de face (par dessus) et qui a un diamètre de 95 000 années-lumière, d'une taille très semblable à notre Voie Lactée. Elle appartient à une classe particulière de galaxies spirales qu'on appelle les spirales de "grande conception", qui montrent des bras spiraux proéminents et bien définis, contrairement à la structure parfois inégale et irrégulière observée dans certaines galaxies spirales. M74 est le membre le plus brillant d'un  groupe de plusieurs galaxies spirales et irrégulières. 
Sa position relativement isolée et son orientation presque de face font de cette galaxie un cas optimal pour des études détaillées des disques galactiques et de la formation d'étoiles et d'amas. On comprend aisément pourquoi elle a été l'une des premières cibles du télescope Webb parmi les galaxies proches. Nils Hoyer (Max-Planck-Institut fur Astronomie) et son équipe ne se sont pas contenté des seules images de Webb, il s les ont également combinées avec des images d'archives de Hubble, dans le but d'étudier en détail les propriétés structurelles et photométriques de l'amas d'étoiles nucléaire qui se trouve en son centre. 
Les amas d'étoiles nucléaires sont des systèmes stellaires massifs et très compacts qui se situent dans les noyaux galactiques. Leur rayon effectif peut aller de quelques parsecs à quelques dizaines de parsecs. Ils ressemblent ainsi à des amas globulaires ou des galaxies naines ultra-compactes. La masse de ces amas d'étoiles qui forment le noyau des grandes galaxies (d'où leur nom d'amas "nucléaire") peut atteindre le milliard de masses solaires, ce qui veut dire que ce sont les systèmes d'étoiles les plus denses que l'on connaisse, avec une densité qui peut atteindre 100 millions de masses solaires par parsec cube ! (100 millions d'étoiles dans un cube de 3 années-lumière de côté...)


Hoyer et ses collaborateurs dévoilent une image inédite de l'amas d'étoiles nucléaire de M74, en infra-rouge et à haute résolution. Associée aux images précédentes obtenues avec Hubble dans le visible et à moins bonne résolution, elle permet de mesurer assez précisément la taille de l'amas d'étoile : un rayon de 5 parsecs dans le visible et l'ultraviolet, mais un peu plus grand quand on va vers l'infra-rouge, jusqu'à 12 pc dans l'infra-rouge moyen, et ça pour une masse totale de 11,5 millions de masses solaires. Mais surtout, ces images montrent que l'amas d'étoile se trouve situé au milieu d'une cavité vide, totalement dépourvue de gaz et de poussière, qui s'étend sur un volume de 200 x 400 parsecs. Et les chercheurs montrent, grâce à l'analyse de la couleur et de la métallicité de ces étoiles, que l'amas d'étoiles nucléaire est peuplé uniquement de vieilles étoiles âgées de 8 milliards d'années, et ils déterminent qu'aucune nouvelle étoile n'a été produite dans l'amas depuis plusieurs milliards d'années. 
Pour expliquer une telle population vieillissante ainsi que l'existence de cette étonnante cavité entourant l'amas nucléaire, Hoyer et ses collaborateurs invoquent soit à un mécanisme dynamique empêchant l'afflux de gaz et de poussière, soit à une rétroaction du centre galactique. L'absence d'une jeune population stellaire laisse en effet penser que la cavité centrale, qui manque à la fois de gaz et de poussière, existe également depuis quelques milliards d'années.  Mais la raison profonde de l'absence de formation récente d'étoiles in-situ et l'origine de la cavité centrale restent encore inconnues. Par ailleurs, les chercheurs ont remarqué la présence d'une émission dans les bandes infrarouges moyennes qui reste tout à fait inexpliquée, d'autant plus que le centre de cette structure d'émission infrarouge est décentrée de 0,2'' par rapport au centre optique de l'amas d'étoiles. 
Hoyer développent cinq scénarios potentiels pour tenter d'expliquer cette émission décentrée, mais aucun d'eux ne permet d'expliquer entièrement la photométrie et la structure observées...
Le premier fait intervenir l'émission d'un noyau galactique actif énergisé par un trou noir supermassif d'environ 1 million de masses solaires, le deuxième propose l'existence d'un petit amas d'étoiles en train de tomber vers l'amas nucléaire, le troisième scénario fait intervenir de la poussière produite par des étoiles géantes en fin de vie qui pourrait rayonner en infra-rouge, le quatrième scénario proposé par Hoyer et al. dit que l'émission infrarouge pourrait provenir d'un disque ou d'un anneau gazeux circum-nucléaire d'un rayon de quelques pc, qui serait très similaire à celui qui existe dans notre galaxie, qui abrite en effet une concentration de gaz moléculaire et ionisé agglomérée, asymétrique, inhomogène et cinématiquement perturbée à un rayon inférieur à 5 pc du centre galactique. Enfin, la dernière idée est qu'il pourrait exister une galaxie en arrière plan qui se trouverait par hasard presque exactement dans l'axe de visée du centre de M74. Mais aucun de ces scénarios ne semble pleinement fonctionner pour expliquer les observations.
La beauté des images produites par le télescope Webb cachent donc encore plusieurs mystères : on ne sait pas pourquoi il existe cette cavité vide ni pourquoi plus aucune étoile ne se forme in situ depuis plusieurs milliards d'années, et on ne parvient pas à expliquer l'émission infra-rouge décentrée découverte par Webb.
Afin de résoudre l'énigme du noyau de M74 en infra-rouge, il faudra probablement passer par des observations spectroscopiques à haute résolution avec Webb, pour déterminer les propriétés cinématiques de l'amas nucléaire et de son environnement direct. En plus de la nature de la structure dans les bandes de l'infrarouge moyen, ces données pourront contraindre la présence d'une jeune population stellaire, et leur signature cinématique par rapport à l'amas, ce qui aidera à déterminer la présence d'un trou noir dans M74, car il n'y a actuellement aucune mesure robuste de sa masse ni aucune limite supérieure...

Source

PHANGS-JWST First Results: A combined HST and JWST analysis of the nuclear star cluster in NGC 628
Nils Hoyer et al.
A paraître dans The Astrophysical Journal Letters


Illustration

1) Image composite Hubble/Webb de la galaxie M74 (NASA / ESA / CSA / Webb / Hubble / J. Lee / PHANGS-JWST Team / R. Chandar / J. Schmidt)
2)  La galaxie M74 Imagée par Webb (NASA / ESA / CSA / Webb / J. Lee / PHANGS-JWST Team)

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